la LDH demande la relaxe des “six de Pau”


article communiqué de la LDH  de la rubrique libertés > liberté d’expression / presse
date de publication : mardi 15 juin 2010
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Le 10 juin, six citoyens “ordinaires” comparaissaient au tribunal correctionnel de Pau, poursuivis pour outrage au préfet des Pyrénées-Atlantiques, pour des propos évoquant la période de Vichy qu’ils lui avaient adressés. Les auteurs avaient réagi à l’arrestation d’une famille de sans-papier, en juillet 2008 à Pau, et son placement au centre de rétention d’Hendaye. Deux enfants de 5 et 7 ans avaient été emmenés.

Le jugement a été mis en délibéré au 12 août 2010. Une condamnation montrerait que notre société s’approche de celle dont l’évocation semble fâcher si fort le pouvoir [1].

A la suite du communiqué où la LDH exprime son soutien aux
“six de Pau”, nous reprenons le texte que Marie Cosnay avait rendu public avant le procès.

[Première mise en ligne le 10 juin 2010, mise à jour le 15]



« C’est le procès de RESF » [2]

Les six prévenus venus de Haute-Savoie, Savoie, Charente-Maritime, Val d’Oise et Rhône, médecin, retraités, responsable informatique ou disquaire ont justifié leur envoi par « l’indignation » suscité par l’interpellation d’enfants. « Rien n’obligeait le préfet à les enfermer » a déclaré l’un d’eux.

Emmanuel Terray a démonté l’argumentation de l’illégitimité de la comparaison de méthodes policières de deux époques différentes. Il s’est étonné de ne pas être poursuivi, alors qu’il a publié depuis longtemps des textes où il justifie ce qui est reproché aux prévenus. « A partir du moment où un gouvernement décide qu’il y a des citoyens indésirables, a-t-il poursuivi, c’est pareil, les techniques policières sont les mêmes qui ont été employées sous l’Occupation, en Algérie et maintenant en France. Quand le ministre Besson déclare dans le Journal du Dimanche “on ne sépare pas les parents des enfants”, c’est mot pour mot ce que répondaient Laval et Bousquet aux autorités religieuses. C’est une coïncidence, mais c’est malheureux. Cette comparaison est légitime et fait partie du débat politique. L’actuel procès n’a pas lieu d’être. »

Le procureur de la République, Erick Maurel, a expliqué qu’il y a « des limites » à la liberté d’expression, que l’on avait le droit d’avoir « une opinion » mais qu’on n’a pas le droit de « tout dire ». Il a demandé une amende de 1 000 euros avec sursis. Le préfet qui était absent, « retenu par ses fonctions », s’est constitué partie civile et demande un euro symbolique pour le « préjudice moral ».

Jean-Jacques Le Masson a montré que la plupart des gens faisaient spontanément le rapprochement avec cette époque douloureuse quand ils apprenaient les arrestations de familles et d’enfants. Il a ajouté que le préfet devrait réfléchir au fait que si les gens n’osent plus parler à cause de l’intimidation recherchée avec la demande de sanction, la société s’approchait du type de celle dont l’évocation semble fâcher si fort le pouvoir.

Pour les avocats, Me Bonnin, Me Massou dit Labaquère et Me Noguères, vice-présidente nationale de la LDH, il s’agit d’une « tentative d’intimidation. » : « La mise en oeuvre de poursuite est là pour décourager les initiatives citoyennes ».

Communiqué LDH

Paris, le 10 juin 2010

« Six de Pau » : le délit d’outrage a bon dos !

Le préfet des Pyrénées-Atlantiques poursuit pour « outrage à représentant de l’Etat » des citoyens qui s’étaient indignés, dans un courriel, du placement d’enfants en rétention. En 2008, Pierre Favre (Haute-Savoie), Gérard Chevrot (Haute-Savoie), Yves Ribault (Savoie), Valérie Martinez (Val-d’Oise), Eric Soares (Charente-Maritime) et Daniel Candas (Rhône) avaient jugé nécessaire de protester en toute conscience. Ils sont aujourd’hui convoqués au tribunal de Pau pour répondre d’un délit qui n’aurait pas dû être instruit. En effet, si la procédure voulue par le préfet prétend empêcher les comparaisons avec le régime de Vichy qu’inspire à certains la politique actuelle d’immigration, elle dissimule mal son véritable objectif : tenter, par l’intimidation, d’empêcher le questionnement de cette politique, et de briser tout élan de solidarité envers les migrants.

