menaces sur la liberté de la presse


article de la rubrique libertés > liberté d’expression / presse
date de publication : dimanche 30 décembre 2007
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Le journaliste Guillaume Dasquié a été mis en examen le 6 décembre 2007 pour compromission du secret de la défense. Il lui est reproché d’avoir divulgué, dans Le Monde du 17 avril 2007, des documents non déclassifiés provenant de la DGSE. Il s’agit d’une analyse des informations dont disposaient les services de renseignement français sur Al-Qaida avant les attentats du 11 septembre 2001. En principe, l’article 109 du code de procédure pénale autorise un journaliste à garder le secret sur ses sources. Le journaliste relate dans l’article Gardé à vue, reportage à froid, publié dans Le Monde du 26 décembre 2007, la façon dont s’est déroulée sa garde à vue dans les locaux de la DST et les pressions qu’il y a subies afin de l’amener à divulguer ses sources.

La direction du Télégramme a dénoncé, vendredi 21 décembre, une décision du parquet de Quimper (Finistère) qui a obligé l’opérateur Orange à fournir à la police l’identité de sources d’un de ses journalistes enquêtant sur un fait divers. Dans le texte que vous trouverez ci-dessous, le quotidien estime qu’il « n’est pas acceptable que des moyens d’instruction permettent de contourner les dispositions légales » protégeant les sources des journalistes. [1]

Nous terminons ce petit dossier avec un arrêt récent de la Cour européenne des Droits de l’Homme concernant la liberté de la presse [2].


La presse surveillée

éditorial du Monde, le 26 décembre 2007

L’année 2007 n’aura pas été un bon millésime pour la liberté de la presse en France. Aux difficultés économiques auxquelles nombre de journaux sont confrontés, vient s’ajouter une pression accrue de la justice pour contraindre les journalistes à révéler leurs sources.

Deux affaires en cours en témoignent. La plus récente concerne Le Télégramme. Ce quotidien breton a révélé, vendredi 21 décembre, qu’un de ses journalistes qui avait refusé - comme le code de procédure pénale lui en donne le droit - de révéler à la justice la source d’un article portant sur un meurtre lié au milieu nantais venait d’être victime d’une redoutable première. Sur réquisition du parquet, l’opérateur téléphonique Orange a fourni à la police judiciaire le relevé des appels passés par ce journaliste à partir de son portable. Cette communication s’est effectuée sans que ni l’intéressé ni sa hiérarchie n’en soient tenus informés.

Orange met en avant le code des postes et communications électroniques pour justifier sa collaboration avec la justice et son silence à l’égard de son abonné.

Cette affaire est inquiétante. Alors que la sécurité de l’Etat n’est manifestement pas en danger, la justice utilise des méthodes qui ne sont pas sans rappeler les pressions exercées par le régime de Pékin à l’égard des fournisseurs d’accès à Internet.

L’autre affaire est aussi grave. Un journaliste a été mis en examen en décembre pour avoir publié en avril 2007 dans Le Monde un article sur un document d’analyse des services secrets français expliquant les filières du réseau Al-Qaida avant les attentats du 11 septembre 2001. Là aussi, police et justice voulaient absolument connaître les sources du journaliste.

Ces affaires ne sont malheureusement pas des exceptions. Ces dernières années, des journalistes du Point, du Parisien, de L’Equipe, de France 3 et du Midi libre ont eu affaire à la justice, qui ne contestait pas la validité de leurs informations, mais voulait en connaître l’origine. Des perquisitions ont été effectuées, tant dans les rédactions qu’au domicile des journalistes.

Ce faisant, la justice ne fait pas progresser la démocratie. Au contraire. Comme le rappelle Le Télégramme, la Cour européenne des droits de l’homme estime que la protection des sources est la pierre angulaire de la liberté de la presse. Régulièrement, des ministres - de la justice ou de la communication - prétendent s’émouvoir des atteintes au droit de la presse. Malheureusement, malgré les bonnes intentions affichées, aucune décision ne vient arrêter cette évolution. Au contraire.

