insister sur nos racines essentiellement chrétiennes, c’est nier les autres apports


article de la rubrique laïcité
date de publication : dimanche 17 février 2008
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Le 20 décembre 2007, dans une allocution prononcée au Palais de Latran à Rome, Nicolas Sarkozy avait exalté « les racines essentiellement chrétiennes de la France », et, le 14 janvier 2008, dans son discours de Riyad, il avait prononcé un éloge très personnel du « Dieu transcendant qui est dans la pensée et dans le cœur de chaque homme. »

Voici la réaction de Pierre Tournemire, secrétaire général adjoint de la Ligue de l’enseignement et président du Comité national laïcité, qui a été publiée dans le N° 3257 (31 janvier / 6 février 2008) de l’hebdomadaire La Vie.


Prendre des libertés avec l’histoire, un danger pour la paix civile

par Pierre Tournemire

Que le président de la République ouvre un débat sur les conditions de l’expression des convictions est utile, car la société française a des difficultés à assumer sa diversité et le déclin des idéologies entraîne une montée des incertitudes. Mais, sur une question aussi sensible, le débat doit être serein, large et constructif. Or, il n’en crée pas les meilleures conditions.

D’abord, il ne contribue pas à la sérénité. Outre que les lieux choisis pour ses déclarations ne sont pas les plus appropriés, il porte atteinte à la laïcité française en mêlant ses convictions et la fonction présidentielle, et ses propos, indiquant qu’il manquera toujours à un enseignant « la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance », sont provocateurs.

Ensuite, ses affirmations dénaturent les conditions du débat en prenant des libertés avec l’histoire. Affirmer l’apport de la chrétienté à notre pays est une évidence. Dès lors, insister sur nos racines essentiellement chrétiennes, c’est nier les autres apports et ne pas créer les conditions de la participation de tous pour construire l’avenir. Plus grave est son affirmation que la loi de 1905, de séparation de l’Église et de l’État, a été faite contre l’Église. Elle a été un texte de liberté, de tolérance et de neutralité. La laïcité n’a pas été imposée aux catholiques au prix de concessions des républicains, mais appropriée progressivement par les catholiques qui y ont vu le chemin de leur propre liberté. Au-delà de la controverse historique, la question est actuelle car, face à des revendications identitaires irritantes et parfois inacceptables, la démarche laïque est la seule véritable voie pour garantir la paix civile en cherchant à convaincre et non à contraindre. En assurant à chaque citoyen la liberté de conscience et la liberté d’expression, garantissant sa liberté de croire ou de ne pas croire et de pratiquer le culte de son choix, elle permet de vivre ensemble quelles que soient ses origines et ses opinions. Dans la France multiculturelle, l’égalité en droit des citoyens dans le respect des lois de la République entraîne l’expression du pluralisme des convictions et la recherche de valeurs communes et, donc, permet à la diversité d’être richesse et non source de conflit.

Enfin, ses propositions réservant aux religions la fonction de l’« espérance » ou « du sens à la vie » sont insupportables pour des non-croyants et donner aux religions la fonction essentielle de consolation est désobligeant pour les croyants car c’est une conception conservatrice que Jaurès dénonçait en appelant les croyants à dépasser « la vieille chanson qui a bercé la misère humaine » pour résoudre la question sociale. Dans un monde complexe, la laïcité est indispensable pour favoriser l’émancipation de tous en donnant le libre accès aux savoirs et à la culture dans une démarche rationnelle et critique faisant toute leur place au doute, à l’imagination et à la créativité. Aussi, le Président doit en être le garant.

Pierre Tournemire

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