“Base élèves” : recours devant le Conseil d’Etat


article de la rubrique Big Brother > base élèves et la justice
date de publication : jeudi 18 décembre 2008
version imprimable : imprimer


Mireille Charpy, directrice d’école à Lans-en-Vercors, militante active de la LDH et du SNUipp, et Vincent Fristot, parent d’élève et ancien conseiller municipal de Grenoble, ont déposé le 13 juin 2008 un recours devant le Conseil d’État, en vue de faire annuler le système “Base élèves premier degré”.

Le 28 octobre 2008, ils ont déposé une demande de référé pour obtenir la suspension de l’utilisation de Base élèves dans l’attente du jugement sur le fond. Cette demande de suspension a été rejetée mais cela ne permet pas de pronostiquer en quoi que ce soit la décision du Conseil d’Etat sur le fond [1].

Base élèves se présente sous la forme d’un système de saisie et de gestion informatiques par Internet de tous les élèves d’âge scolaire qui résident en France qui devrait être généralisé d’ici 2010. Ce système est particulièrement contesté car il recueille et centralise, au niveau de l’inspection académique, des données personnelles nominatives des enfants.

[Mise en ligne le 29 juin 2008, mise à jour le 18 décembre 2008]

Isère : premier recours contre le fichier "Base élèves"

par Eve Moulinier, Le Dauphiné libéré du 19 juin 2008

Il semble bien que les toutes récentes déclarations de Xavier Darcos
sur le fameux fichier "Base élèves" n’aient pas convaincu tout le monde ...

Le 13 juin dernier, après des mois de polémique, le ministre de l’Éducation nationale annonçait en effet, via un communiqué, que « la
profession et la catégorie sociale des parents, la situation familiale de l’élève, ainsi que les données relatives aux besoins éducatifs particuliers,
ne feront plus partie du périmètre des données collectées dans le logiciel ».

Or, c’est justement le 13 juin que deux Isérois — Mireille Charpy, directrice d’école à Lans-en-Vercors et Vincent Fristot, parent d’élève et ancien conseiller municipal de Grenoble — ont déposé un épais dossier devant le Conseil d’État. Le but de ce recours, jusqu’ici unique en France : obtenir l’annulation du traitement national “Base élèves premier degré ”.

Pour étayer leur requête, les requérants ont développé 12 motifs principaux, parmi lesquels « l’absence de garantie de sécurisation
des données », des imprécisions d’information sur « les finalités du traitement de ces données », « de la discrimination avec le maintien de
champs comme la langue et la culture d’origine », etc.

« Ce recours est le fruit de mois de travail, de travail acharné, explique M. Fristot. Et surtout il se place dans la même ligne que toutes les
actions conduites jusqu’à présent pour dénoncer cette tendance générale et inquiétante au fichage de la population.

Les données récoltées pour “Base élèves” sont des données personnelles, relatives aux enfants, à leurs parents, à leurs proches et ne devraient surtout pas sortir de l’école ». Un argument repris
par Mireille Charpy, qui s’interroge : « Si cette base est uniquement utile à la vie scolaire, pourquoi alors conserver un numéro d’identifiant national pour chaque enfant ? Pourquoi conserver des données nominatives pendant quinze ans ? ».

Et pour en revenir aux dernières annonces de Xavier Darcos, les deux requérants sont formels : « Pour l’instant, il ne s’agit que de déclarations qui n’ont, en Isère du moins, pas été suivies d’effet. Ensuite, nous étudierons de très près l’arrêté que le ministre prendra. Et il n’est pas sûr que l’on en reste là ».

Eve Moulinier

Communiqué

Un recours contre le fichage centralisé des enfants, déposé au Conseil d’Etat

Grenoble, le 18 juin 2008

Mme Mireille Charpy, directrice d’école à Lans en Vercors et M. Vincent Fristot, parent d’élèves scolarisés à Grenoble ont déposé le 13 juin 2008 un mémoire introductif d’instance au Conseil d’Etat pour obtenir l’annulation du traitement national « Base Elèves premier degré ».
Un recours gracieux déposé le 14 mars auprès du ministère de l’Education Nationale (MEN) n’avait reçu aucune réponse [2].

Le traitement « Base Elèves » n’a pas été créé par une loi, un décret, ou un arrêté ministériel.
Le MEN a déclaré à la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) la "Base élèves premier degré" qui contient 59 champs de données personnelles par un simple courrier de déclaration en date du 24 décembre 2004. Cette déclaration mentionne un effectif d’environ
6.500.000 élèves concernés, avec des données stockées pour la plupart pendant 15 ans.
De nombreuses personnes soulèvent les risques liés à cette énorme base de données : des conseils municipaux, des conseils d’écoles, des délégués départementaux de l’éducation nationale (DDEN), des centaines de parents qui ont manifesté, écrit à l’Inspection académique en Isère, le collectif CIRBE qui anime le mouvement d’opposition au traitement « Base Elèves premier degré », plusieurs syndicats d’enseignants dont le SNUIPP majoritaire, la FCPE, la Ligue des Droits de
l’Homme… Il en est de même dans plusieurs départements.
A toutes les objections à ce fichage, l’Inspecteur d’Académie répond par la censure, les forces policières, des menaces de retraits de salaires et de retraits d’emploi de directeur.

