Deux rapports ont été remis mercredi 20 septembre 2006.
La commission « de réflexion juridique sur les relations des cultes avec les pouvoirs publics », mise en place en novembre 2005 par le ministre de l’intérieur, Nicolas Sarkozy, et présidée par le professeur de droit Jean-Pierre Machelon, préconise un "toilettage" de la loi de 1905 portant séparation des Eglises et de l’Etat.
D’autre part, André Rossinot, coprésident du Parti radical, recommande l’adoption d’une « charte de la laïcité dans les services publics ».
Vous trouverez ci-dessous, pour information, la tribune de Nicolas Sarkozy publiée le 20 septembre 2006 dans La Croix, puis une synthèse des préconisations du rapport Machelon publiée le 26 septembre 2006 sur le site Observatoire du communautarisme.
Le rapport Machelon propose d’autoriser les communes à subventionner la construction de lieux de culte sur leur sol. [1]
Le débat sur la loi de 1905 est rouvert. Un rapport remis mercredi 20 septembre au ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy, en charge des cultes, propose d’autoriser les communes à subventionner directement la construction de lieux de culte sur leur sol. Cette mesure-phare de la commission Machelon est d’ores et déjà contestée par certains qui y voient une remise en cause du principe de laïcité.
Moins d’un an après les célébrations du centenaire de cette loi emblématique de la République, organisant la séparation des Eglises et de l’Etat et posant les jalons de la laïcité à la française, la commission présidée par Jean-Pierre Machelon, professeur des universités, met donc les pieds dans le plat.
D’autant que ce rapport a été remis à Nicolas Sarkozy, certes ministre de l’Intérieur et des Cultes, mais aussi très probable candidat à la présidentielle de 2007 et surtout chaud partisan d’une modification de la loi de 1905 pour favoriser justement le financement public des lieux de culte, notamment musulmans. Or, ce sujet ultra-sensible divise la classe politique.
Déficit structurel
Dans son rapport, la commission Machelon s’attache d’abord à relativiser la portée du fameux article 2 de la loi de 1905 ("La République ne reconnaît, ne salarie et ne subventionne aucun culte"). Elle estime que "l’interdiction de subventionner les cultes n’est pas un principe fondamental reconnu par les lois de la République" puisque de nombreuses dérogations y ont été apportées par la suite.
Elle souligne également que des religions très peu présentes sur le sol français il y a un siècle -notamment Islam et mouvements évangéliques- font face aujourd’hui à un "déficit structurel en matière d’équipements cultuels".
Le rapport Machelon propose donc soit de "modifier la loi de 1905", soit d"’insérer dans le code général des collectivités territoriales (CGCT) la possibilité, pour les communes et leurs groupements, d’accorder des aides à la construction de lieux de culte". Et, cela, sans fixer de "plafond légal" pour ces aides, les membres de la commission préférant en la matière "faire confiance à l’esprit de responsabilité des élus locaux".
Cimetière
Le président Machelon reconnaît que le feu vert au financement public des lieux de culte n’a pas fait l’unanimité des membres de sa commission. "Tout le monde n’est pas d’accord, mais la majorité l’est", a-t-il déclaré dans une entretien à l’Associated Press, avant d’assurer qu"’il n’y a pas de révolution là-dedans" puisque "la loi de 1905 a déjà été modifiée 13 fois".
Sur la question hautement symbolique des carrés confessionnels dans les cimetières, la commission se montre beaucoup plus prudente. Constatant que "le regroupement de fait de sépultures, comme somme de décisions individuelles, n’est pas prohibé par la loi", elle se contente de dire qu"’une telle approche (lui) apparaît à première vue satisfaisante".
Refusant d’entériner dans la loi "la séparation physique du carré", elle suggère en revanche de modifier l’article du CGCT relatif aux concessions funéraires pour que, "lorsque l’étendue des cimetières le permet", il puisse être tenu compte "des convictions religieuses exprimées par les demandeurs".
Interrogé sur la question, M. Machelon estime que "la population française n’accepterait pas" l’institutionnalisation de véritables carrés confessionnels dans les cimetières.
