"L’Islam, la République et le monde" par Alain Gresh


article de la rubrique laïcité
date de publication : lundi 10 janvier 2005
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Dans son dernier ouvrage Alain Gresh [1]
nous invite à une réflexion sur la notion du « vivre ensemble ».

Ci-dessous la présentation de ce livre par Jean-Paul Piérot, suivie d’un entretien avec Alain Gresh - parus dans l’Humanité du 3 décembre 2003.


Dans le livre qu’il vient de publier, l’Islam, la République et le monde, Alain Gresh, rédacteur en chef du Monde diplomatique, et fin connaisseur de l’histoire arabo-musulmane, nous invite à mesurer à quel point la notion du « vivre ensemble » dans la République n’est pas sortie indemne du « choc des civilisations ». Un glissement qui s’est opéré dans les consciences. De nombreux écrits, estime Alain Gresh, « ont en commun de penser l’islam comme fondamentalement différent de l’Occident, d’ontologiquement autre ».

Une dérive dangereuse, argumente l’auteur, qui impose une grille de lecture simpliste et généralisante de toutes les contradictions. À cette aune, le conflit au Proche-Orient n’aurait plus rien à voir avec l’occupation militaire des territoires palestiniens par Israël, la cause de tensions opposant des jeunes à des policiers ne devrait plus être recherchée dans les discriminations au faciès par exemple. Tous ces désordres ne seraient que l’expression du « choc des civilisations ». En considérant rétrospectivement les trois années qui viennent de s’écouler, se dégage l’impression que le 11 septembre a « libéré » une parole. « Islam : ce que l’on n’ose pas dire ! » titrait l’Express. Le rejet de l’islam et de ses fidèles, considère Alain Gresh, « se confond en partie avec le vieux racisme anti-arabe et anti-maghrébin, mais il le dépasse, car beaucoup de ceux qui perçoivent l’islam comme une menace s’indigneraient qu’on les accuse de racisme ».

L’auteur met en garde contre les confusions largement répandues : entre l’islam politique au pouvoir sous diverses formes et les islamistes reconvertis dans des partis classiques comme l’AKP en Turquie, le conservatisme religieux qui s’est développé dans la plupart des pays arabes, et enfin avec le terrorisme du type al Qaeda qui renforce la peur dans les populations occidentales et apporte de l’eau au moulin de la politique de Bush.

Mais tout cela est trop souvent amalgamé comme un opprobre jeté sur toute une partie de la population, considérée comme musulmane, et incluant plusieurs générations d’hommes et de femmes, croyants ou non, originaires essentiellement du Maghreb. Alain Gresh détaille les discriminations et les injustices qui les frappent particulièrement, dans l’emploi, le logement, les loisirs Elles expliquent pour une large part le repli sur elle-même d’une partie de cette jeunesse, et la recherche d’une identité - ethnique et communautaire - alternative à celle que la République lui refuse. Quiconque garde à l’esprit cette réalité peut lire les souffrances d’une partie de la - population française selon une grille plus fine... Et plus humaine.

Ce livre provoquera le débat. Sans reculer devant la polémique, l’auteur aborde les questions qui prêtent à controverse, sur l’affaire du foulard, la laïcité, la commission Stasi, le CFCM. Le lecteur y trouvera nombre d’éléments historiques à propos de l’islam sur lequel Gresh porte un regard laïc, rejetant les fantasmes. Mais ce souci légitime d’Alain Gresh de comprendre avant (ou au lieu) de condamner, l’entraîne parfois, à son corps défendant, à positiver excessivement certaines mesures tout à fait relatives. Ainsi, nous ne pouvons le suivre quand la proposition énoncée par Tariq Ramadan de « moratoire » concernant la lapidation est présentée davantage comme la volonté de faire abandonner cette pratique révoltante aux islamistes d’Iran ou d’Arabie saoudite, que comme l’acceptation de ce crime. La libération de la femme est-elle compatible avec l’islam politique au pouvoir dans plusieurs pays, ce thème nourrira des discussions passionnées.