Au nom de la sécurité, les atteintes à la liberté de la presse se multiplient. Mais l’enjeu dépasse ce secteur. L’histoire montre que liberté de la presse et liberté des citoyens sont intimement liées.

Droits des journalistes. Une atteinte inacceptable

Grave atteinte au principe de la protection des sources d’information : un journaliste du Télégramme constate que le relevé des communications téléphoniques qu’il avait eues dans le cadre d’une enquête, depuis le téléphone mobile mis à sa disposition par le journal, a été transmis à la police à son insu et sans l’accord du journal.

Après le meurtre, à Bénodet, de Bernard Algret, lié au « milieu » nantais, Le Télégramme publiait dans son édition du 19 juin 2006, sur une pleine page, une enquête complète et documentée consacrée à cette affaire. Peu de temps après cette publication, l’auteur de cette enquête était entendu par la police judiciaire qui voulait connaître ses informateurs. Se retranchant derrière le secret des sources journalistiques, notre confrère, comme le lui permettent les dispositions de l’article 109 du Code de procédure pénale, se refusait à communiquer leur identité. Or, plusieurs des personnes avec lesquelles il avait eu contact dans le cadre de ce travail se sont plaintes récemment auprès du Télégramme d’avoir été convoquées et entendues par la police judiciaire. Il est apparu que, sur réquisition du parquet, l’opérateur téléphonique Orange a fourni à la police judiciaire le relevé des communications passées par notre confrère, depuis le téléphone mobile du Télégramme qu’il utilisait, dans le cadre de ses fonctions. La PJ aurait obtenu ce relevé sans que l’accord de la direction du journal, indispensable aux termes de la loi, n’ait même été sollicité. Il y a peu, la Fédération Nationale de la Presse Française rappelait dans un communiqué qu’il ne pouvait y avoir de « presse libre sans la garantie qu’apporte le secret des sources d’information des journalistes ». Elle s’appuyait notamment sur un récent arrêt de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, selon laquelle « la protection des sources journalistiques est l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse ». La Rédaction du Télégramme constate que ces grands principes sont parfois remis en cause. Comme la Fédération de la Presse, Le Télégramme considère qu’il n’est pas acceptable que des moyens d’instruction permettent de contourner les dispositions légales et de bafouer ainsi les règles protectrices de la liberté de la presse sans lesquelles le droit fondamental du public à être informé ne serait pas pleinement effectif.

Le Télégramme

COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME  [3]

839
27.11.2007
Communiqué du Greffier

ARRÊT DE CHAMBRE
TILLACK c. BELGIQUE

La Cour européenne des Droits de l’Homme a communiqué aujourd’hui par écrit son arrêt de chambre dans l’affaire Tillack c. Belgique (requête no 20477/05).

La Cour conclut, à l’unanimité, à la violation de l’article 10 (liberté d’expression) de la Convention européenne des Droits de l’Homme, en raison des perquisitions effectuées au domicile et au bureau du requérant, journaliste de profession.

Au titre de l’article 41 (satisfaction équitable) de la Convention, la Cour alloue au requérant 10 000 euros (EUR) pour dommage moral, ainsi que 30 000 EUR pour frais et dépens.

(L’arrêt n’existe qu’en français.)

1. Principaux faits

Hans Martin Tillack est un ressortissant allemand né en 1961 qui réside à Berlin. Journaliste à l’hebdomadaire allemand Stern, il était détaché à Bruxelles d’août 1999 à juillet 2004, et chargé de suivre la politique de l’Union européenne et le fonctionnement des institutions européennes.

En février et mars 2002, M.Tillack publia dans le Stern deux articles écrits à partir de documents confidentiels de l’Office européen pour la lutte anti-fraude (l’O.L.A.F.). Le premier article relatait les allégations d’un fonctionnaire européen faisant état d’irrégularités commises au sein des institutions européennes, et le second était relatif aux enquêtes internes menées par l’O.L.A.F. au sujet de ces allégations.

