promouvoir le laïcité, combattre le racisme et l’antisémitisme


article de la rubrique laïcité
date de publication : mardi 7 juin 2005
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Résolution adoptée par le 83ème congrès de la LDH, à Lille, le 5 juin 2005 [1]


Il y a un siècle, la France a affirmé sa propre voie vers la liberté de conscience et
l’émancipation du pouvoir politique de toutes les religions, en adoptant la loi de séparation
des Églises et de l’État. De 1880 à 1905, la République avait libéré l’enseignement de la
tutelle de l’Église catholique, reconnu les syndicats et le droit d’association, rétabli le divorce
et proclamé la laïcité des institutions. Depuis, ce vaste mouvement des idées et des moeurs
s’est répandu, au fil des années, dans toutes les strates de la société et l’a imprégnée au
point de devenir une référence commune, y compris chez ses anciens et plus farouches
adversaires. Cette victoire n’a été possible que parce que la laïcité a entraîné, dans l’esprit et
dans les faits, bien plus que le cantonnement de la foi et des Églises à la société civile et leur
exclusion de la sphère politique. Le rejet du pouvoir de l’Église catholique s’est accompagné
d’une formidable volonté d’affirmer l’égalité des droits, ouvrant l’espoir d’une société plus
juste dans laquelle, notamment à travers l’école, s’est reconnue la majorité des Français. La
laïcité de la République, ce n’était pas seulement, dans cette IIIème République qui bataillait
tous les jours pour ancrer la démocratie au plus profond de la société française, le rejet du
cléricalisme. Il en découlait aussi la revendication de l’égalité sociale réelle et le refus de
toutes les discriminations. Un siècle après, les principes et les ambitions de la loi de 1905
sont aujourd’hui toujours d’actualité et aucune considération ne justifie qu’ils soient modifiés.

Exiger leur application reste, en revanche, un défi quotidien et plus que jamais nécessaire
sur le territoire de la République, dans ses régions, ses départements et ses territoires
d’outre-mer. Promouvoir la laïcité et combattre le racisme s’inscrivent dans la lutte
universelle des droits de l’Homme. Le déclin des pratiques religieuses n’empêche pas, dans
toutes les religions, un raidissement des hiérarchies religieuses et l’apparition de groupes
d’autant plus intégristes qu’ils sont minoritaires. De nombreux éléments nous obligent à ne
pas baisser la garde : absence d’école publique dans certaines communes, contournement
par certains départements et certaines régions de la loi Falloux, investissement de l’espace
public par des forces religieuses pour tenter d’imposer la primauté d’un prétendu
« dogme » religieux. En tout état de cause, il nous appartient d’exercer une vigilance
constante face à la tentation de réduire la laïcité à la seule coexistence des religions alors
qu’elle permet la création d’un espace public et privé qui dépasse les appartenances
individuelles ou collectives de toute nature. En même temps, et parce que la laïcité garantit
le libre exercice public et privé des cultes, aucun culte ne peut subir d’autres restrictions que
celles « qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société
démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale
publics, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.
 » [2]

Aujourd’hui, les musulmans subissent, en France, une discrimination qui se manifeste non
seulement par la difficulté d’édifier leurs lieux de cultes mais aussi par un discours faisant de
l’islam un mal fondamental. Rien n’interdit de critiquer le contenu de telle ou telle foi, et la
liberté de pensée comme la liberté d’expression excluent l’idée même du blasphème. Mais,
rien n’autorise à enfermer les fidèles d’une foi dans une stigmatisation générale et à nier leur
qualité de citoyen pour ne retenir que leur appartenance religieuse. La loi sur le port des
insignes religieux à l’école, en fait et dans la réalité contre le voile, a provoqué, au sein de la
LDH comme ailleurs, de nombreux débats voire de profonds désaccords. Nous réaffirmons
que ce débat est légitime dès lors qu’il ne se réduit pas à des anathèmes et à des
caricatures. Depuis la première manifestation de cette controverse en 1989, la LDH n’a
jamais cessé d’affirmes son opposition à l’exclusion des jeunes filles voilées, dès lors que
tous les enseignements étaient suivis. La LDH maintenait ainsi sa confiance dans le dialogue
et l’éducation aux valeurs de la laïcité.

