Toulon : la presse régionale en difficulté


article de la rubrique libertés > liberté d’expression / presse
date de publication : mercredi 10 décembre 2014
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L’année 2014 a été dure pour la presse quotidienne régionale diffusée dans le Var : les deux journaux se sont trouvés en redressement judiciaire. Si Var Matin semble prendre un nouveau départ, il reste le cas de La Marseillaise, sans oublier le mensuel satirique Le Ravi. La diminution des ventes des éditions papiers et des recettes publicitaires expliquent en partie ces difficultés.

Et pourtant, l’existence d’une presse régionale à la fois pluraliste et indépendante est indispensable à la vie démocratique locale :
- Pluraliste pour que les différents courants d’opinions puissent s’exprimer.
- Indépendante des pouvoirs économiques pour éviter les conflits d’intérêt et indépendante des pouvoirs politiques. Pour ne donner qu’un exemple : le choix des attributaires de la publication des annonces légales, des articles de promotion ou d’information des collectivités locales, constitue un puissant moyen de pression. [1]

Vous trouverez ci-dessous un petit dossier concernant Var-Matin et La Marseillaise. Bonne chance à Var-Matin ! Et tous nos vœux à La Marseillaise pour qu’elle trouve une solution qui contribue à offrir aux Toulonnais une information pluraliste de qualité !


Nice-Matin et Var-Matin

Le journal Nice-Matin a été créé en 1945 par des membres de "Combat", mouvement issu de la Résistance, et sera exploité sous forme de SAPO (société anonyme à participation ouvrière).

En 1998, le groupe Hachette avait pris le contrôle de Nice-Matin, avant de le fusionner avec Var-Matin (en 2005). Le groupe Nice-Matin sera vendu deux ans plus tard au Groupe Hersant Média (GHM). En difficulté GHM avait fait rentrer l’homme d’affaires Bernard Tapie dans le capital en 2013, mais les deux partenaires s’étaient séparés au bout d’un an en se partageant La Provence et Nice-Matin.

26 mai 2014 : mise en redressement judiciaire du groupe de presse Nice-matin

Le groupe qui emploie environ 1.200 salariés, a terminé l’année 2013 sur une perte d’exploitation de 6 millions d’euros, qui s’est encore creusée en 2014. Il publie les quotidiens Nice-Matin (qui tire à 90.000 exemplaires), Var-Matin (65.000 exemplaires) et Monaco-Matin. Il détient aussi 50% du capital de la société Corse Presse, qui édite Corse-Matin.

Le groupe Nice-Matin affiche des pertes depuis trois ans, "par l’effet du recul conjugué des ventes au numéro et des recettes publicitaires", souligne la direction. En huit ans, la diffusion de Nice-Matin a chuté de 23 %, celle de Var-Matin de 13 %, et le groupe perd un million d’euros par mois.

D’où la décision de mise en règlement judiciaire du groupe.

7 novembre 2014 : validation de la reprise par les salariés

Le tribunal de commerce de Nice retient la candidature de la coopérative des salariés de Nice-Matin, soutenue financièrement par Bernard Tapie, pour la reprise de leur groupe déficitaire, optant pour la solution qui préserve le plus grand nombre d’emplois : 159 départs "volontaires" (14,5% des effectifs) mais aucun licenciement.

Les salariés, qui ont créé une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC), deviennent les actionnaires majoritaires du groupe Nice-Matin, et Tapie n’est pas actionnaire du groupe.

Pour rafler la mise, les salariés ont rassemblé un financement de 14,2 millions d’euros, dont 8 millions de promesses de ventes d’actifs à l’homme d’affaires Bernard Tapie, intéressé par 50% de Corse-Matin ainsi que par les murs de quatre agences locales. Propriétaire de La Provence, il possède maintenant 100% du quotidien corse dont il détenait déjà 50%.

Les salariés défendent un "projet social d’intérêt général". La SCIC a provoqué un élan de sympathie, permettant de lever 460 000 euros de dons, via un site internet et une vente aux enchères. Elle a aussi récolté 2,3 millions d’euros grâce à une partie des salariés qui ont accepté de ponctionner leur 13e mois.

La gouvernance sera confiée à un directoire, présidé par Robert Namias (ex-TF1), qui sera aussi le directeur des rédactions.
Le groupe Nice-Matin va notamment devoir mettre en place une stratégie numérique offensive, pour compenser la baisse de la diffusion papier des titres. Les salariés entendent maintenir les 14 éditions différentes des titres Nice-Matin, Var-Matin et Monaco-Matin.