Enfin Alain Gresh plaide pour la construction d’une « mémoire commune », qui engloberait l’histoire de la Révolution et celle de la IIIe République, celle de l’immigration et du mouvement ouvrier, la Seconde Guerre mondiale, le génocide des juifs et la colonisation. Et d’interroger : « Pour tous ceux qui, Français et immigrés, souffrent d’un système injuste et que l’on cherche à diviser sur des bases ethniques et religieuses, est-ce faire preuve d’une ambition démesurée ? »

Jean-Paul Piérot

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Un entretien avec Alain Gresh réalisé par Jean-Paul Piérot

L’islam, la République, le monde, ces questions continuent de provoquer des débats passionnés dans la société française et dans le mouvement progressiste.Après les entretiens publiés avec Ghaled Benscheikh, Caroline Fourest, l’Humanité poursuit l’éclairage de ces questions avec un nouveau regard, celui d’Alain Gresh, rédacteur en chef du Monde diplomatique.

Le premier chapitre de votre livre, l’Islam, la République et le monde pose la question du « choc des civilisations ». Cette théorie lancée aux États-Unis et largement diffusée après le 11 septembre 2001 n’est pas, pensez-vous, sans effet dans l’Hexagone, bien que l’opinion publique n’ait jamais pour autant soutenu la guerre de Bush. Comment évaluez-vous la situation ?

Alain Gresh. La théorie du choc des civilisations, on peut la condamner comme un concept dangereux, et en même temps constater que cette idée est en train de gagner du terrain, des deux côtés. Dans les pays occidentaux, de plus en plus de gens voient l’islam comme une menace, et dans le monde musulman, les gens sont de plus en plus nombreux à penser qu’ils sont victimes d’une agression du monde occidental, chrétien, juif, etc. Oui, le choc des civilisations est un danger. Je conteste qu’il y ait une civilisation occidentale et une civilisation musulmane qui soient des civilisations fermées l’une à l’autre, et qui permettraient de « classer » chaque individu. Il y a un milliard deux cents millions de musulmans environ. Ils sont majoritaires dans une soixantaine de pays et sont présents dans beaucoup d’autres. Ils ont des modes de vie, des engagements politiques et sociaux d’une extrême diversité. Essayer de réduire cette diversité dans une espèce de tronc commun qui serait un islam éternel, inchangé depuis quatorze siècles, dont on pourrait déduire la manière dont se comporte un musulman en France, en Arabie saoudite ou en Indonésie ne correspond pas à la réalité. La vie des musulmans, dans la plupart de ses aspects, n’est pas régie par des « principes musulmans ».


Si on compare le débat tel qu’il se développe actuellement avec les idées qui prévalaient en France il y a seulement vingt ans, peut-on parler de régression ?

Alain Gresh. Dans le débat français, ce qui me frappe, c’est le tournant qui s’est produit dans les années quatre-vingt. Les médias se sont mis à parler des immigrés non plus comme une des parties exploitées de la classe ouvrière mais comme des gens fondamentalement différents. Le problème était de savoir à quelles conditions « ils » pouvaient devenir français. La question sociale a été remplacée par la question ethnique, par la question de l’identité. Actuellement, c’est cette vision qui s’affirme et c’est dangereux. Ceux que l’on nomme les musulmans sont, dans leur majorité, une partie des classes laborieuses, stigmatisée par le racisme, alors que la droite - et une partie de la gauche - essaie de réduire leurs problèmes à une dimension religieuse ou culturelle.


Question ethnique, mais aussi question religieuse, ne trouvez-vous pas choquant la désignation de toute une partie de la population par un présupposé religieux ?

Alain Gresh. Il y a trente ans, en effet, tout le monde parlait des immigrés, aujourd’hui on ne parle que de musulmans. Quand il y a un problème dans une cité, on ne l’identifie plus comme un problème social, mais comme un problème ethnique, lié à la « culture » des habitants. C’est très grave. C’est dans ce contexte que l’on constate chez cette partie de la population une réappropriation de l’identité musulmane, alors qu’auparavant, en général, ils ne se déclaraient pas musulmans. C’est le résultat de l’échec de l’intégration sociale. Dans les années quatre-vingt, avec la « marche des banlieues », des citoyens d’origine maghrébine frappaient à la porte de la République et disaient : « On est français. » Vingt ans après, globalement, leur situation n’a pas changé. Donc, il y a eu cette réappropriation d’identité. On a connu ce phénomène avec de précédentes vagues d’immigration : une génération se réappropriant une identité que leurs parents eux-mêmes avaient abandonnée.

