Jean-Charles Huchet, Inspecteur d’académie du département d’Ille-et-Vilaine, a accordé en juillet 2007 un long entretien à la revue Bretagne[s], entretien qui a été relu au cours de l’été (par lui ou son adjoint).
La revue, imprimée début septembre, était disponible en kiosque le 4 octobre [1]. Mais, la veille, le ministère de l’Education nationale, accédant à une demande de syndicats d’enseignants et de parents d’élèves, avait rendu publique sa décision d’abandonner la collecte de la nationalité qui était jusqu’alors obligatoire dans Base élèves. L’entretien de M. Huchet est donc un peu décalé par rapport à la réalité.
Nous avons néanmoins décidé de lui répondre par une lettre ouverte, dans la mesure où la situation ne nous semble pas fondamentalement modifiée par la décision du ministre. Nous reprenons donc ci-dessous certaines des déclarations de M. Huchet — elles sont encadrées — et nous y répondons.
Monsieur l’Inspecteur d’Académie,
Nous avons lu avec soin l’entretien que vous avez accordé récemment à la revue Bretagne[s] au sujet de Base élèves, comme nous avions pris connaissance de vos précédentes déclarations.
Nous vous laissons la responsabilité des sous-entendus dont vous accompagnez le premier objectif assigné à cet « outil ».
« Base élèves va nous permettre de connaître précisément les effectifs, ce que nous ne savons pas faire aujourd’hui avec suffisamment d’exactitude. Un certain nombre d’acteurs syndicaux et de directeurs d’école craignent que les effectifs devenant trop précis, ils n’aient à en subir les conséquences et que, les fantômes qui leur permettaient de maintenir des postes disparaissant, ils voient le nombre de postes réduits. Base élèves nous permettra de retirer des emplois là où ils doivent être retirés, c’est-à-dire là où les élèves ne sont pas et où on croyait qu’ils étaient sur la base des déclarations papier. »
En revanche, nous tenons à vous exposer pourquoi nous ne partageons pas votre sérénité en ce qui concerne le « croisement des fichiers ».
« Je crois qu’il faut éviter de céder au fantasme et ne pas confondre la réalité avec ses engagements et les représentations qu’on peut en avoir. Il faut quand même rappeler qu’il y a un principe général en ce qui concerne la sécurisation de l’information, c’est que les fichiers ne peuvent être connectés que sur la base de ce que prévoit la loi et de ce qu’autorise la CNIL. Il appartiendra au législateur, s’il doit y avoir des croisements, d’en définir les modalités ; pour l’instant ce n’est pas le cas. Il n’y a pas de raison de s’inquiéter. »
Permettez-nous de soulever plusieurs points :
Vous conviendrez avec nous que les parents, qui sont responsables de ce qu’ils font pour leurs enfants, ont des raisons de s’inquiéter !
Devons-nous penser que vous ignorez la loi, quand vous affirmez que « la CNIL a validé cet outil [Base élèves] et donné l’autorisation de sa mise en œuvre. » ? Pour Base élèves, la Cnil a délivré un récépissé mais pas un avis.
Cette façon de procéder repose sur la loi du 15 juillet 2004 qui a modifié la loi Informatique et Libertés du 6 janvier 1978 : depuis lors la Cnil n’a plus le pouvoir de s’opposer à la création d’un fichier d’Etat.
Un peu plus tard, vous êtes interrogé à propos de Base élèves et du système Sconet qui concerne collèges et lycées.
« Scolarité, désormais appelée Sconet, est en fonctionnement depuis 12 ans. Toutes les opérations administratives du second degré sont aujourd’hui réalisées grâce à Sconet : l’application sert par exemple à organiser le brevet des collèges et le baccalauréat. On y gagne en temps et en sécurisation. »
« Certaines autres informations qui y sont inscrites [sur Sconet] peuvent même paraître plus sensibles puisqu’il y a par exemple un renseignement relatif à la religion qui tient au fait que l’application est nationale et qu’elle s’applique à certains territoires qui sont encore sous concordat, comme l’Alsace et une partie de la Lorraine. »
Les Alsaciens-Mosellans seront heureux d’apprendre que la religion de leurs enfants sera ainsi collectée (peut-être l’est-elle déjà sans qu’ils en aient été avisés ?).
Peut-être nous répondrez-vous que ces informations étaient déjà recueillies sur papier dans les écoles des départements d’Alsace-Moselle — mais elles n’étaient pas centralisées comme cela sera le cas avec Base élèves !
Nous vous avouons, Monsieur l’Inspecteur, que, sans vouloir comparer ce qui ne l’est pas, il ne nous est pas possible d’oublier l’utilisation qui a été faite, il y a quelques dizaines d’années, de fichiers centralisés consacrés aux juifs.
Vous ajoutez ensuite :
« Nous sommes en train de travailler sur la bascule entre les deux fichiers [Base élèves et Sconet]. Des tests seront effectués en 2008-2009. Il est prévu que chaque élève ait un identifiant unique qui permettra de suivre toute sa scolarité de la maternelle au lycée. Au moment de sa mise en place, il n’y a eu avec Sconet aucune des difficultés de communication qu’on rencontre avec Base élèves. Contrairement à ce que pensent les directeurs d’école, il ne peut pas y avoir d’exploitation policière des données inscrites dans Base élèves. Il faudrait que la police y ait accès et ce n’est pas le cas. »
Passons sur le fait que la mise au point d’un identifiant unique ne semble pas complètement achevée.
En revanche, nous avouons notre surprise de constater que vous n’avez, semble-t-il, pas mesuré à quel point le comportement des autorités publiques par rapport aux étrangers a changé en quelques années. Il y a dix ans, il n’y avait pas de politique du “chiffre” — pas de “chasse à l’enfant sans-papiers” !
Vous invoquez implicitement les règles qui s’imposent dans une démocratie : la loi s’impose à tous les citoyens, qu’ils soient parents d’élèves ou directeurs.
« Comme nous l’avons dit aux parents d’élèves, vous pouvez avoir des inquiétudes, vous pouvez avoir des demandes d’information mais vous ne pouvez pas vous opposer à l’inscription de vos enfants dans Base élèves. »
« On est dans la fonction publique d’État ; il y a des règles et c’est le ministre qui décide. C’est le rôle des fonctionnaires de mettre en œuvre les directives arrêtées par le gouvernement et qui sont votées par l’assemblée. »
Nous aimerions savoir à quelle loi vous faites allusion quand vous déclarez que les parents d’élèves ne peuvent pas s’opposer à l’inscription de leurs enfants dans Base élèves.
Pour terminer, permettez-nous, Monsieur l’Inspecteur, de rappeler que le recours à la désobéissance civile fait partie du fonctionnement normal d’une démocratie.
Nous vous remercions, Monsieur l’Inspecteur, de l’attention que vous accorderez à notre démarche, et nous vous prions d’accepter l’expression de nos sentiments démocratiques.
PS - Nous ne manquerons pas de publier votre réponse.
[1] La revue est présentée sur son site Internet http://www.revuebretagnes.com/.
Tél : 02 23 46 14 96/97.
L’entretien avec Jean-Charles Huchet y est publié avec l’intitulé « Faut-il avoir peur de Base élèves ?