porter une burqa tricolore est-ce outrager le drapeau français ?


article de la rubrique libertés > liberté d’expression / presse
date de publication : samedi 26 novembre 2011
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Yoann Leforestier, dit Yo du milieu, interpellé par les policiers de Caen le 15 juin dernier pour avoir porté une burqa tricolore, est convoqué le 30 septembre 2011 à 13h30 devant le tribunal de police de Caen, pour « avoir volontairement utilisé de manière dégradante le drapeau tricolore dans un lieu public, ouvert au public et de nature à troubler l’ordre public. » Une contravention de 5e classe passible de 1 500 € d’amende.

Lors de la manifestation de protestation contre la baisse des subventions d’Etat dans la politique de la ville, Yo, artiste caennais, avait revêtu une burqa tricolore pour interpréter son personnage Nadine Amouk, porte-parole des musulmans, transsexuels et patriotes de France. Il avait été interpellé à l’issue de la manifestation par des policiers de la Bac.

Une pétition pour la liberté d’expression et la liberté de création artistique est en ligne. Signée par la LDH de Caen, elle demande que « les pouvoirs publics abandonnent toute poursuite contre Yohan Leforestier et respectent le droit de chaque citoyen à exercer sa pleine et entière liberté d’expression. »

Yohan relaxé par la justice [1]

Yohan Leforestier qui avait porté une burqa bleu-blanc-rouge en public à Caen a été relaxé vendredi 25 novembre du chef d’accusation « d’utilisation dégradante du drapeau ». Le tribunal de police « a considéré que les agissements qui [lui] étaient reprochés étaient couverts » par les limites fixées en juillet par le Conseil d’Etat à l’application du décret paru le 23 juillet 2010 élargissant le délit d’outrage au drapeau.

« C’est une décision fondamentale. Sur tout le territoire français, les artistes savent que quand ils sont dans leur activité artistique, ils sont autorisés à critiquer les symboles de l’Etat. C’est fondamental pour tout le monde, pour la démocratie », a réagi Me Olivier Lehoux, l’avocat de l’artiste.

[Mis en ligne le 24 juin 2011, mis à jour le 26 novembre]



Voir en ligne : le drapeau tricolore, tu n’outrageras pas

L’artiste Yohan Leforestier habillé d’une burqa aux couleurs du drapeau français lors de sa performance à Caen, le 13 mai 2011. - © AFP Kenzo Tribouillar

Burqa tricolore : Yohan sera jugé pour « outrage au drapeau »

par Zineb Dryef, Rue89, 21 et 23 juin 2011


Un artiste caennais a été entendu pour « outrage au drapeau » après avoir porté une burqa tricolore le 15 juin dernier. Récit.

Yohan, slammeur caennais de 34 ans, a un double, son personnage Nadine Amouk, le « porte-parole des transsexuels musulmans patriotes de France ». Son costume : une grande burqa tricolore. Depuis plusieurs mois, il le promène dans les rues de Caen pour « interpeller la population française sur la loi anti-burqa ».

L’artiste caennais Yohan Leforestier, dit Yo du milieu, interpellé le 15 juin parce qu’il portait une burqa tricolore, un costume de spectacle, a reçu une convocation au tribunal de police pour outrage au drapeau. Il nous a transmis le courrier qu’il a reçu :

« L’audience se tiendra au tribunal de police de Caen, place de la République, 14 000 Caen, le 30/09/2011 à 13h30 pour y être jugé sur les faits suivants : d’avoir à Caen le 15/06/2011, en tout cas sur le territoire national et depuis temps n’emportant pas prescription, volontairement utilisé de manière dégradante le drapeau tricolore dans un lieu public ouvert au public, de nature à troubler l’ordre public.

« Faits prévus par : article R645-15 AL 1 1 du code pénal.
Réprimés par : article R645-15 AL 1 du code pénal. »

Dans une pétition mise en ligne ce jeudi, plusieurs collectifs d’artistes et associations, dont la Ligue des droits de l’homme (LDH), réclament l’abandon des poursuites « non par clémence mais pour que le droit de chaque citoyen à exercer sa pleine et entière liberté d’expression » soit respecté.