Oui, mais dans les vagues précédentes, l’intégration s’est réalisée plus vite. On n’employait pas le contresens « immigrés de la troisième, voire quatrième génération » ?

Alain Gresh. Il y a eu des manifestations de xénophobie au XIXe siècle à l’encontre des immigrés belges ou italiens. Mais il n’y a jamais eu de cas où l’on a parlé d’immigrés de troisième ou de quatrième génération. Pourquoi ? Parce que l’intégration s’est faite par le travail, notamment dans les grandes usines, les mines, la sidérurgie, etc. Cela permettait d’unifier la classe ouvrière et de dépasser le racisme. Aujourd’hui, avec l’évolution de la structure de l’emploi et la disparition des grandes concentrations ouvrières, cette intégration dans les usines ne se fait plus. Par ailleurs, il y a eu échec de la gauche, et notamment du Parti communiste, dans la période la plus récente, à comprendre que ces immigrés étaient une partie de la classe ouvrière et que, comme les Espagnols, les Italiens, les Portugais, les Polonais, les juifs d’Europe centrale, qui furent une base essentielle de l’influence du PCF, les immigrés maghrébins auraient dû aussi le devenir. Le PCF, la CGT, le mouvement ouvrier ont été un extraordinaire ascenseur social pour nombre de cadres ouvriers issus de l’immigration, mais très peu pour les immigrés d’origine maghrébine.


La réalité est plus contrastée, car une partie, trop faible évidemment, des jeunes est parfaitement intégrée. Vous indiquez dans votre livre que, par exemple, à situation sociale égale, les enfants d’origine immigrée ont statistiquement de meilleurs résultats scolaires que les autres enfants.

Alain Gresh. Bien sûr, mais l’ambiance de stigmatisation actuelle vise également ceux qui, par ailleurs, se sentent intégrés. On ne peut davantage définir les musulmans qu’on ne peut définir les juifs. On devrait dire : est musulman celui qui se déclare musulman. Mais dans le cadre de la campagne islamophobe qui s’est développée, je suis frappé par le nombre de jeunes qui, en réaction, s’affirment musulmans. L’un d’eux m’a déclaré : « Je suis musulman athée ». Il y a une telle stigmatisation qu’il veut se sentir solidaire, tout comme un juif athée qui insistera sur sa judaïté pour ne pas faire de cadeaux aux antisémites. Au lieu de renforcer l’intégration, le type de débat que nous avons eu dans la dernière période a abouti à une stigmatisation qui renforce la cohésion d’une communauté musulmane imaginaire et qui favorise du même coup les groupes les plus extrémistes.


Parlons des groupes extrémistes. N’y a-t-il pas risque de sous-estimation de leur activisme auprès des jeunes ?

Alain Gresh. Je pense que les groupes extrémistes sont assez peu influents. L’affaire d’Aubervilliers, qui a déclenché la polémique sur le voile, a fait grand bruit, non pas parce que les deux jeunes filles étaient membres de groupes islamistes, mais en raison de leur origine familiale - un père avocat se déclarant juif et athée. Les groupes extrémistes ou terroristes relèvent de la police. Il y a aussi des groupes très réactionnaires, qui ne sortent pas du cadre de la loi, mais qui prônent l’enfermement des communautés. C’est là le danger le plus important. Ils disent aux musulmans : « Les chrétiens ne nous aiment pas. Vivons entre nous. » Ce phénomène est favorisé par la ghettoïsation sociale et par le discours islamophobe. Quand vous allez dans un quartier où vivent une grande majorité de musulmans, vous ne pouvez pas leur reprocher de se ghettoïser. Ce n’est pas le communautarisme qui crée les ghettos, c’est l’inverse.

Et puis il y a d’autres groupes qui prônent l’intégration dans la société française. Le problème, c’est qu’on exige d’eux des conditions qu’on n’exige pas des autres. Par exemple, les juifs loubavitch expriment leur foi et ils ont parfaitement le droit de le faire, même si leur conception de la place des femmes est loin d’être progressiste. Qu’il y ait des groupes religieux qui ont une lecture rigoriste, cela est vrai ; je peux les critiquer mais non les interdire car nous sommes dans une société de droit. On doit exiger, tout simplement, de tout un chacun le respect de la loi - mais on a le droit, parce que nous sommes une société démocratique, de se battre pour la changer. Rappelons d’ailleurs que la République a amendé, dès 1906, la loi de séparation de l’Église et de - l’État pour éviter un conflit avec le catholicisme sur la gestion des lieux de culte. La République a joué sur l’évolution de l’Église catholique et elle a eu raison. Il a fallu quarante ans pour que l’Église catholique se rallie à la laïcité, alors que toutes les composantes du Conseil français du culte musulman se sont toujours prononcées pour la laïcité.