Un an après les célébrations du centenaire de la loi de 1905, deux rapports m’ont été remis hier. André Rossinot a travaillé sur la laïcité dans les services publics. Une commission d’experts, présidée par le professeur Jean-Pierre Machelon, a étudié les relations juridiques entre les cultes et les pouvoirs publics. Rédigés au terme de nombreuses auditions, ces deux rapports abondent en propositions. Je voudrais, en quelques mots, les commenter ici.
Car la commémoration de la loi de 1905 avait laissé, me semble-t-il, un goût d’inachevé. Partout en France, des colloques ont marqué l’attachement des Français aux grands équilibres de la laïcité. Autour de trois idées : la neutralité de l’État, la liberté des cultes, et le droit de croire ou de ne pas croire. Mais ces trois idées républicaines, comment les faire vivre aujourd’hui, alors que le paysage religieux de 2006 n’est plus celui de 1905 ? La question est restée sans réponse. Pour ma part, je crois qu’il faut faire vivre la laïcité en n’hésitant pas à rappeler ses principes fondamentaux et, dans le même temps, à adapter les textes aux réalités de notre temps.
Que l’on me comprenne bien : je ne suis évidemment le porte-parole d’aucune religion. Mais je suis un ministre de l’intérieur et des cultes désireux, de toutes mes forces, de favoriser un vrai dialogue, profond, sincère, utile, entre les religions et la République. Ma République, ce n’est pas une République désincarnée, une statue figée dans le marbre froid, une nostalgie littéraire ou une abstraction décrite dans les livres. Ma République, c’est une République vivante, faite de chair, de cœur et de couleurs, une République multiple, riche de sa diversité. C’est donc une République qui reconnaît le droit de croire ou de ne pas croire. Et qui se donne les moyens de garantir concrètement l’égalité entre les cultes.
Ce qui importe, en effet, c’est qu’il n’y ait pas en France de citoyens de seconde zone qui seraient « moins égaux » que les autres et qui, par contrecoup, se replieraient vers leur communauté. Une identité humiliée, c’est une identité radicalisée. Pour lutter contre l’intégrisme et le communautarisme, il faut que toutes celles et tous ceux qui ont la foi, puissent la vivre et la pratiquer en toute égalité. Oui, il n’y a que des Français, égaux devant la loi, également respectables, également dignes de croire ou de ne pas croire, de pratiquer leur foi s’ils le souhaitent, à la seule condition de respecter l’ordre public.
C’est dans cet esprit que j’ai lu les rapports d’André Rossinot et de Jean-Pierre Machelon.
Comme André Rossinot, il me semble tout à fait nécessaire de rappeler, dans les services publics, les exigences qui s’attachent au respect du principe de laïcité. À l’hôpital, il faut interdire aux patients de récuser un médecin pour des raisons religieuses. À l’école, il faut mieux lutter contre les « déscolarisations sélectives » pratiquées par des familles refusant que leurs enfants suivent certains cours. Dans le même temps, l’enseignement de la laïcité et du fait religieux doit être encouragé, à l’école publique, sans s’immiscer dans l’interprétation des textes sacrés, mais pour apprendre aux élèves la tolérance et le respect des grandes religions.
Une autre idée avancée par André Rossinot me semble essentielle. Pour promouvoir la laïcité, nous pourrions diffuser largement une « charte de la laïcité et de la citoyenneté », dans les écoles, lors des retraits de cartes d’électeur ou des journées d’appel de préparation à la défense... Elle devrait également être remise aux étrangers dans le cadre du « contrat d’accueil et d’intégration » que j’ai fait adopter dans la loi sur l’immigration choisie.
Faire vivre la laïcité, c’est aussi adapter le droit des cultes aux réalités de notre temps. C’est l’apport de la commission présidée par Jean-Pierre Machelon que de soumettre au débat public, pour la première fois, une étude systématique des relations juridiques entre les cultes et les pouvoirs publics. La commission a le mérite de poser sans détour des questions essentielles et de proposer des pistes pour l’action - dans le cadre de notre Constitution, mais sans s’interdire de réfléchir à des ajustements législatifs.