Nous n’ignorons pas que le voile est porté pour des raisons très diverses qui ne peuvent se
réduire à une seule explication : fait culturel ou religieux, affirmation de soi ou pressions
extérieures, qu’elles émanent de l’environnement familial ou de groupes fondamentalistes.
Nous n’ignorons pas, non plus, que le voile constitue un symbole de la domination
patriarcale et de la peur d’une libération du corps féminin et de la sexualité. Mais exclure ces
jeunes filles en raison du port du voile à l’école, c’est faire d’elles les victimes d’une double
violence sans, pour autant, assurer l’intégration d’une population marquée du sceau de
l’exclusion. En ce domaine, c’est d’une ambition d’une autre ampleur qu’une loi de
circonstance que nous avons besoin. L’école de la République doit assumer sa vocation, ce
qui nécessite des moyens matériels et humains et la mise en oeuvre d’un véritable projet
éducatif. Cette ambition passe, aussi, par la reconnaissance d’une diversité culturelle qui doit
s’exprimer dans le cadre de l’égalité de traitement que la République doit assurer à tous. Elle
passe par un véritable projet politique qui prenne en compte l’exclusion dont sont victimes
des millions de personnes, françaises ou non, musulmanes ou non, et qui mette en oeuvre
une réelle politique d’égalité effective entre les hommes et les femmes. C’est à ce prix-là que
les femmes cesseront d’être victimes de violences réelles ou symboliques, c’est à ce prix-là
que l’on évitera de contraindre les esprits ou, pire encore, de transformer l’islam en un
instrument de révolte. Il n’est pas de réponse laïque, ni de lutte efficace contre le risque de
communautarisme, hors du combat pour l’égalité et la citoyenneté sociale.

Ce sont les mêmes principes qui guident la LDH dans la lutte contre le racisme et
l’antisémitisme. Ceux-ci ne cessent de progresser - en particulier l’antisémitisme alors que
nous commémorons le 60ème anniversaire de la libération d’Auschwitz - et d’envahir la vie
quotidienne, qu’il s’agisse d’insultes, de violences ou de discriminations. Les raisons de cette
situation sont multiples et complexes, sans qu’il soit possible d’en privilégier aucune. Trop
souvent, les juifs se voient attribuer la responsabilité des actes des gouvernements
israéliens et certains, partant de la critique du gouvernement d’Israël, en viennent à remettre
en cause l’existence de cet État. À l’inverse, la tentative de taxer d’antisémitisme toute
critique de la politique suivie par le gouvernement de ce pays revient à l’exonérer de ses
obligations. Par ailleurs, les populations héritières de l’immigration et françaises depuis des
générations, sont enfermées dans des situations sociales désespérées et souffrent de
processus discriminatoires sans cesse renouvelés et jamais réellement combattus.
L’obscurité dans laquelle sont laissées ces discriminations qui frappent toute une partie de la
population ne peut qu’exacerber le ressentiment. Chacun se croit alors autorisé à
hiérarchiser ses souffrances et cela conduit à une insupportable concurrence des victimes.
Trente années de chômage de masse, exploitées depuis 1984 par une extrême droite qui n’a
jamais disparu, ont profondément marqué la société française.

La LDH, avec la quasi-totalité du mouvement syndical et 125 autres organisations, a appelé,
le 7 novembre 2004, à une manifestation contre l’antisémitisme, le racisme, le sexisme et
toutes les discriminations, notamment en raison de l’orientation sexuelle. Certains ont refusé
de se joindre à cet appel. Les raisons apparentes de cette attitude furent la présence de trois
organisations qualifiées, soit de fondamentalistes, soit d’ennemies de la laïcité. Les mêmes
critiques ont été portées du sein même de la LDH. Quelles que soient les divergences ou les
oppositions que nous entretenons avec plusieurs des organisations signataires de l’appel, la
LDH observe qu’elles ont adhéré à cet appel et aux valeurs qu’il porte et que nul n’était
légitime à les exclure, sauf à les diaboliser. Dans la réalité, la divergence essentielle que
nous avons avec les organisations qui ont refusé de participer à cette initiative, c’est la
volonté de créer une hiérarchie entre les victimes. Nous refusons que la lutte contre toutes
les formes de racisme et d’exclusion soit hypothéquée par une vision qui postule la
prééminence de telle ou telle forme de racisme. Sans méconnaître les singularités de
chacune de ces haines, notamment la permanence multiséculaire en France et en Europe
d’un antisémitisme qui a conduit à la destruction des juifs d’Europe ou l’héritage du
colonialisme, nous refusons que la lutte contre le racisme et l’antisémitisme soit dévoyée
vers des replis communautaires. Chaque discrimination, chaque manifestation de racisme,
d’antisémitisme, de sexisme ou en raison des orientations sexuelles est l’affaire de tous,
quelles que soient notre origine ou nos opinions philosophiques ou religieuses.

Ainsi, avec le souci de favoriser l’unité de cette lutte, mais sans consentir que d’autres
édictent des exclusives, la LDH poursuivra, plus d’un siècle après sa fondation à l’occasion
de l’affaire Dreyfus, son action en faveur d’une réponse commune à ce mal universel.

Notes

[1Résolution adoptée par 246 pour, 28 contre et 9 abstentions.

[2Article 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme.


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