Considérez-vous comme un progrès la constitution du CFCM ?

Alain Gresh. Je suis partagé. Je pense qu’on a besoin d’une représentation du culte musulman pour régler certains problèmes relevant du culte - aumôniers, carrés musulmans dans les cimetières, etc. Mais le CFCM ne doit pas être une représentation des musulmans, seulement de la religion musulmane. Et il y a là une ambiguïté avec laquelle joue le pouvoir. D’autre part, des doutes subsistent sur la capacité du CFCM à agir de manière autonome par rapport à l’État français comme par rapport aux États étrangers.


Le débat sur le voile traduisait aussi le refus de l’oppression des femmes musulmanes.

Alain Gresh. On ne peut pas mettre sur le même plan la situation des femmes musulmanes en France et dans les pays où l’islam est majoritaire. Je suis athée et regarde les textes religieux pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire qui ont été soumis à de multiples interprétations au cours de l’histoire. La situation des femmes dans le monde musulman est très dure, parfois dramatique, mais elle l’est plus généralement dans le tiers-monde (et aussi, sous d’autres formes, chez nous, ne l’oublions pas trop vite). Pourtant, dans le monde musulman, en généralisant, on assiste à des évolutions : les femmes ont plus qu’auparavant une activité professionnelle ; elles accèdent davantage à l’université où elles sont souvent majoritaires, les familles sont plus réduites. Ces avancées suscitent des réactions très négatives, portées parfois au nom de la religion. La question est la suivante : comment faire pour changer ? Au Maroc existait un Code de la famille ultra-réactionnaire. Il y a quatre ans, le gouvernement de l’Union socialiste des forces populaires a voulu le supprimer. Il a eu contre lui une partie importante de la société et il a échoué. Cette année, le roi fait pratiquement la même réforme. Mais chaque amendement est justifié par un verset du Coran. Le nouveau code marocain ne supprime pas formellement la polygamie, mais en même temps il la rend pratiquement impossible. J’aurais préféré que Mohammed VI fasse ces réformes au nom d’autres principes, plus universels, mais je prends acte que le nouveau code est une avancée importante pour les femmes marocaines, accepté par toutes les forces politiques, y compris les islamistes.

Il ne faut pas non plus avoir une vision simpliste de la question du voile. Quand j’étais enfant, en Égypte, pratiquement aucune femme ne portait le voile. Aujourd’hui, elles le portent presque toutes. Cela ne signifie pas qu’elles sont devenues intégristes. À part l’Arabie saoudite et l’Iran, nul pays musulman ne l’impose. Bien sûr, il y a la pression sociale, mais il y a aussi d’autres dimensions, notamment identitaires. Comment d’ailleurs concilier le foulard avec les progrès que j’ai évoqués ? Prenons un exemple dans l’histoire de France : au XIXe siècle avec le développement des congrégations religieuses, le nombre des religieuses est passé de 10 000 à 100 000. Les femmes renonçaient ainsi à toute vie maritale. Pourtant, à une époque où triomphait le Code Napoléon - qui instaurait le caractère mineur des femmes -, les congrégations furent une des voies pour l’émancipation, car elles ont permis à ces religieuses de travailler dans les hôpitaux, les écoles, alors que les femmes ne travaillaient pratiquement pas. Cela a habitué une société très réactionnaire à accepter cette évolution. Les voies de l’histoire sont parfois surprenantes. C’est illusoire de croire que toutes les sociétés doivent passer par les mêmes voies et qu’on peut les leur imposer de l’extérieur. Le but, celui de l’égalité entre hommes et femmes, est le même, les chemins pour y parvenir sont différents.


La loi sur la laïcité a été votée. Ses adversaires faisaient valoir qu’elle risquait de provoquer un climat très difficile à la rentrée. Visiblement, cela n’a pas été le cas. Qu’en pensez-vous ?

