Tapie et la liberté de l’information


article de la rubrique libertés > liberté d’expression / presse
date de publication : vendredi 1er février 2013
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Bernard Tapie, avec le soutien de Philippe Hersant, a donc mis la main sur les principaux quotidiens du Sud-Est de la France : Nice-Matin, Corse-Matin, Var-Matin, et le quotidien marseillais La Provence. Il fait ainsi son retour à Marseille, à quinze mois des élections municipales.

Bernard Tapie en « rédacteur en chef » de Marseille et en propriétaire de La Provence, c’est une menace pour le droit des citoyens à une information libre et indépendante. Trois médias indépendants, Marsactu, Le Ravi et Mediapart, organisent une soirée exceptionnelle en défense de l’information indépendante et de la liberté du débat public à La Criée-Théâtre national de Marseille, lundi 11 février 2013 à partir de 20 heures.


Bernard Tapie, sur BFMTV le 8 janvier 2013


Communiqué du SNJ-CGT [1]

Tapie, patron de presse : un scandale absolu !

Le 21 décembre 2012

Dans la France d’aujourd’hui, tout peut arriver, mais on ne s’attendait pas à ça : Bernard Tapie, un affairiste, associé à un exilé fiscal suisse, Philippe Hersant, est le nouveau propriétaire de quatre quotidiens, La Provence, Var-Matin, Nice-Matin et Corse-Matin, ainsi que des quotidiens du groupe France-Antilles.

Les deux hommes étaient sans doute destinés à se rencontrer pour avoir, l’un comme l’autre, montré des qualités de gestionnaires dignes des Pieds Nickelés.
Qu’on se rappelle ce que Tapie a fait de Look, de Wonder, de Terraillon, d’Adidas, de ses écoles de ventes, de l’Olympique de Marseille (déclaré en faillite après la sinistre affaire de match de football truqué entre le club marseillais et l’équipe de Valenciennes), au Ministère de la ville, etc. Qu’on se rappelle ce que Philippe Hersant, le piètre héritier du « papivore » Robert Hersant, a fait de Paru Vendu, de Paris-Normandie, des journaux de la région Champagne-Ardennes. L’un et l’autre ont largement alimenté les cohortes qui, chaque jour, vont pointer à Pôle emploi.

Tapie et Hersant sont des fossoyeurs d’emplois plus que des entrepreneurs ; les journalistes ont toutes les raisons d’être inquiets de cette association, dont l’un des dirigeants a quand même connu la prison et n’est pas à l’abri de nouveaux démêlés avec la justice dans l’affaire de l’indemnisation de son prétendu dommage dans l’affaire de la vente d’Adidas par le Crédit lyonnais qui a donné lieu à une indemnisation scandaleuse sur injonction de Sarkozy et avec la bénédiction de Christine Lagarde.

Cette prise de contrôle des journaux de Provence et de la Côte d’Azur par un tel tandem est un scandale. L’information est en danger.

Le soudain intérêt de Tapie pour la presse ne laisse pas d’inquiéter dans la perspective des prochaines échéances électorales. Ceux qui avaient rêvé de journaux mis à l’abri des affairistes aux lendemains du scandale de Panama en 1914, puis après la Libération en 1945 et qui avaient rédigé les Ordonnances sur la presse en 1944 et ceux qui, aujourd’hui, tirent le signal d’alarme depuis plusieurs années pour retrouver les voies d’une information citoyenne, au service du public, ne peuvent que s’alarmer.

Pour le SNJ-CGT, le feu vert accordé par le Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) est symbolique de la politique actuelle du gouvernement, marquée par une obséquiosité sans borne devant les patrons et les puissances d’argent.

Pour le syndicat, le Premier ministre, le ministre des Finances, la ministre de la Culture et de la Communication, notamment, doivent s’expliquer. Le SNJ-CGT interpelle le Président de la République et lui demande de s’opposer à cette reprise des restes du Groupe Hersant Média (GHM) par le duo Tapie-Philippe Hersant. Il lui demande également de légiférer au plus vite sur le statut de l’entreprise de presse, sur l’indépendance des rédactions et sur la protection des sources.

Bernard Tapie revient sur la scène marseillaise

par Gilles Rof, Le Monde, 20 décembre 2012


Peu avant 20 heures, mercredi 19 décembre, les journalistes du quotidien La Provence ont eu confirmation du nom de leur nouveau propriétaire. Après avoir prévenu par téléphone les syndicats de l’entreprise, Marc Auburtin, le directeur général délégué du groupe, n’a pas descendu les deux étages qui séparent son bureau du grand espace qu’occupe la rédaction. Il a laissé à Philippe Minard, le directeur de la rédaction, la tâche compliquée d’annoncer à ses troupes la signature de l’accord faisant de Bernard Tapie, leur nouveau patron.

"Comme tous les soirs, on était encore une trentaine à la rédac’à finir le journal du lendemain, note un témoin de la scène. On savait qu’il y avait une réunion dans l’après-midi à Paris, mais on ne se doutait pas qu’elle était décisive. Ça a été une énorme surprise. Le tribunal de commerce avait repoussé l’échéance au 24 décembre et on s’attendait à ce que d’autres offres, comme celle de Rossel, soient étudiées..." "On l’a pris en pleine poire, reconnaît un journaliste. On pensait se débarrasser d’Hersant... On le garde et on récupère Tapie. Il n’y a pas eu de révolte, juste de l’abattement."

