le collectif contre base élèves poursuit son combat contre le fichage des enfants


article de la rubrique Big Brother > base élèves et la justice
date de publication : mardi 5 juin 2012
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Depuis la création en 2004 du fichier Base Elèves, des enseignants et des parents s’opposent à la multiplication dans les établissements scolaires d’applications recueillant et enregistrant les données personnelles des enfants, dès leur entrée à l’école maternelle, souvent au mépris de la loi et sans information des familles.

Le Collectif national de résistance à base élèves a lancé le 14 mars 2012 une nouvelle action sur ces questions. Pour le Cnrbe, l’immatriculation par un identifiant national unique – l’INE –, amené à suivre chaque élève durant toute sa scolarité, est en effet « la pierre angulaire d’un projet politique qui vise à cataloguer les individus en fonction de “compétences” prédéfinies pour faciliter leur “employabilité” future [1] ».

Une “mise en demeure” visant à faire cesser un préjudice majeur qui pèse dès aujourd’hui sur des millions d’enfants et leurs familles a été présentée au cours d’une réunion publique à Paris le 14 mars 2012 et envoyée le jour même aux deux ministres responsables de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur. Ces documents sont disponibles en téléchargement : la lettre du 14 mars 2012 adressée par Maître Sophie Mazas aux deux ministres (2 pages), accompagnée d’une analyse juridique (34 pages).

Le Conseil d’État a rétabli en juillet 2010 le droit des parents à s’opposer “pour motif légitime” à l’inscription de leurs enfants dans ces fichiers. Mais, depuis lors, l’administration de l’Education nationale refuse systématiquement de donner suite aux demandes des parents, déclarant que les motifs invoqués sont illégitimes. De ce fait, des parents à travers la France ont déposé des recours devant divers tribunaux administratifs. En Corse, le Tribunal administratif de Bastia a examiné le 31 mai deux recours qui ont été déposés. Une première dont vous trouverez ci-dessous un compte-rendu.


Les demandes du CNRBE [1]

  • La suppression du Livret Personnel de Compétences et de tout dispositif numérique permettant une traçabilité des résultats et parcours scolaires.
  • Le maintien dans les écoles des informations nominatives, garantissant ainsi une réelle protection des données, le droit à l’oubli prévu par la loi Informatique et Libertés et la préservation du lien de confiance entre les familles et l’école.
  • L’abandon de l’ensemble des fichiers mis en œuvre par l’Éducation nationale (Base élèves, BNIE, Sconet, Affelnet, Admission post-bac…) et de l’immatriculation des enfants par un numéro identifiant national.
  • En conformité avec les directives et recommandations internationales, une révision de la Loi Informatique et Libertés dans le sens d’une réelle protection de la vie privée, notamment celle des enfants, qui redonne à la CNIL les moyens d’appliquer une politique respectueuse des principes qui étaient à l’origine de sa création.
  • De considérer, dans toute chose le concernant, l’intérêt supérieur de l’enfant et d’écarter tout dispositif qui lui porte atteinte, comme l’impose la ratification par la France de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant.
  • La levée de toutes les sanctions prises à l’encontre des directeurs d’école qui ont refusé d’enregistrer des enfants dans Base élèves, que ce soit pour s’opposer à ces dispositifs de fichage conformément à la Convention internationale des Droits de l’Enfant ou pour respecter le droit d’opposition des parents rétabli par l’arrêt du Conseil d’Etat du 19 juillet 2010
  • La consultation des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail à tous les niveaux où ils ont été mis en place et des comités techniques dans les autres cas sur toutes les questions liées à l’informatisation tant aux niveaux administratif que pédagogique au regard de leurs conséquences sur l’ensemble des conditions de travail.

Fichage des élèves : une première au tribunal administratif de Bastia

par Hélène Romani, Corse-Matin, le 2 juin 2012


C’est une bataille de longue durée qui s’engage entre l’administration de l’Education nationale et deux familles ajacciennes qui dénoncent le fichage informatique des élèves du premier degré et s’opposent à l’enregistrement des données de leurs enfants respectifs.