On notera que l’ex-procureur Éric de Montgolfier a accepté de siéger au conseil de surveillance de Nice-Matin repris par ses salariés :

« Quand les représentants des salariés me l’ont demandé, je n’ai pas hésité un instant. Pour contribuer, autant que je le pourrai, à la nécessaire indépendance de votre journal. Je crois que la presse peut servir la politique, mais elle ne peut pas servir les politiques. Le pouvoir ne s’incarne pas dans des personnes, il s’incarne d’abord dans une collectivité et l’intérêt général de la collectivité.
 [2] »

Var-Matin et le pouvoir politique

Cette évolution n’a pas échappé à Hubert Falco. Il a saisi l’occasion d’un dossier de 2 pages consacré à “L’attractivité de l’agglo étudiée par Toulon@venir” [3] publié dans Var-Matin le 2 décembre 2014, pour attaquer de front sur son blog. En voici le début :

« Barre à gauche !


« L’édito de Robert Namias affiche avec candeur et ingénuité, son souci d’informer le lecteur en toute liberté et en toute indépendance.

« Démonstration : deux pleines pages consacrées à l’association Toulon Avenir, ouvertement opposante à notre municipalité, et présidée par le secrétaire à la propagande du PS varois. [4]

« L’usage de la liberté en l’occurrence ne fait aucun doute, mais on a plus de difficulté à se convaincre de l’indépendance de la ligne qu’il se choisit désormais. [...] [5] »

Les interventions de la mairie auprès de l’ancienne direction de Var-Matin sont connues – voyez cette page. On peut se demander si Hubert Falco ne considérait pas Var-Matin comme une courroie de transmission entre la mairie et la population.

Hubert Falco critique la nouvelle ligne rédactionnelle de Var-Matin, rien de surprenant à cela. Mais la réponse de Robert Namias est ferme. Il a répondu indirectement au Sénateur-Maire de Toulon, par un édito paru dans l’édition du 6 décembre dont nous reprenons le début :

« L’indépendance près de chez vous


« N’en déplaise à certains, l’indépendance sera bien la marque de fabrique des journaux du groupe Nice-Matin.

« Soumis à personne sinon au jugement de ses lecteurs, Nice-Matin, Var-matin et Monaco-Matin entendent bien être un lieu privilégié de débats où chacun pourra trouver légitimement sa place. Nul doute qu’il arrivera certains jours que tel lecteur soit agacé et trouve que l’on donne trop d’écho à l’opinion adverse, mais que ce lecteur soit assuré qu’il trouvera le même accueil dans nos colonnes. Informer est un moyen parmi d’autres de faire vivre la démocratie et en l’occurrence, pour ce qui nous concerne, la démocratie locale.

« Mille débats se posent dans les communes de nos départements et chacun pourra se faire entendre.

« C’est en cela que nous affirmerons notre indépendance. En étant le miroir le moins déformant possible de votre vie quotidienne.
Notre projet : que tous se retrouvent dans ces journaux. Que ceux-ci accordent plus de place encore aux initiatives que prennent les communes et tous ceux qui y vivent. Qu’elle soit économique, culturelle, sportive, la vie dans nos villes et nos villages reste intense, même si elle est souvent rendue plus difficile par le poids de la crise.[...] »

Adressons nos voeux les plus sincères de succès à ce nouveau Var-Matin !

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Le quotidien la Marseillaise en redressement judiciaire

Var-Matin le 26 novembre 2014


Fondée dans la clandestinité par la Résistance en 1943, la Marseillaise, qui souffle cette année ses 70 bougies et devrait être placée en mardi en redressement judiciaire, lutte pour sa survie de journal d’opinion engagé dans les luttes sociales et politiques.

Confrontée à une perte de 1,5 million d’euros en 2014, la Marseillaise vient de se déclarer en cessation de paiement. La direction du journal, qui a déposé le bilan, a plaidé lundi 24, lors d’une audience devant le tribunal de commerce, pour son placement en redressement judiciaire qui devrait être officialisé dans le jugement attendu mardi 25 novembre.

"La Marseillaise est victime de la crise qui affecte la presse papier", a déclaré à l’AFP son PDG, Jean-Louis Bousquet. En cause, selon lui, la nette baisse des aides de l’État aux collectivités locales et, en conséquence, une diminution importante des appels d’offres et de recettes publicitaires. Le quotidien qui cherche désormais à "se recapitaliser" essayera de "se moderniser" en se tournant notamment vers le multimédia, prévoit M. Bousquet.

Le journal sera toutefois contraint de réduire ses effectifs. "Nous le ferons de la manière la moins douloureuse possible en limitant au maximum le nombre de départs", promet M. Bousquet sans avancer de chiffres.

