"Le climat anti-islam provoque un durcissement à l’égard des autres religions", estime le sociologue et historien Jean Baubérot. C’est ce que l’on peut apercevoir derrière les polémiques qui ont suivi l’apparition de crèches dans des lieux publics.
Tous les santons n’ont eu le temps d’arriver que les crèches de Nativité se voient remballées des lieux publics, au nom de la laïcité. Dans l’enceinte du Conseil général de Vendée, le tribunal administratif de Nantes a fait retirer l’installation, tandis que le préfet de l’Hérault enjoint le maire de Béziers, Robert Ménard, de retirer la crèche de Noël qu’il a installée dans sa mairie. Le maire s’y refuse, au nom de la " tradition judéo-chrétienne" de la France.
Pour Jean Baubérot, auteur de La laïcité falsifiée (La Découverte poche, 2014), "une crèche est un symbole religieux qui n’a pas sa place dans les lieux communs publics", comme stipulé dans la loi de 1905. Pourquoi cette interdiction fait-elle alors débat ?
La décision du tribunal s’appuie sur l’article 28 de la loi de 1905. Celle-ci interdit d’imposer des symboles religieux dans des lieux publics et les bâtiments publics, sauf exceptions, comme les bâtiments religieux ou les cimetières.
Cet article fait mention d’une distinction capitale entre les lieux qui symbolisent la collectivité, comme une mairie ou un Conseil général, et où il faut respecter la liberté de conscience de tout le monde, et les lieux qui sont au contraire privés, quoique dans l’espace public, comme par exemple les magasins.
Certes... Or nous sommes dans une situation où la neutralité religieuse est étendue bien au-delà de ce que demandait la loi de 1905. Et cette laïcité beaucoup plus agressive et répressive concerne l’islam. On ne peut donc pas demander un laxisme ou une interprétation souple et libérale par rapport à la loi de 1905 lorsqu’il s’agit du catholicisme, et réclamer quelque chose qui va bien au-delà de cette loi quand il en va de l’islam. La décision du tribunal de Nanterre est donc tout à fait logique.
Tant qu’elle n’a pas été changée, la loi reste la loi. Celle de 1905 a d’ailleurs décidé de garder les fêtes chrétiennes, pour tourner le dos à la politique agressive de la révolution française envers la religion, qui avait changé le calendrier et aboli toutes les fêtes chrétiennes.
La réplique de Philippe de Villiers est pour moi typique de la droite dure, qui ne veut pas appliquer les règles de laïcité au catholicisme sous prétexte de racines chrétiennes, comme en attestait le discours de Nicolas Sarkozy au Latran en 2007.
Philippe de Villiers a par ailleurs déclaré qu’il faudrait bientôt "interdire les étoiles dans les guirlandes de Noël qui décorent nos rues, sous prétexte qu’il s’agit d’un symbole religieux". Or une mairie, ce n’est pas la rue ! Il fait l’amalgame pour faire paraître cette décision comme totalitaire. Il faut donc être vigilant, sinon il pourrait y avoir une ré-officialisation feutrée du catholicisme, sous prétexte d’identité culturelle.
Une crèche symbolise vraiment la Nativité, elle n’a donc pas sa place dans les lieux communs publics, qui représentent la collectivité, avec sa diversité de croyances et d’incroyance. Et je dirais même que l’associer à quelque chose d’uniquement traditionnel et folklorique, c’est manquer de respect à la religion catholique.
Il y a malheureusement une islamophobie institutionnelle, qui s’est développée sous Nicolas Sarkozy. L’ancien président était même allé jusqu’à se prononcer sur l’interdiction des minarets en Suisse ! Aujourd’hui, la gauche peine à faire un réel virage. Elle n’a par exemple pas réinstauré la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde), supprimée sous Nicolas Sarkozy. La Halde empêchait pourtant que la loi de 2004 ne déborde de son objet, strictement lié à l’école publique, primaire et secondaire.
Or, dès le moment où un climat anti-islam s’instaure, il y a, par ricochet, un durcissement à l’égard des autres religions, qui aboutit à un climat d’intolérance générale dangereux pour les libertés publiques.
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