il faut sauver le gendarme Jean-Hugues Matelly


article de la rubrique libertés > liberté d’expression / presse
date de publication : vendredi 23 octobre 2009
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« Un officier de gendarmerie, Jean-Hugues Matelly, par ailleurs chercheur associé dans un centre de recherches universitaires, a publié dans la revue “Les Cahiers de la Sécurité Intérieure“ (éditée par “l‘Institut national des hautes études de sécurité” - établissement public) un article critique sur le management dans la gendarmerie et l’usage des statistiques. Ses analyses ont été ensuite exposées dans la presse, notamment dans un entretien au journal Libération. Ce dernier article a conduit les supérieurs hiérarchiques de l’officier à lui donner ordre de ne plus communiquer avec la presse puis, dans un second temps, a un blâme pour s’être exprimé dans les médias sans en demander l’autorisation préalable à sa hiérarchie (exigence de la loi de 1972 portant statut des militaires, supprimée par une loi du 24 mars 2005) »

Nicolas Hervieu [1]


Le collectif "Indépendance des Chercheurs" dénonce sur son blog l’éventualité de la radiation des cadres du gendarme et chercheur Jean-Hughes Matelly.


La gendarmerie enterrée, à tort, dans l’indifférence générale

par J.-H. Matelly C. Mouhanna et Laurent Mucchielli
Rue89, le 30 décembre 2008


Un projet de loi « portant dispositions relatives à la gendarmerie » a été voté en première lecture par le Sénat le 17 décembre 2008. Il sera soumis à l’Assemblée nationale début 2009 et, le gouvernement utilisant une fois encore la procédure d’urgence, il n’y aura qu’une seule lecture par assemblée.

Légalement, la Gendarmerie ne sera pas encore rattachée à l’Intérieur au 1er janvier. Pourtant, le budget 2009 de la gendarmerie a été voté dans la loi de finance en prenant acte de ce rattachement. De fait, le ministère de la Défense ne s’estime plus concerné, il n’était d’ailleurs même pas représenté lors de l’examen par le Sénat de ce projet de loi.

C’est donc sans tambours ni trompettes, ni sonnerie aux morts, que vont en réalité se dérouler les obsèques de la plus vieille institution publique chargée de missions de police générale : la maréchaussée, rebaptisée Gendarmerie nationale en 1791, qui veille à la sûreté de nos concitoyens en dehors du centre des agglomérations, c’est-à-dire sur 95 % du territoire national !

Bien qu’ayant traversé jusqu’ici de multiples régimes politiques, elle ne survivra pas à la révolution gestionnaire qui a frappé nos administrations depuis quelques années.

Sous prétexte d’une recherche de la rentabilité à court terme, et pour que les gendarmes s’inscrivent mieux dans le modèle actuellement prôné de la police d’autorité –par opposition à une police de dialogue–, la Gendarmerie va donc fusionner (sans le dire) avec la Police nationale.

Un désengagement de l’Etat qui passe inaperçu

Mal informés en raison des restrictions statutaires de la liberté d’expression individuelle et collective des gendarmes et malgré la résistance d’une partie des élus (y compris à l’UMP, avec Jean-Pierre Raffarin par exemple), il est manifeste que nos concitoyens ne se rendent pas compte de ce qu’ils sont en train de perdre. Au fond, il s’agit d’un énième épisode du désengagement de l’Etat et du recul du service public national.

En effet, loin de la caricature du gendarme militaire borné, chasseur de nudistes à Saint-Tropez, loin aussi de l’image d’élite du GIGN avec des hommes cagoulés et surarmés, les gendarmes départementaux avaient su développer un modèle de rapport au public qui privilégiait le service au citoyen plutôt que l’application bornée d’innombrables textes de lois.

Ils avaient élaboré un modèle de police qui assumait le rôle social dévolu à tout individu chargé du maintien de l’ordre et de la sécurité. Par leur rôle au sein des zones non seulement rurales mais aussi périurbaines, ainsi que dans certaines de nos banlieues difficiles, les gendarmes ont pendant longtemps participé à la construction de ce lien social après lequel les politiques de la ville courent depuis trente ans.

En réalité, de par ses missions, son maillage territorial dense et sa conception d’une « surveillance générale » privilégiant un contact régulier avec la population associé à une posture de prévention-dissuasion, la Gendarmerie constituait, avant l’heure, le modèle de « police de proximité » que le gouvernement Jospin voudra développer, à partir de 1997, pour la Police nationale.

Le biais électoral

Mal accompagnée et dans un contexte de contestations internes des policiers comme des gendarmes, cette réforme battait de l’aile quand survint la campagne électorale 2001-2002 et son obsession pour « l’insécurité ».

La nouvelle majorité issue des élections de 2002 en profita pour enterrer aussitôt cette police de proximité et entamer le démantèlement de la présence gendarmique, via la création de « communautés de brigades » permettant la fermeture périodique des « brigades de proximité ».

