Vincent Fristot : « les enseignants ne sont pas des agents de collecte de données »


article de la rubrique Big Brother > base élèves et la justice
date de publication : mardi 20 juillet 2010
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Vincent Fristot, l’un des deux “particuliers” à avoir porté le problème de la légalité des fichiers Base élèves et BNIE devant le Conseil d’Etat, se félicite de l’invalidation de certains points de ces traitement de données. Il rappelle notamment que "le Conseil d’Etat a condamné le rapprochement opéré, sans consultation de la Cnil, entre les fichiers des écoles et ceux des mairies."

Ce membre actif du Collectif de résistance à Base élèves (CNRBE) estime n’avoir remporté qu’une "victoire partielle", car de nombreux problèmes "restent pendants" : "certaines données personnelles des élèves [...] ne doivent pas sortir des écoles. Les enseignants ne sont pas des agents de collecte de données." Et il explique : "
On ne sait pas ce qui peut se passer dans dix ans, dans quinze ans : peut-être que des employeurs seront amenés à vouloir consulter ces fichiers pour connaître le parcours scolaire de leurs candidats à l’embauche. Il faut faire en sorte que ça n’arrive pas."


Voir en ligne : le Conseil d’État annule Base élèves (partiellement) et la BNIE, et accorde 3 mois au ministère pour revoir sa copie

"Les enseignants ne sont pas des agents de collecte de données"

par Léa Giret, lci.tf1.fr, le 19 juillet 2010 à 19:55


Vincent Fristot, parent d’élève, est à l’origine du recours déposé au Conseil d’Etat contre le fichier "Base élèves", qui conserve des données personnelles sur les écoliers. Il s’estime partiellement satisfait de la décision, prise lundi par l’institution, qui condamne le ministère à revoir sa copie.

  • TF1 News : le Conseil d’Etat a invalidé, sur plusieurs points, les traitements de données "Base Elèves 1er degré" et " Base nationale des identifiants des élèves" utilisés par l’Education nationale. Etes-vous satisfait de cette décision ?

Vincent Fristot : J’en suis en partie satisfait. Le Conseil d’Etat condamne lourdement le ministère de l’Education nationale. D’abord, dans la " Base nationale des identifiants des élèves", l’institution a relevé des illégalités concernant la conservation des données sur les élèves, fixée à l’heure actuelle à 35 ans. En se fondant sur la loi "informatique et libertés", il exige un raccourcissement de cette durée. En outre, les parents remplissaient jusqu’à maintenant des fiches de renseignement sans savoir qu’elles seraient utilisées à l’échelle nationale. C’est désormais terminé. Nous avons aussi réussi à faire retirer de "Base élèves 1er degré" la mention au type de classe fréquentée, qui donnait des indices sur l’état de santé des enfants qui ne fréquentaient pas les classes classiques. Enfin, le Conseil d’Etat a condamné le rapprochement opéré, sans consultation de la Cnil, entre les fichiers des écoles et ceux des mairies.

  • Quels sont les point sur lesquels vous n’avez pas obtenu satisfaction ?

Je suis surpris que le Conseil d’Etat condamne et permette en même temps au ministère de régulariser des données obtenues de façon irrégulière. Si elles sont irrégulières, elles doivent être tout simplement effacées. Globalement, il reste encore trop de données qui relèvent de l’intimité des familles dans ces fichiers, comme l’identité de la personne qui vient chercher l’enfant à l’école, par exemple.

  • Que préconisez-vous comme alternative à ces fichiers, notamment pour garder une trace des parcours scolaires ?

Certaines données personnelles des élèves doivent être conservées mais elles ne doivent pas sortir des écoles. Les enseignants ne sont pas des agents de collecte de données. Il faut revenir au système initial, où le seul livret scolaire est remis aux parents. Les données ne doivent circuler que quand l’élève change d’établissement, et de façon cryptée. On ne sait pas ce qui peut se passer dans dix ans, dans quinze ans : peut-être que des employeurs seront amenés à vouloir consulter ces fichiers pour connaître le parcours scolaire de leurs candidats à l’embauche. Il faut faire en sorte que ça n’arrive pas.

« L’action pénale des parents d’élèves a certainement influencé le Conseil d’Etat »

par Léa Giret, lci.tf1.fr, le 19 juillet 2010 à 19:55


Le 16 juillet dernier, le procureur de Paris a classé sans suite les 2.103 plaintes déposées contre "Base élèves". Les plaignants, des parents d’élèves, invoquaient la violation des règles de la Commission nationale informatique et libertés (Cnil) et du code pénal, notamment "l’obligation de préserver la sécurité et l’intégrité des données", la "durée de conservation des données" ou encore "l’obligation d’information incombant au responsable du traitement" (le ministère à l’égard des parents ndlr). Le procureur a jugé que l’infraction n’était pas caractérisée et a fait valoir, pour justifier l’absence de poursuites, que le ministère faisait des efforts pour se conformer à la législation. Il a néanmoins adressé un rappel à la loi au service juridique du ministère de l’Education nationale.