« Un combat important à mener pour la liberté d’expression »

Yohan se dit prêt à aller jusqu’au bout, peut-être jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme comme le lui a suggéré un avocat :

« Tout cela est très exagéré. Moi je voulais interpeller sur une loi antiburqa et c’est sur complètement autre chose qu’on m’interpelle puisque pour les policiers, c’est dégradant d’associer la burqa et le drapeau français. (Voir la vidéo)
Je ne sais pas encore ce que je vais faire mais je sais qu’il y a un combat important à mener pour la liberté d’expression. »

Déjà, au dernier Salon du livre de Caen, le jeune homme s’était fait rappeler à l’ordre par la police municipale :


B-B-u-R-ka par Rue89Video

« Ils voulaient m’arrêter mais on a discuté. Ils ont fini par me laisser partir mais en me demandant de ne plus porter mon costume dans les lieux publics. C’est compliqué parce que c’est une tenue pour mon spectacle que je ne joue que dans des lieux publics. » (Voir la vidéo)

Le 15 juin dernier, Yohan décide de sortir à nouveau en Nadine Amouk pour participer à une manifestation contre la décohésion sociale organisée par le Contrat urbain de cohésion sociale (Cucs). 300 personnes sont présentes. Avec la compagnie L’Oreille arrachée, il donne son spectacle dans la rue et décide de poursuivre la manifestation dans sa burqa.

Devant la préfecture du Calvados, il pressent que ça ne va pas le faire avec les policiers de la brigade anti-criminalité (BAC) :

« Je me sentais comme un poisson dans un filet, observé par la BAC, qui n’est jamais très discrète. Pour éviter de me faire arrêter, j’ai demandé à une élue à la mairie de Caen de rester avec moi le temps de quitter la manif. Ils m’ont quand même arrêté et m’ont emmené au commissariat pour une audition libre. »

« Ils ont demandé pourquoi je portais une écharpe tricolore ! »

L’élue en question, Colette Gissot, a elle-même dû se justifier auprès des policiers :

« Quand ils ont emmené Yo, ils ont précisé que ce n’était pas une interpellation mais une audition libre. A moi, ils ont demandé pourquoi je portais une écharpe tricolore ! On nous a contrôlés.

« Je m’en veux, j’ai réagi comme une citoyenne qui a peur de la BAC alors que j’aurais dû demander pour quel motif ils l’emmenaient, pour la burqa ou le drapeau. Finalement, j’ai su qu’au commissariat, la police l’avait bien entendu pour “outrage au drapeau”.

« Je vais écrire au procureur pour lui dire de ne pas insister dans le ridicule. Les policiers feraient mieux d’être présents dans les quartiers où il y a des trafics plutôt que de gaspiller leur énergie à s’occuper de simples boutades. »

Après avoir été entendu environ une heure pour « outrage au drapeau », Yohan a pu quitter le commissariat, mais sans sa burqa, qui lui a été confisquée. Il doit savoir mercredi s’il comparaîtra ou non devant la justice.

Depuis le mois de juillet 2010, l’outrage au drapeau punit d’une contravention de cinquième classe (jusqu’à 1 500 euros d’amende) le fait de détruire le drapeau dans un lieu public, de le détériorer ou de l’utiliser de manière dégradante. Reste à motiver en quoi le drapeau tricolore revisité en burqa de divertissement est dégradant.

Communiqué de la section de Caen de la LDH

La section de CAEN de la Ligue des Droits de l’Homme et du Citoyen s’indigne de l’interpellation incongrue d’un artiste militant effectuée mercredi 15 juin à Caen par des policiers en « costumes » civils de manifestants, à l’issue d’une manifestation sociale inter-associative à laquelle nous participons.

Faute de réponse à la question sociale, portée notamment par le secteur associatif aujourd’hui étranglé financièrement, une politique de la haine, défigurant notre République constitutionnellement laïque et sociale, est mise en oeuvre et elle est dirigée en priorité vers des boucs émissaires présumés musulmans. Faut-il s’étonner alors que des représentants des forces de l’ordre confondent l’intervention jouée d’un artiste caricaturant cette politique par le port d’une burka tricolore, avec la défense de la République et des citoyens ?

Leur conception de la défense des libertés républicaines, dont ils ont la charge, semble témoigner d’une dérive préoccupante et de quelques manques d’information quant aux droits d’expression, de manifestation et de création Nous en appelons à défendre ces droits et libertés mis en danger et à arrêter immédiatement toute poursuite concernant notre concitoyen artiste caennais interpellé.

A Caen le 17 Juin 2011

Yo avait déjà été inquiété au salon du livre de Caen, en mai, par les policiers municipaux. (Photo : http://lemilieu.free.fr/blog/)

Notes

[1Libération, le 25 novembre 2011.


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