la charte de la laïcité à l’école et l’islam


article de la rubrique laïcité
date de publication : mercredi 18 septembre 2013
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La charte de la laïcité à l’école, rendue publique le 9 septembre dernier, semble être bien accueillie, mais des réserves importantes se manifestent – voir le point de vue d’Éric Fassin – et pas seulement de la part de personnes de confession musulmane ou d’organisations proches de l’islam. Dès sa publication, le Défenseur des droits avait d’ailleurs décidé d’interroger le Conseil d’État sur la difficulté de concilier les principes de liberté d’expression religieuse et de laïcité.

Akram Belkaïd observe dans la chronique que nous reprenons ci-dessous que « pour de nombreux musulmans de France la mise en place d’une charte de la laïcité à l’école s’apparente à un acte hostile contre eux et contre leur religion », et que la laïcité est utilisée comme un outil pour « préserver un statu quo en matière de prépondérance d’une religion ».

Quelques jours avant la publication de cette charte, Gabriel Cohn-Bendit avait opportunément rappelé que la laïcité s’impose à l’école et aux enseignants mais pas aux élèves. Et il avait rejoint le questionnement de Jean Baubérot, professeur d’“Histoire et sociologie de la laïcité” à l’École pratique des hautes études, qui se demandait si la laïcité ne serait pas « un cache-sexe pour dissimuler l’islamophobie. [1] »


S’appuyant sur l’avis du Conseil d’État concernant la première loi anti-foulard de 1989 [2], le sociologue Nicolas Bourgoin rappelle que les textes fondateurs définissent la laïcité comme « une obligation concernant les locaux, le programme scolaire et le personnel enseignant, et non les élèves. [3] »

Gabriel Cohn-Bendit : « L’école doit être laïque, mais pas les élèves »

Dans un entretien publié par i>télé le 26 août, Gabriel Cohn-Bendit rappelait que la laïcité s’impose à l’école et aux enseignants mais pas aux élèves [4] :

« Depuis longtemps, je mène une bagarre contre la fausse laïcité qui est aujourd’hui une islamophobie. On pourchasse les petites filles avec foulard. Et ça m’énerve. L’école doit être laïque. Elle n’est pas entre les mains de l’Eglise catholique, d’une idéologie non croyante, marxiste ou tout ce qu’on voudra, ou même laïque, ni d’une autre religion. Mais à l’école, tout le monde vient avec ses croyances. On les confronte, on en parle. Mais cette histoire d’empêcher les signes religieux, c’est une hypocrisie. De même à l’université, moi je suis à l’université, il y avait des curés et des bonnes sœurs qui venaient faire des études. Et alors ? Très bien. »

  • Donc vous êtes d’accord avec la kippa, avec le turban, avec le voile, avec tout ?

« Mais bien sûr, avec tout. Les élèves n’ont pas à être laïques, ils viennent comme ils sont. L’école doit être laïque. Elle est ouverte à tous. Alors, vous vous rendez compte, l’école catholique accepte les jeunes filles avec turban. On se moque de qui ? »

De la laicité et de l’islam en France

par Akram Belkaid, Quotidien d’Oran, le 12 septembre 2013


Le gouvernement français s’en défend mais pour de nombreux musulmans de France la mise en place d’une charte de la laïcité à l’école s’apparente à un acte hostile contre eux et contre leur religion. Il ne faut pas se leurrer : la défiance à ce sujet est réelle d’autant qu’il faudrait être naïf pour nier l’existence d’arrière-pensées des autorités concernant un sujet hautement délicat pour ne pas dire explosif. Car dans ce genre de situation, les procès d’intention sont nombreux. « Islamophobie évidente et intolérable » crient les uns. « Démarche rendue nécessaire par les problèmes rencontrés en milieux éducatifs » répondent les autres en jurant pourtant qu’ils ne visent personne en particulier.

Le mieux, pour juger de l’affaire, est de se reporter à ce document en quinze articles. La première constatation c’est que l’islam n’est jamais cité et que les musulmans n’y sont pas désignés du doigt. Mais, diverses actualités obligent, il est évidemment impossible de lire ce texte sans penser à la religion musulmane et aux diverses tensions qui accompagnent sa présence de plus en plus visible – d’aucuns diront son essor – en France. On pense bien sûr aux affaires liées à l’interdiction du voile dans les établissements scolaires mais aussi à d’autres polémiques si caractéristiques de l’air du temps dans l’Hexagone comme la question de la viande hallal dans les cantines.

Le premier article de la charte stipule que la France, « République indivisible, laïque, démocratique et sociale (…) respecte toutes les croyances ». La République, peut-être, mais cela n’est pas toujours vrai en ce qui concerne ses représentants ou ceux qui aspirent à l’être. Cette réalité alimente bien des rancoeurs. En effet, depuis plus d’une décennie, les discours ouvertement islamophobes ne sont pas le fait de la seule extrême-droite et dans ce contexte l’Etat français n’est pas toujours exempt de reproches.