Pour les requérants, les données personnelles relatives aux enfants, leurs parents et leurs proches ne peuvent sortir de l’école et relèvent des échanges personnels et confidentiels entre parents, enfants
et enseignants.
Les requérants soutiennent que “ Base élèves premier degré ” porte atteinte aux droits de l’homme et notamment aux droits de l’enfant, au respect de la vie privée, aux libertés individuelles et publiques. Il représente un risque d’atteinte aux fondements démocratiques par un fichage généralisé des enfants, des parents et des personnes.
La Base Elèves premier degré concentre des données concernant les coordonnées précises des parents et proches de l’enfant, ses éventuelles difficultés et besoins éducatifs particuliers, ses
compétences, le périscolaire. Le fichier est partagé en partie avec les maires.
La « Base Elèves premier degré » permet à l’Inspecteur d’Académie de fournir aux Maires les données personnelles des enfants absents, comme le prévoit l’article 12 de la loi de prévention de la
délinquance.

Dans le mémoire déposé au Conseil d’Etat, de nombreux arguments ont été développés, concernant les irrégularités de procédure, comme l’absence d’autorisation de la CNIL, mais surtout au fond, des irrégularités par méconnaissance des textes de loi, dont des conventions internationales et la loi relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.
La sécurisation des données n’est pas assurée par le dispositif déclaré en 2005 à la CNIL ; elle est rendue aléatoire à partir de postes informatiques des écoles qui appartiennent aux communes.
Si des champs ont été supprimés, de nouveaux champs sont apparus, la langue et culture d’origine annoncée supprimée a été maintenue.
Au total, 12 motifs principaux d’annulation, ont été développés.

Les requérants ont donc demandé l’annulation des actes du Ministre de l’Education Nationale, mettant en oeuvre le traitement automatisé de données personnelles « Base Elèves premier degré », mais aussi la destruction des données entrées irrégulièrement dans cette base de données nationale.

Mireille Charpy et Vincent Fristot

____________________

Les principaux motifs soulevés dans le recours :

  1. Absence d’autorisation du fichier par la CNIL (interconnexion avec fichiers des maires, article 25, 5° loi 78-17, fichier comporte des appréciations sur les difficultés sociales des personnes, article 25, 7°)
  2. Actes pris antérieurement au récépissé de la CNIL, pour lequel le ministère ne fournit qu’une version du 29 novembre 2007
  3. Fichier qui introduit des discriminations entre élèves, contrairement à l’article 1er de la Constitution (origines ethniques, langue et culture d’origine) avis des CNIL européennes sur la protection des données à caractère personnel de l’enfant, fév 2008
  4. Absence d’information prévue par la loi en direction des parents, des proches : la fiche de
    renseignements ne comporte pas la mention du responsable et des finalités du traitement (art 6
    de la loi 78-17)
  5. Informations personnelles susceptibles d’être à l’origine de poursuites, le droit à l’information
    préalable dans toute procédure judiciaire, convention européenne des droits de l’homme
  6. Des données relatives à la santé, ce qui est interdit : PPS, PAI, différentes CLIS (art 8 de la loi
    78-17)
  7. Collecte de données personnelles sans base légale, convention CEDH ratifiée par la France nov
    1988, article 8, convention internationale des droits de l’enfant ONU, nov 1989
  8. Atteinte au droit d’opposition à figurer dans un fichier, prévu à l’article 38, loi 78-17
  9. Collecte déloyale de données personnelles à partir de sources diverses (art 6, loi 78-17)
  10. Irrégularité de la déclaration du fichier à la CNIL (finalités imprécises et non limitatives, pas de
    déclaration d’interconnexion, durée de conservation excessive)
  11. Absence de garanties à propos de la sécurité des données : le système de clés USB « passeport
    électronique » déclaré le 17 mai 2005 à la CNIL n’est pas opérationnel
  12. Erreur manifeste d’appréciation liée à la non prise en compte de l’avis du Conseil consultatif national d’éthique (identifiant unique des élèves, croisements de fichiers, consentement préalable à la collecte des données…)

Notes

[1« Nous venons d’apprendre que le juge des référés du Conseil d’Etat a rejeté notre référé, au motif de l’absence d’urgence (selon l’ordonnance du 27 novembre 2008).

« Les affirmations du ministère de l’éducation : renforcement de la sécurisation, effacement des données non prévues par l’arrêté du 20 octobre 2008, ont été reprises.

« Dommage, pour cette fois.

« Nous ne désarmons pas. Bien sûr, c’est une position du Conseil d’Etat uniquement sur la question de l’urgence.
Tout le reste du dossier reste fort, nous allons donc poursuivre "au fond", il y en a sans doute pour quelques mois...

« Un motif de satisfaction : l’ordonnance admet l’intervention du SNUIPP de l’Isère dans la procédure, un syndicat d’enseignant a intérêt à agir dans ce dossier, ce qui est utile pour la suite. »

Grenoble, le 28 novembre 2008

Mireille Charpy et Vincent Fristot

Suivre la vie du site  RSS 2.0 | le site national de la LDH | SPIP