Il faut croire que ce modèle de proximité convient mal à une époque qui privilégie les rapports de force, la gestion statistique déréalisée et les démonstrations médiatiques, même si c’est aux dépens de l’efficacité concrète et quotidienne.

Car, suprême paradoxe historique, ce modèle gendarmique de proximité fut jadis, et avec raison, considéré comme l’avenir ! En 1976, la commission Peyrefitte (que l’on ne saurait soupçonner de « gauchisme ») demandait dans sa recommandation n°81 d’« instituer dans les villes de petits postes de quartiers et recourir à la méthode dite de l’îlotage », en s’inspirant explicitement des « résultats satisfaisants qui sont obtenus dans les zones rurales par l’implantation très décentralisée des brigades territoriales de gendarmerie ».

La recommandation n°83 précisait ensuite qu’il s’agissait d’« améliorer les relations entre la police et les citoyens »… Trente ans plus tard, non seulement la Police nationale n’a pas réalisé cette évolution vers le modèle gendarmique, mais c’est même l’inverse qui s’est produit. Ainsi, c’est véritablement une régression historique qui s’achève sous nos yeux, dont on mesurera les effets délétères dans les années et les décennies à venir.

Jean-Hugues Matelly, Christian Mouhanna et Laurent Mucchielli
(CNRS, CESDIP)


Un gendarme menacé de radiation pour manquement à l’obligation de réserve

par Isabelle Mandraud, Le Monde daté du 16 octobre 2009


Poursuivi pour "manquement grave à l’obligation de réserve", le chef d’escadron de la région Picardie Jean-Hugues Matelly, 44 ans, pourrait être radié des cadres, c’est-à-dire exclu de la gendarmerie. C’est du moins l’avis rendu par le conseil d’enquête, l’instance disciplinaire de la gendarmerie nationale, mercredi 14 octobre. S’agissant d’un officier supérieur, il revient désormais au président de la République, Nicolas Sarkozy, de signer ou non le décret. La radiation de M. Matelly, pour ces motifs, constituerait une première.

Pendant deux jours, le conseil d’enquête, composé de quatre lieutenants-colonels, d’un commandant et présidé par un général de division, a débattu du cas Matelly. La direction générale de la gendarmerie (DGGN) lui reproche d’avoir, le 30 décembre 2008, co-signé avec deux chercheurs du CNRS un article diffusé par le site Rue89, intitulé "La gendarmerie enterrée, à tort, dans l’indifférence générale" – l’article est repris ci-dessous.

Dans cet article, M. Matelly, par ailleurs chercheur associé au CNRS, critiquait le rapprochement de la police et de la gendarmerie. Le 16 juin, la DGGN décidait de son renvoi devant le conseil d’enquête pour avoir exprimé "une désapprobation claire vis-à-vis de la politique conduite par le gouvernement" et parce qu’il s’est soustrait à "l’exigence de loyalisme et de neutralité liée à son statut militaire".

Aux côtés de M. Mattely, qui a assuré seul sa défense devant ses pairs, le criminologue Alain Bauer, et les universitaires Christian Mouhanna et Frédéric Ocqueteau, sont venus témoigner en sa faveur. "J’ai plaidé pour une liberté surveillée : il faut un cadre pour gérer le conflit entre le statut des militaires et la liberté des chercheurs-enseignants, confirme M. Bauer. Quant à la loyauté, M. Matelly a plutôt exprimé une pensée générale chez les gendarmes."

Mais le jury s’est montré inflexible. "Cela équivaut à une peine de mort sur le plan professionnel", s’insurge Me David Dessa le Deist, avocat de M. Matelly, qui souligne un "sentiment de profonde incompréhension" de son client. L’avocat fait la comparaison avec l’absence de sanctions disciplinaires des gendarmes impliqués dans l’incendie d’une paillotte en Corse, en 1999.

Ses écrits ont déplu

Voilà longtemps que M. Mattely agace sa hiérarchie. Il est proche de l’association Gendarmes & citoyens, qui anime un site Internet et milite pour un droit d’expression des gendarmes – ces derniers, à la différence des policiers, ne disposent pas du droit syndical. Depuis 2000, M. Matelly travaille également dans le milieu universitaire, à Toulouse d’abord, puis désormais au Cesdip, un laboratoire du CNRS sur les questions pénales.

Ses prises de positions et ses écrits, comme le livre Police, des chiffres et des doutes (Michalon, 2007), co-signé avec M. Mohanna, ont beaucoup déplu. Sa position a été récemment affaiblie : le 30 septembre, la Cour européenne des droits de l’homme, saisie par ses soins, l’avait débouté. Elle avait estimé que l’atteinte à sa liberté d’expression poursuivait "un but légitime [qui] était de défendre l’ordre dans les forces armées" et que la sanction d’alors – un blâme annulé depuis par le Conseil d’Etat – était d’une "gravité modérée".

Isabelle Mandraud


Notes


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