La première question est celle du financement de la construction des lieux de culte. Je suis d’accord sur le constat. Il n’est pas juste que les fidèles des confessions en expansion récente sur notre territoire, l’islam sunnite et le christianisme évangélique, rencontrent des difficultés pour pratiquer leur culte. La loi de 1905 a organisé, en réalité, le financement public de l’immobilier affecté aux cultes qui étaient présents en France à l’époque du vote de la loi - et c’est très bien ainsi. Mais les cultes les plus récemment installés en France ne bénéficient pas, eux, d’un tel effort national. Et ils sont contraints, trop souvent, de recourir à des montages juridiques hasardeux et à un financement venant de l’étranger. Cela n’est satisfaisant ni pour les cultes, ni pour l’ordre public.
La commission Machelon propose d’abord une palette de mesures techniques qui permettraient de rendre plus aisé et plus transparent le financement de la construction des lieux de culte : bail emphytéotique avec option d’achat, garanties d’emprunt, avances remboursables. Et elle suggère d’aller plus loin, en autorisant les communes à subventionner directement la construction de lieux de culte. Des élus de tous bords y sont favorables. D’autres, je le sais, sont réticents. Sur ce point essentiel comme sur la question de l’aménagement de « carrés confessionnels » au sein des cimetières communaux, je souhaite qu’un vrai débat ait lieu. C’est pourquoi, comme ministre des cultes, j’adresse aujourd’hui le rapport Machelon aux responsables des grandes religions de France, ainsi qu’aux présidents des associations d’élus locaux, afin de recueillir leur point de vue.
J’entends, dans les mois qui viennent, les inviter à cet égard à un débat sans tabou. Il y va de la liberté de conscience et de l’égalité entre les Français. Il y va aussi de la vitalité de la laïcité, à laquelle nous sommes tous tellement attachés.
Voici, selon l’Observatoire du communautarisme, les principales préconisations de la commission Machelon « de réflexion juridique sur les relations des cultes avec les pouvoirs publics » mise en place par le Ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy en octobre 2005.
1. Les lieux de culte
A - Perfectionner les instruments existants : lever l’incertitude sur le sort réservé aux édifices cultuels au terme des baux emphytéotiques administratifs (pour) permettre à toute association de conclure un bail emphytéotique administratif en vue de la construction d’un édifice du culte ouvert au public (...) ; généraliser les garanties d’emprunt à tout le territoire (...) ; prévoir la possibilité pour les collectivités territoriales d’octroyer des avances remboursables aux associations prenant en charge la construction d’édifice du culte (...) ;
B - Autoriser formellement l’aide directe à la construction de lieux de culte. (...) Deux voies pourraient être empruntées (...) : modifier la loi de 1905, soit en insérant un nouvel article dans son titre III (« Les édifices du culte »), soit en étendant à la construction des édifices affectés au culte public la dérogation pour les « réparations » ; (...) insérer dans le code général des collectivités territoriales la possibilité, pour les communes et leurs groupements, d’accorder des aides à la construction de lieux de culte. (...)
Pour les édifices du culte bénéficiant du régime d’affectation légale : (...) l’affectation cultuelle prévaut et conduit à ne tolérer des activités culturelles à l’intérieur des édifices légalement affectés que dans la mesure où elles sont, tant dans leur nature que dans leur mode d’organisation, compatibles avec cette affectation cultuelle. (...)
2. Le support institutionnel de l’exercice du culte
(...) La commission considère que le régime des associations de 1905 doit être préservé. Elle ne préconise donc pas leur banalisation, (mais juge) au contraire indispensable de renforcer leur spécificité, en veillant toutefois à ne pas les enfermer dans un cadre excessivement contraignant. Il convient également d’assouplir leur fonctionnement afin de l’adapter à la réalité contemporaine de l’exercice du culte. (...) La commission recommande que les associations à objet cultuel (lois de 1901) qui le souhaitent puissent se transformer, sans incidence fiscale, en associations cultuelles de la loi de 1905. (...) À plus long terme, la majorité des membres de la commission estime que devrait être envisagée la création d’une forme particulière de reconnaissance d’utilité publique pour les activités religieuses. Cette « reconnaissance » serait ouverte à toute association à objet religieux, y compris les associations cultuelles de la loi de 1905. (...)