Diffusé dans six départements

La CGT pronostique un plan social touchant quelque 70 personnes. Pour Jean-Marie Dinh, délégué SNJ-CGT "il faut maintenant que la direction présente un projet à moyen terme. On veut y être associé".

Lundi, alors que le tribunal de commerce étudiait la demande de redressement, une centaine de personnes se sont rassemblées en signe de soutien : salariés, marins CGT de la SNCM, militants du parti communiste et lecteurs.

Lecteur "assidu" du journal depuis 37 ans, Michel Lavandier, qui participerait volontiers à une souscription pour le sauver, est venu soutenir "le seul journal qui informe de manière nette et précise sur les problèmes sociaux et les grèves".

Pour Jean-Marc Coppola, vice-président (PCF) du conseil régional Paca, les difficultés financières de la Marseillaise témoignent de "l’absence de soutien de l’État pour faire vivre le pluralisme de la presse", car "ce ne sont pas les collectivités locales qui peuvent lui venir en aide", selon lui.

Au moment même où la Marseillaise voit son avenir compromis avec un dépôt de bilan, une exposition retrace, à Marseille, pour les 70 ans de sa parution légale, les heures fastes du journal au travers notamment des "unes" du journal clandestin.

Le premier numéro de la Marseillaise, "organe du Front national de lutte pour la libération de la France", un mensuel à la publication irrégulière, était sorti sous le manteau, le 1er décembre 1943, tiré à 5.000 exemplaires pour, selon le journal "regrouper les patriotes, transmettre les vraies nouvelles".

Un an plus tard, à la libération de la cité phocéenne, en août 1944, "la Marseillaise de la victoire" était vendue à la criée sur le Vieux-Port, à deux pas de l’immeuble qui abrite toujours la rédaction et l’imprimerie.

Étroitement lié au parti communiste jusqu’en 1967, puis à l’ensemble de la gauche, deuxième quotidien marseillais avec la Provence, la Marseillaise est diffusée dans six départements de la région.

"Le grand problème du journal a toujours été de trouver des moyens de survie", se souvient Marcel Thomazeau, ancien directeur administratif (1967-1984) évoquant ses "batailles" pour trouver des recettes publicitaires.

Communiste pur et dur à ses débuts, la Marseillaise avait ouvert sa ligne éditoriale à la fin des années 90 mais en revendiquant toujours son statut de journal d’opinion de gauche, engagé aux côtés de la classe ouvrière et dans les guerres de décolonisation.

Soutenu par aucun groupe de presse, le quotidien marseillais a déjà connu plusieurs crises. Pour surmonter la dernière, M. Thomazeau se veut optimiste, comptant notamment sur le soutien des collectivités et un lectorat qui n’a selon lui jamais fait défaut. "Les forces politiques ont-elles intérêt à ce qu’il n’y ait plus qu’un seul journal, celui de Bernard Tapie (La Provence, ndlr) ?", interroge-t-il.

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De son côté, la section de Toulon de la LDH a adressé une motion de soutien à La Marseillaise [6] qui a été publiée dans l’édition du 9 décembre :

Nous avons besoin de La Marseillaise

Le bruit court : La Marseillaise est en difficulté, La Marseillaise est menacée, La Marseillaise va disparaître ...

Non, nous ne pouvons imaginer son absence !

La Marseillaise est à la fois un journal d’opinion qui contribue au pluralisme de l’information et un journal d’informations plurielles. C’est un média à l’écoute des citoyens, proche de la population, toujours disponible pour relayer les initiatives locales tout en portant un éclairage sur le monde. Sa disparition signerait une perte de notre liberté d’expression, une atteinte au débat public dans sa diversité, un dommage irréparable à la démocratie.

La section de Toulon de la Ligue des droits de l’Homme rappelle que la liberté de l’information est garantie par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme, et que la libre expression des idées, comme le libre accès à l’information, sont essentiels dans une société démocratique.

Nous apportons notre soutien plein et entier à La Marseillaise et à tous ses employés.

La Marseillaise doit continuer à vivre, nous avons besoin d’elle !

Toulon, le 7 décembre 2014

Le bureau de la section de Toulon de la
Ligue des droits de l’Homme (LDH)


Notes

[1Voir cette page :http://www.marsactu.fr/business/pre...].

[4[Note de LDH-Toulon] – Le journal précisait que « Dénonçant le Toulon bashing, [...], Hubert Falco ne souhaite pas commenter l’étude rédigée par Toulon@venir. »

[6Pour apporter votre soutien à La Marseillaise : http://pourquevivelamarseillaise.bl....


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