"INTERROGATIONS" ET "INQUIÉTUDE" DES JOURNALISTES

La rédaction de La Provence, ballottée d’annonces de reprises en plans de rachat depuis plus de dix-huit mois et qui rêvait de retrouver un peu de sérénité dans son travail, n’a pas lancé d’appel à la grève : "Les journalistes ne sont pas les seuls salariés de l’entreprise, poursuit un membre de la rédaction. Il y a notre déontologie, mais il y a aussi des réalités économiques. Le groupe, c’est 700 emplois qu’on ne veut pas mettre en difficulté pour une question de posture."

Dans la nuit, l’élu du Syndicat national des journalistes (SNJ) au comité d’entreprise a publié un communiqué évoquant "les interrogations" et "l’inquiétude" des journalistes : "On souhaite connaître très rapidement les projets qu’ont MM. Hersant et Tapie pour notre groupe. Et savoir réellement si M. Tapie a des intentions politiques sur Marseille. Auquel cas, que fera-t-il de notre journal ?" La réponse que M. Tapie a apportée dans une lettre adressée mercredi aux banques créancières a eu le don d’exaspérer les journalistes : "Il dit que s’il se présente aux municipales, il vendra ses actions ? Mais qu’est-ce que c’est que ce cinéma ?"

Depuis l’arrivée du Groupe Hersant Médias (GHM) en 2008, près de soixante journalistes ont déjà quitté La Provence. La rédaction, qui compte aujourd’hui 191 titulaires, s’est fortement rajeunie. "C’est très étrange pour nous, commente un "ancien", car ces jeunes collègues n’ont pas la mémoire du Tapie politique, de l’affaire Valenciennes-OM, des condamnations... Moi, je me souviens de l’époque où sur un seul coup de fil, le rédacteur en chef du Provençal, Jean-Louis Levreau, qui était en même temps vice-président de l’OM, faisait arrêter les rotatives pour corriger un papier qui ne plaisait pas à Tapie... C’était il y a vingt ans, mais je ne pense pas qu’il ait beaucoup changé. Chacun devra faire ses choix, mais personnellement, je ne veux pas revivre ça." Dans la rédaction, on s’interroge sur le sort réservé à ceux qui voudront partir. "Une clause de cession sera-t-elle ouverte à tous ?", se projette un candidat.

SPHÈRE POLITIQUE LOCALE TRÈS AGITÉE

La confirmation du retour de l’ancien président de l’OM à Marseille a fait le tour de la sphère politique locale, très agitée sur le sujet depuis quelques semaines. Le député PS et maire de secteur Patrick Mennucci était, mercredi, en Algérie avec la délégation officielle française et Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif : "Montebourg a passé l’après-midi à essayer d’empêcher l’affaire mais il n’a pas réussi..." assurait l’élu marseillais en début de nuit.

Ce que dément l’équipe du ministre. "C’est une très mauvaise nouvelle pour la démocratie à Marseille. On sait tous que M. Tapie va faire de La Provence un journal de combat acquis à sa cause politique. C’est grave. Cette ville aujourd’hui, a besoin de clarté, de transparence, d’avancée positive... Je le dis et je l’assume : je m’opposerai à lui", poursuit M. Mennucci.

Le retour potentiel de l’ancien député radical de gauche a aussi entraîné la réaction immédiate du député UMP et maire de secteur Guy Teissier, l’un de ses plus rudes rivaux électoraux au début des années 1990 : "Je comprends l’inquiétude du personnel de La Provence et je la partage, d’autant que nous ne connaissons ni le projet économique ni les conditions sociales qui sous-tendent cette reprise. Je connais suffisamment M. Tapie pour savoir que rien n’est innocent chez lui. Même s’il venait à caresser quelques espoirs politiques pour 2014, je crois que Marseille a changé sociologiquement et qu’il n’a plus de réseaux."

"TOUT LE MONDE NOUS A LÂCHÉS"

"S’il revient en politique, c’est un problème qui concerne la droite et uniquement la droite, car ça fait longtemps que M. Tapie n’est plus à gauche", répète, pour sa part, le président PS de Marseille-Provence Métropole, Eugène Caselli, qui lorgne discrètement sur la mairie de Marseille. "Je serai très vigilant sur l’emploi et l’indépendance des journalistes de La Provence, car je sais que Bernard Tapie n’a jamais eu d’état d’âme."

Face à ces déclarations, certains salariés du journal grondent : "Les politiques ont beaucoup crié au loup, mais qui a tenté de favoriser un autre dossier de reprise industrielle ? Qui a fait le tour des investisseurs potentiels ? Et du côté du monde économique local ? Ils aiment beaucoup se voir dans le journal, mais aucun n’a bougé. Tout le monde nous a lâchés alors que cette entreprise est saine, possède des rotatives neuves, une rédaction qui bosse et n’est plombée que par une chose : la dette du groupe GHM."

Jeudi, Philippe Hersant et Bernard Tapie sont annoncés à Nice le matin et à Marseille à partir de 15 heures pour rencontrer les responsables des journaux du groupe GHM. Feront-ils le détour par la rédaction de La Provence ? En début d’après-midi, le SNJ a prévu de tenir une réunion "pour informer et noter les questions des membres de la rédaction". En espérant pouvoir les poser, le jour même, à l’ancien et au nouveau patron, désormais associés.

Gilles Rof



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