3. La protection sociale des ministres du culte
(...) La commission a pu constater qu’en dépit de son manque de lisibilité, dû à la sédimentation historique dont il résulte, le régime de protection sociale des ministres du culte tel qu’il se présente actuellement n’est pas remis en cause par ses usagers. (...) Néanmoins, pour répondre à la diversité de statuts auxquels renvoie la notion de ministre du culte, le système actuel doit être assoupli et rendu plus lisible et plus accueillant. Le rôle fédérateur de la Cavimac doit être réaffirmé, ne serait-ce que pour améliorer les conditions de son équilibre financier. (...)
4. La législation funéraire
(...) Le principe, au demeurant très légitime, du respect de la conviction religieuse doit être combiné avec le droit au regroupement des familles dans la mort. Il convient donc de veiller à ce que les familles ne soient pas séparées contre leur gré. (Mais) la séparation physique du carré avec le reste du cimetière ne paraît pas davantage pouvoir être envisagée dans la mesure où elle entérinerait l’existence d’un espace réservé d’inspiration communautariste. (...) Il vaudrait mieux, à tout prendre, privilégier l’extension de cimetières privés plutôt que d’imposer aux maires l’aménagement de véritables espaces confessionnels dans les cimetières communaux. Une privatisation d’un espace public comme un cimetière communal ne paraît pas acceptable. (...)
5. Les régimes particuliers à certains territoires
Le rapport est téléchargeable : http://www.ladocumentationfrancaise....
En voici le sommaire :
Chapitre 1 : Les lieux de cultes
1. Faciliter la construction de nouveaux édifices du culte
A. Les marges de manœuvre du législateur pour faciliter la construction des lieux de culte
B. Les solutions préconisées
- Perfectionner les instruments existants
- Autoriser formellement l’aide directe à la construction de lieux de culte
- Engager une réflexion sur la mise en oeuvre du droit de l’urbanisme
2. Garantir l’affectation des biens cultuels
A. Les édifices appartenant à une personne privée
B. Les édifices du culte bénéficiant du régime d’affectation légale
C. Les édifices du culte appartenant à une collectivité publique qui ne bénéficient pas du régime d’affectation légale
Chapitre 2 - Le support institutionnel de l’exercice du culte
1. Ne pas enfermer les associations cultuelles dans un cadre excessivement contraignant
A. Faire disparaître les contraintes qui pénalisent sans justification les associations cultuelles
B. Eviter l’apparition de contraintes fortuites pesant sur les associations 19052. Assouplir le fonctionnement des associations cultuelles
A. L’élargissement de l’objet des associations cultuelles
B. Mettre fin à l’étanchéité financière entre les associations cultuelles et les associations régies par la seule loi de 1901
C. Faciliter la constitution et le financement d’union d’associations3. Accroître l’ attractivité du statut d’association cultuelle
Chapitre 3 – La protection sociale des ministres du culte
Chapitre 4 – La législation funéraire
1. Les carrés confessionnels
2. Autres questions liées aux rites funéraires
Chapitre 5 - Les régimes particuliers à certains territoires
1. L’Alsace-Moselle
2. La Guyane
[1] Référence : AP.
[2] Référence : http://www.communautarisme.net/Les-... , jeudi 21 Septembre 2006.
[3] En juillet, plusieurs universitaires strasbourgeois, parmi lesquels Francis Messner, membre de la commission Machelon, Jean-Luc Hiebel, Jean-Marie Woehrling et Florence Benoit-Rohmer, ont déposé les statuts d’une "association pour la création d’un centre d’enseignement de théologie musulmane pour la formation d’aumôniers et cadres religieux musulmans".
Cette association pourrait être le point de départ d’un futur institut de théologie musulmane, qui serait financé sur fonds publics dans le cadre concordataire. En prélude à ce projet, un colloque international sur la formation des cadres religieux musulmans aura lieu à Strasbourg, le 30 novembre.
[Le Monde, 22 septembre 2006]