Incapable de justifier une politique coercitive de l’immigration, le gouvernement ne sait répondre que par des poursuites judiciaires. Moins de social, plus de pénal : tel est le point cardinal de l’action gouvernementale.

La LDH réaffirme son refus, d’une part, de la pénalisation de l’action militante qui transforme des personnes en « délinquants solidaires » et, d’autre part, de l’archaïque recours au délit d’outrage aux autorités, dont le gouvernement abuse, comme le montre l’action justifiée du Comité pour une dépénalisation du délit d’outrage (Codedo).

Dans la continuité de son opposition au délit d’outrage et au délit de solidarité, la LDH soutient les personnes poursuivies, et demande la relaxe dans une procédure qui n’aurait jamais dû arriver en audience.

Les six de Pau

par Marie Cosnay, écrivaine


En juillet 2008, la famille Kuka, d’origine albanaise, avec ses deux enfants de 5 et 7 ans, a été enfermée au Centre de Rétention Administrative d’Hendaye, sur décision du préfet des Pyrénées-Atlantiques. Cette décision a entraîné de nombreuses réactions de protestation, plusieurs particuliers faisant par courriel connaître leurs positions au représentant de l’Etat. Estimant que ces écrits recelaient « un délit d’outrage », Philippe Rey a déposé plainte contre six personnes. Le délit d’outrage concerne le parallèle fait par ces personnes entre la décision du préfet et les méthodes des nazis et du régime de Vichy. Le terme « rafle » sera au centre des débats qui s’ouvriront le jeudi 10 juin au matin devant le tribunal de Pau.

Quelques remarques : les mots, s’ils sont attachés à une histoire, ne lui appartiennent pas. Une « rafle » a un sens, un « camp » a un sens. L’histoire s’est de nombreuses fois emparée de ces mots pour signifier des faits comparables quoique survenus dans des contextes différents. La rafle dont le XXIème siècle européen ne se remet pas, les camps dont le XXIème siècle européen ne se remet pas, on les connaît, hélas. Rafle et camps dont notre « identité nationale » peut rougir, et pour cause. Quand les policiers de la PAF interpellent au faciès, dans les trains, les villes, aux frontières, aux abords de Lourdes, à Paris, dans les écoles il n’y a pas si longtemps, ceux dont ils peuvent imaginer qu’ils sont démunis de papiers et qu’ils grossiront ainsi les chiffres des expulsions, il s’agit bien de rafles.

Quand on tend un piège à Clermont Ferrand à un étudiant provisoirement « sans papiers » après qu’il a témoigné devant les cameras de France 3, quand celui-ci constate en garde à vue que ses photographies sont punaisées au mur, on peut appeler ça une chasse à l’homme. Quand la chasse à l’homme a lieu en nombre, en chiffres, dans les CAF, les préfectures, les lieux publics, les gares, les écoles, il s’agit bien évidemment de rafles.

Appeler les rafles des « mesures d’éloignement » et les camps d’enfermement pour étrangers des « Centres de Rétention Administrative » signale deux choses : la première, que tout en brandissant contre ceux qui ne l’ont pas l’« identité nationale » française, on préfère en cacher l’aspect le plus honteux, le plus douloureusement honteux. On sait déjà cela. On le sait chaque jour. Il n’est pas facile de dire « rafle » et il n’est pas facile non plus de parler de Sétif. Un représentant du Préfet, lors du passage devant le Juge de la Liberté et de détention d’une famille que les lois capricieuses de l’Europe ont rendue « sans papiers », dit aux auditeurs et témoins présents qui ne lui demandaient rien : « on n’est pas des nazis, quand même »... Pourquoi quand même ?

La deuxième chose que signale la sémantique est tout aussi grave, parce qu’elle a des conséquences imprévues, imprévisibles. Victor Klemperer, qui a survécu à l’Allemagne nazie, expliquait dans la Lingua Tertii Imperii qu’entre autres glissements notoires, la langue utilisée par le troisième Reich agençait les termes ayant trait à « l’organique », à « ce qui pousse naturellement », avec des expressions mécaniques. Ce mélange, à force que « la langue pense et poétise à notre place », finit par rendre caduque la dignité humaine, finit par assimiler l’humain à des "pièces", des "éléments". Une mesure d’éloignement, une rétention administrative : on n’y entend pas beaucoup l’humain qui souffre, derrière. De là à ne plus penser l’humain qui souffre, derrière...