En Corse, deux recours ont été déposés le 14 décembre 2011, devant le tribunal administratif de Bastia qui examinait hier ces dossiers, une première à l’échelle nationale. D’autres tribunaux sont saisis, à Toulouse, Lyon, Nîmes, Montpellier et Paris notamment, où une plainte au pénal suit son cours à la requête de 200 personnes.

L’assemblée de Corse a été la première à se positionner sur cette question, en votant une motion refusant le fichage des enfants et des jeunes. D’autres assemblées régionales, conseils généraux, municipalités, et des parlementaires se sont aussi engagés en ce sens.

A caractère général ou personnel ?

Le tribunal de Bastia doit se prononcer sur la décision implicite de rejet de l’opposition au fichage et sur la décision de rejet du recours gracieux prise par l’inspecteur d’académie de Corse-du-Sud. Il rendra son délibéré sous quinzaine.

Depuis 2004, le fichage généralisé des élèves appliqué dès l’entrée à la maternelle sous la dénomination « Base élèves » puis « Base nationale identifiants élèves », soulève la contestation. L’Inspecteur d’académie de Corse-du-Sud a rejeté les demandes au motif que le fichier « ne comporte que des données à caractère général nécessaires à la gestion du dossier de l’élève », rappelant que le consentement des personnes concernées n’est pas requis dans la mesure où ce fichier informatique « répond à une mission de service public ».

« Quoi qu’en dise l’administration, ces données sont personnelles, indique Me Sophie Mazas, du barreau de Montpellier, conseil des deux requérantes, et dans ce cas, leur collecte doit avoir reçu le consentement des familles et satisfaire à un certain nombre de conditions liées notamment à la sauvegarde de la vie de la personne concernée ». Et elle poursuit : « L’inspecteur d’académie n’a pas accordé le “droit d’opposition pour des motifs légitimes”, pourtant reconnu par le Conseil d’État. Or, c’est légitimement, ajoute-t-elle, que ces mères de famille contestent ce fichier généralisé, en l’absence totale de garanties quant à son éventuelle exploitation, en violation du droit communautaire et du décret de sécurisation des données ».

« Risques d’interconnexion »

Les familles invoquent la violation de la vie privée et familiale, craignant que l’ensemble des informations collectées soient divulguées, insistant sur le risque d’interconnexion de fichiers. Il y a eu des précédents, en effet, qui laissent craindre des fuites. Cela a été le cas en janvier 2011 dans les Yvelines, les données des enfants de l’école élémentaire Joliot-Curie étaient accessibles sur le site de l’Éducation nationale de Sartrouville. L’avocate citait par ailleurs un autre exemple de piratage décelé par l’inspection d’académie de Nantes qui évoque dans un courrier une« attaque informatique » en mars 2011.

Soulignant que le défaut de sécurisation du système était déjà constaté en juillet 2010 par le procureur de la République près le TGI de Paris qui a écarté cependant l’infraction pénale pour défaut d’intention pénale. « Ces failles existent, les familles sont en droit de vouloir préserver leurs enfants, garantir leur intégrité physique et morale car nul n’est à l’abri d’une malveillance. Par ailleurs, ajoute-t-elle, des questions plus générales se posent : Pourquoi une population doit-elle être fichée ? Quel est l’intérêt de ce fichage, et quelles sont les garanties que ce fichier ne sera pas utilisé à de mauvais desseins ? »

« Légalité du dispositif »

C’est l’objet d’un débat parlementaire qui n’a toujours pas eu lieu, « mais depuis le début, l’administration applique le fichage informatique, mettant les familles à la merci de l’arbitraire », achevait Me Sophie Mazas. Le rapporteur public, Xavier Monlau, a conclu au rejet de la requête, considérant d’une part que le conseil d’Etat « avait reconnu la légalité du dispositif de l’arrêté du 20 octobre 2008 », et, d’autre part, que les motifs légitimes avancés par les requérantes n’étaient «  pas suffisants, et ne pouvaient être considérés comme légitimes au sens de ce même arrêté ».

Notes


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