Alain Gresh. Il y a eu relativement peu de situations de conflits, parce que finalement il n’y avait pas beaucoup de cas de port de foulard. Mais même si « seulement » soixante-dix filles ont été expulsées de l’école, j’ai du mal à considérer cela comme une victoire de la laïcité. D’autant qu’une majorité des communautés musulmanes a perçu la loi - et surtout la campagne qui l’a accompagnée - comme une stigmatisation des musulmans. La commission Stasi a fait un certain nombre de propositions, notamment dans le domaine social, mais la seule qui a été appliquée, c’est l’interdiction du foulard à l’école. Tout s’est passé comme si la commission Stasi avait été formée pour faire adopter la loi sur le foulard, et rien d’autre. J’attends encore que tous les gens qui se sont mobilisés pour la loi au nom de la - République se mobilisent avec la même force contre les discriminations. Je constate que, de ce point de vue, rien n’a été fait depuis un an.


Vous parlez d’amnésie du colonialisme et plaidez en faveur d’une nouvelle mémoire. Le passé colonial pèse donc si lourd dans les débats actuels ?


Alain Gresh.
Ce qui fait la singularité du débat français, c’est précisément la question coloniale. Nous ne nous sortirons pas de cette impasse sans un retour sur l’histoire, à la fois de l’immigration et de la colonisation. On a parlé du foulard. Le colonisateur a toujours vu le foulard comme la preuve de l’arriération des Arabes. Durant la guerre d’Algérie, racontait Frantz Fanon, au cours de manifestations pour l’Algérie française de 1958, on a fait venir des jeunes femmes musulmanes et on les a dévoilées. Cela a suscité comme réaction que de nombreuses femmes algériennes se sont voilées. La question du voile s’inscrit donc dans l’histoire de la colonisation. Il est intéressant de remarquer que l’on peut trouver exactement les mêmes qualificatifs concernant les Arabes il y a un siècle et aujourd’hui.

L’un des personnages les plus médiatiques et les plus controversés dans les débats sur l’islam et la République n’est autre que Tariq Ramadan. Il y a une polémique visant le mouvement altermondialiste, qui se voit accusé de coopérer avec un islamiste, après que Ramadan a participé au Forum social européen. Ramadan est soupçonné d’infiltrer le mouvement altermondialiste. Quel est votre sentiment sur cette polémique ?

Alain Gresh. Le terme islamisme comme le terme intégrisme est devenu une espèce d’insulte qui ne permet pas de définir quoi que ce soit, seulement à le discréditer. On peut définir comme islamiste celui qui se réclame de l’islam politique, mais alors cela recouvre Ben Laden, le parti au pouvoir en Turquie, le Hamas, le président iranien Khatami, en passant par les Frères musulmans. Il existe des mouvements qui se réclament de l’islam et qui sont progressistes. Pourquoi cela devrait-il nous étonner ? Après tout, la théologie de la libération, les prêtres ouvriers, l’Opus Dei ou le pape font partie de la même Église. Sur Ramadan, il faut dire d’abord qu’il est victime d’un véritable lynchage médiatique et d’une interdiction de facto de tenir le moindre meeting en France. On l’accuse même de liaison avec al Qaeda, comme si les journalistes qui en parlaient avaient plus d’informations que la police. J’ai lu dans le détail les ouvrages qui lui sont consacrés et, contrairement à beaucoup de ceux qui en parlent, je connais le travail de Ramadan. Je peux vous dire que ces ouvrages - je ne parle même pas du pseudo-reportage d’un pseudo-journaliste diffusé par une chaîne publique - sont un mélange d’ignorance, d’amateurisme journalistique et de mensonges. Les mouvements qui se réclament de la pensée de Ramadan se reconnaissent dans nombre des objectifs du mouvement altermondialiste auquel ils participent ; ils représentent une fraction des jeunes issus de l’immigration qu’il faut intégrer dans la résistance à la société néolibérale. Pourquoi devrions-nous les rejeter ? Bien sûr, j’ai des divergences avec eux, et alors ? J’ai aussi des divergences avec d’autres mouvements qui participent au mouvement altermondialiste. Débattons-en au lieu de propager la haine.

Notes

[1L’Islam, la République et le monde par Alain Gresh, Fayard. 20 euros.


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