Soupçonnant le requérant d’avoir corrompu un fonctionnaire en lui versant 8 000 EUR en échange d’informations confidentielles relatives à des enquêtes en cours au sein des institutions européennes, l’O.L.A.F. ouvrit une enquête interne afin d’identifier l’auteur de ces divulgations. Cette enquête n’ayant pas abouti à l’identification de l’agent à l’origine des fuites, l’O.L.A.F. déposa, en février 2004, une plainte contre M. Tillack auprès des autorités judiciaires belges lesquelles ouvrirent une instruction contre X pour violation du secret professionnel et corruption active et passive de fonctionnaire.

Le 19 mars 2004, le domicile et le bureau du requérant furent perquisitionnés ; la quasi-totalité des documents et instruments de travail de l’intéressé furent saisis et mis sous scellés (16 caisses de documents, deux boîtes d’archives, deux ordinateurs, quatre téléphones portables et un meuble métallique).

Le requérant demanda vainement la mainlevée des mesures de saisie.

Dans l’intervalle, le requérant saisit le médiateur européen. En mai 2005, le médiateur rédigea un rapport spécial pour le Parlement européen dans lequel il conclut que les soupçons de corruption de la part du requérant étaient fondées sur de simples rumeurs propagées par un autre journaliste et non pas par des parlementaires européens comme l’avait soutenu l’O.L.A.F. Dans sa recommandation, le médiateur conclut que l’O.L.A.F. devait reconnaître qu’il avait fait des déclarations fausses et trompeuses dans le cadre de ses observations au médiateur.

2. Procédure et composition de la Cour

La requête a été introduite devant la Cour européenne des Droits de l’Homme le 30 mai 2005.

L’arrêt a été rendu par une chambre de sept juges composée de […]

3. Résumé de l’arrêt  [4]

Griefs

Le requérant soutenait notamment que les perquisitions et saisies opérées à son domicile et à son bureau ont emporté violation de son droit à la liberté d’expression.

Décision de la Cour

Article 10

La Cour rappelle le rôle essentiel que joue la presse dans une société démocratique et la protection des sources journalistiques, pierre angulaire de la liberté de la presse.

Dans la présente affaire, la Cour estime que les perquisitions litigieuses s’analysent en une ingérence dans le droit à la liberté d’expression du requérant. Cette ingérence était prévue par le code d’instruction criminelle belge et avait pour but légitime la défense de l’ordre public et la prévention des infractions pénales, et elle visait aussi à empêcher la divulgation d’informations confidentielles et à protéger la réputation d’autrui.

Sur le point de savoir si une telle ingérence était « nécessaire dans une société démocratique », la Cour relève notamment qu’au moment où les perquisitions eurent lieu, il est évident qu’elles avaient pour but de dévoiler la provenance des informations relatées par le requérant dans ses articles. Les mesures tombaient donc dans le domaine de la protection des sources journalistiques.

A cet égard, la Cour souligne que le droit des journalistes de taire leurs sources ne saurait être considéré comme un simple privilège qui leur serait accordé ou retiré en fonction de la licéité ou de l’illicéité des sources, mais un véritable attribut du droit à l’information, à traiter avec la plus grande circonspection. Ceci vaut encore plus en l’espèce, où le requérant était soupçonné sur le fondement de vagues rumeurs non étayées, ce qui s’est confirmé par la suite par le fait qu’il ne fut pas inculpé. La Cour tient également compte de l’ampleur de la saisie opérée en l’espèce.

Pour conclure, la Cour estime que si les motifs invoqués par les juridictions belges peuvent passer pour « pertinents », ils ne peuvent être jugés « suffisants » pour justifier les perquisitions incriminées. Elle conclut donc à la violation de l’article 10 de la Convention et déclare la requête irrecevable pour le surplus.

Notes

[1Le procureur de la République de Quimper a indiqué à l’AFP qu’une enquête avait bien été ouverte pour violation du secret de l’instruction, mais a souligné que cette enquête « respecte totalement les règles de procédure » applicables lorsque des entreprises de presse sont concernées.

[2La Cour européenne des Droits de l’Homme a été créée à Strasbourg par les Etats membres du Conseil de l’Europe en 1959 pour connaître des allégations de violation de la Convention européenne des Droits de l’Homme de 1950.

[4Rédigé par le greffe, ce résumé ne lie pas la Cour.


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