L’avocat des parents d’élèves, Jean-Jacques Gandini, se réjouit de la décision du Conseil d’Etat, qui exige notamment de raccourcir la durée de conservation des données. Mais « si on régularise, on reconnaît que la plainte était fondée », estime l’avocat. « Le Parquet a compris, vu le nombre de plaignants, qu’il ne s’agissait pas de problèmes ponctuels, et que le préjudice était bien réel. L’action pénale a certainement influencé le Conseil d’Etat. » Maître Gandini envisage de saisir un juge d’instruction, vraisemblablement à la rentrée, pour obtenir la reconnaissance du dommage et une réparation symbolique.

Bonnet d’âne pour les fichiers "élèves" de l’Education

[Par TF1 News (avec agence) le 19 juillet 2010 à 13:33]


Si le Conseil d’Etat n’a pas remis en cause l’existence de ces fichiers, il a jugé leur fonctionnement, en l’état, non-conforme à la loi. Une demi-victoire pour les parents d’élèves qui contestent ces fichiers.

Le fichier "Base élèves" est le plus emblématique et le plus contesté des fichiers informatiques établis par l’Education nationale sur les élèves du primaire. Mais il n’est pas le seul. Outre cette base de données remplie par les directeurs d’école et destinée au suivi des parcours scolaires, qui date de 2004, l’Education utilise aussi le fichier BNIE (pour "Base nationale des identifiants des élèves"), créé en 2006, et qui recense l’ensemble des numéros uniques, internes au ministère, attribués aux élèves lors de leur première inscription. Le but étant de faciliter la gestion administrative de leur dossier tout au long de leur scolarité.

Depuis plusieurs années, "Base élèves" est contesté par plusieurs organisations mobilisées dénonçant son caractère intrusif et la possible utilisation de données à des fins policières, dont le Collectif national de résistance à "Base élèves". Face aux critiques, Xavier Darcos, alors ministre de l’Education nationale, avait déjà revu deux fois ce fichier, en l’expurgeant de données à caractère personnel en 2007 (critères ethniques) puis en 2008 (profession et catégorie sociale des parents, situation familiale de l’élève, absentéisme signalé). Des directeurs d’écoles ont refusé de le remplir, au nombre de 200 selon le CNRBE. Pour cette raison, les directeurs des écoles primaires de Prunières et Séchilienne, dans l’Isère, se sont vus retirer leurs fonctions en mars dernier. Et l’affaire est remontée jusqu’au Conseil d’Etat : un recours avait ainsi été déposé le 22 décembre 2008 par Mireille Charpy (ancienne directrice d’école) et Vincent Fristot (parent d’élève), qui demandaient l’annulation de l’arrêté de création de "Base élèves", en se fondant sur de nombreux motifs liés à des vices de procédures et à la violation de la loi ou de conventions internationales.

Des fichiers trop intrusifs

La position du Conseil d’Etat est désormais connue. Et c’est une demi-victoire pour les opposants à "Base élèves". Les Sages ont demandé lundi au gouvernement de rendre les deux fichiers conformes à la loi - sans remettre en cause toutefois leur utilisation. Le Conseil d’Etat a "invalidé sur plusieurs points" les bases de données qui "devront être modifiées afin d’assurer leur conformité à la loi informatique et libertés du 6 janvier 1978", explique la plus haute juridiction administrative dans un communiqué.

D’une part, elle demande la suppression de données relatives à la santé des élèves affectés en classes d’insertion scolaire (Clis, pour les enfants souffrant d’un handicap ou d’une maladie grave, ndlr), collectées dans la première version de "Base élèves". "Par leur précision, ces données permettent de connaître la nature de l’affection ou du handicap dont souffrent les élèves concernés et constituent par conséquent des données relatives à la santé, dont le traitement aurait dû être précédé d’une autorisation de la CNIL" (Commission nationale de l’informatique et des libertés), résume le Conseil. D’autre part, le Conseil d’Etat réclame que soit fixée pour le fichier BNIE "une nouvelle durée de conservation" des données, la durée actuelle de 35 ans étant jugée "irrégulière" car trop longue et injustifiée.

"Observatoire indépendant"

Pour autant, le Conseil d’Etat ne remet pas en cause l’utilisation des fichiers : les "régularisations" demandées sont nécessaires "pour que ces deux traitements puissent, compte tenu de leur utilité, continuer à être mis en oeuvre", dit-il. Le ministère de l’Education nationale a répondu qu’il suivrait les injonctions de la plus haute juridiction administrative, tout en se félicitant que "la légitimité" des deux dispositifs soit "confortée".

Le syndicat enseignant du primaire SNUipp-FSU a estimé que la décision lundi du Conseil d’Etat sur les fichiers informatiques "Base élèves" montrait un manque "de garanties en termes éthiques" sur ce sujet et a demandé "la création d’un observatoire indépendant". La décision "vient confirmer qu’on n’a pas toutes les garanties en termes éthiques sur un fichier destiné à recenser tous les élèves du primaire", a déclaré Sébastien Sihr, secrétaire général du SNUipp-FSU, premier syndicat des professeurs des écoles. "Il faudrait remettre à plat ces questions, par exemple en créant un observatoire indépendant" qui serait "un réel contrôle" et permettrait d’avoir "un regard citoyen" sur l’ensemble des fichiers concernant des élèves, a-t-il ajouté. "Ce serait un signe d’apaisement", selon lui. "Un autre signe d’apaisement" avec la profession serait "que les sanctions à l’encontre des directeurs d’école soient levées", a-t-il demandé.


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