Le document rappelle ensuite la neutralité de l’Etat vis-à-vis des convictions religieuses ou spirituelles. « Il n’y a pas de religion d’Etat » proclame ainsi l’article deux. Ce principe fondateur né des combats menés au début du XXème siècle pour affranchir l’Etat français du poids de l’Eglise catholique mériterait aujourd’hui une exégèse. Non pas pour le remettre en cause mais pour répondre aux enjeux de l’époque avec notamment une importante communauté musulmane, de nationalité française, qui estime qu’une partie de ses droits lui sont déniés quand elle n’est pas victime d’une stigmatisation récurrente alimentée, il est vrai, par les errements et les excès sanglants de mouvements extrémistes se réclamant de l’islam.

L’absence de religion d’Etat en France est un acquis dont les pays musulmans feraient mieux de s’inspirer (mais ceci est une autre affaire). Par contre, il est des questions auxquels les principes de laïcité tels qu’ils existent aujourd’hui ne répondent pas de manière satisfaisante. L’un des reproches des musulmans français à l’égard de leur Etat – reproche souvent exprimé de manière vigoureuse – est que ce dernier répugne à assurer l’égalité des religions entre elles, estimant que là n’est pas son rôle. Certes, comme le rappelle le troisième article de la Charte, la laïcité « permet la libre expression de ses convictions » - précisant au passage que cela se fait « dans le respect de celles d’autrui et dans les limites de l’ordre public ». Mais qu’en est-il de l’égalité pour ce qui est des conditions et possibilités de pratiquer librement et dignement son culte ? On pense, bien entendu, à la question des constructions de mosquées qui, le plus souvent, s’apparentent à un parcours du combattant comme en témoignent notamment les péripéties juridiques autour du chantier de la future mosquée de Marseille…

Pour de nombreux défenseurs de la laïcité, l’Etat n’a pas à se mêler de l’égalité en matière de conditions de pratique du culte son rôle se bornant à garantir la liberté de conviction religieuse. C’est une position que l’on pourrait comprendre dans un panorama religieux figé mais la France, comme une bonne partie du monde évolue. La place importante de l’islam dont la présence remonte pourtant à moins d’un siècle, l’émergence de nouvelles spiritualités, tout cela ne peut permettre à l’Etat français de se cantonner dans une position défensive pour ne pas dire répressive. Si l’Etat n’a pas à se mêler de religions il est tout de même obligé de veiller à ce qu’aucune d’entre elles ne se considère comme malmenée.

Il est certainement important de défendre la neutralité religieuse de l’école publique et l’exigence d’une application identique des règles pour tous les écoliers. Il est aussi bienvenu de rappeler que « nul ne peut se prévaloir de son appartenance religieuse pour refuser de se conformer aux règles applicables dans l’Ecole de la République » (article 13 de la charte). Mais grande est la conviction chez une bonne partie des musulmans de France que la laïcité est un outil de coercition destinée à préserver un statu quo en matière de prépondérance d’une religion sur l’autre et à empêcher que, finalement, l’islam ne puisse être considéré comme une religion « française » au sens qu’elle ne serait plus « importée » de l’extérieur.

Enfin, il faudrait aussi que l’Etat et ses représentants s’emploient à rappeler que, la laïcité, ce n’est pas la promotion de l’athéisme et le refus des religions. Que la laïcité, ce n’est pas consacrer la critique systématique et la mise en cause des religions au rang de projet de société et de mode de vie. Qu’ils soient chrétiens, juifs ou musulmans, de nombreux croyants se sentent aujourd’hui pointés du doigt par toute une machinerie médiatico-intellectuelle dont la conception de la laïcité semble pour le moins des plus restrictives.

Le défenseur des droits :
« il est urgent de préciser la règle du jeu [5] »

Dès la publication par le Ministre de l’Education Nationale d’une charte de laïcité dans les établissements scolaires publics, et devant la difficulté de concilier les principe de liberté d’expression religieuse et de laïcité le Défenseur des droits, Dominique Baudis, a décidé de demander au Conseil d’Etat d’apporter les « clarifications nécessaires » sur deux points qui ont provoqué des débats à l’intérieur de la société française.

  • Il rappelle « la question des mères accompagnatrices de sorties scolaires » et plus généralement des collaborateurs bénévoles ou occasionnels du service public.
  • Revenant sur le cas de la crèche Babyloup, le Défenseur des droits demande que soit précisée la « frontière » entre « les structures privées exerçant une mission de service public soumise au principe de neutralité [...], et les structures poursuivant une mission d’intérêt général qui sont dispensées de ce principe de neutralité ».

Notes

[2Avis n° 346893, du 27 novembre 1989, relatif au « Port du foulard islamique » :
http://www.conseil-etat.fr/media/do....

[3Nicolas Bourgoin, « l’Islam (une fois de plus) dans le viseur » : http://bourgoinblog.wordpress.com/2..., publié le 13 septembre 2013.

[4Voir le début de la vidéo de itélé où Gabriel Cohn-Bendit, invité de Laurence Ferrari, évoque son livre Pour une autre école (Ed. Autrement) : http://www.itele.fr/chroniques/invi....

[5Communiqué du Défenseur des droits : http://www.defenseurdesdroits.fr/si....


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