Est-ce que je compare ici les crimes de guerre de la plus haute gravité à la politique utilitariste et à courte vue de notre Europe qui se débat dans de tout autres soucis que dans les 40 ? On ne compare toujours que le dissemblable, jamais un évènement avec lui-même. Je ne compare ici que ce que les six de Pau ont comparé : ce premier pas qui mène à ce qu’on ne sait pas encore parce qu’on ne peut pas le savoir, parce qu’on ne peut pas l’imaginer. Ce qui est fortifiant, c’est que des citoyens, apercevant ce déni d’histoire recouvert de baume identitaire (ou communautaire) français s’élèvent et disent : quand on ne veut pas voir ce qui a été, comment verra-t-on ce qui sera ? Rappeler alors Vichy, quand on sait que l’Etat français des années 2010 n’est évidemment pas Vichy, rappeler pourtant Vichy comme la plus grande honte est une manière rapide et inquiète de faire entendre que la mise à l’écart et l’expulsion d’une partie de la population peuvent avoir des conséquences terribles, dont on a un exemple proche, exemple que les représentants de l’Etat et les citoyens alarmés réprouvent violemment ensemble.

L’indignation d’un côté, la plainte de l’autre pour « délit d’outrage », disent clairement le repoussoir commun qu’est Vichy. Il n’y a pas que les glissements sémantiques que l’on peut comparer. Le code d’entrée de séjour des étrangers (le CESEDA) change à une vitesse ahurissante. Fabriquer des lois spéciales pour étrangers comme c’est le cas (le nouveau CESEDA du mois de septembre promet la rétention administrative des étrangers pendant cinq jours avant que la justice, en la personne du JLD, ne s’en mêle) a une couleur trouble de déjà-vu, et inquiète à juste titre : que ferons-nous de la xénophobie, probablement ni cherchée ni pensée, que les lois qui isolent les gens et les criminalisent commencent à fabriquer à grande allure ? Par ailleurs, comment ne pas comparer, quand on a assisté, impuissant, à une expulsion musclée (ou moins musclée) d’étrangers avec ou sans enfants, l’attitude de ceux, nombreux, à diverses échelles de responsabilités, qui « font leur boulot » à l’attitude de ceux qui ont fait en d’autres temps « leur boulot », à l’attitude de ceux qui en d’autres circonstances, plus ou moins tragiques, le feront encore ?

Les policiers qui menaient les juifs au Vélodrome d’hiver ne savaient pas ce qui arriverait aux personnes raflées. Le pire n’avait pas eu lieu. Ils faisaient leur boulot, n’hésitant pas à s’apitoyer parfois, comme on le voit toujours, en tous lieux et toutes circonstances. Celui-ci est humain, il doit avoir des enfants, celui-là a pleuré, etc. On compare, certes. Mais on ne compare pas des hommes aux hommes ni des faits aux faits, ni surtout des actes aux conséquences des actes passés. On compare des attitudes. L’attitude qui est la plus facile à suivre et dont il faut se méfier, jusque dans notre vie courante, sans relâche est celle qui consiste "à faire son boulot".

Cette question de l’attitude, de la responsabilité, ce souci de soi qu’il nous faut garder de façon exigeante en toutes circonstances afin de ne jamais « devenir sa fonction », afin de continuer à penser au singulier, je me demande ce qu’en font aujourd’hui et en feront demain les enseignants : les concours 2011, capes et agrégation, réservent quelques points (6/20) à l’évaluation de leur capacité à respecter « la communauté éducative ». Mettre en place un système d’enseignement où les candidats doivent prouver qu’ils appartiennent sans réserve à « la communauté éducative », qu’ils possèdent les valeurs normatives qu’ils transmettront à leur tour, voilà qui n’est pas ce que l’on peut faire de mieux pour prendre ses distances avec l’esprit de Vichy, voilà qui n’est pas ce que l’on peut rêver de mieux pour garder la pensée en alerte et voir venir les dangers, invisibles d’abord, tragiques ensuite, que les agencements politiques à courte vue peuvent provoquer.

Notes

[1Le tribunal correctionnel de Pau a prononcé sa décision le 12 août : condamnation de cinq internautes sur six à 1000 euros d’amende avec sursis.

[2D’après le CR publié sur le site de Resf : http://www.educationsansfrontieres...., et l’article d’Odile Faure, sudouest.fr, le 10 juin 2010 à 15h40


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