Au Banquet du livre, dans l’Aude, des milliers d’ouvrages ont été souillés à l’huile de vidange. Le thème de cette dixième édition, « la Nuit sexuelle », est vivement critiqué depuis juin par un site Internet de catholiques radicaux.
Communiqué de la LDH
Contre l’obscurantisme religieux qui détruit les livres, la LDH se mobilise
La section de Carcassonne et l’Observatoire de la liberté d’expression en matière de création de la Ligue des droits de l’Homme dénoncent la destruction de 12.000 livres, arrosés d’huile de vidange, dans la nuit du 8 au 9 août, dans la librairie du Banquet du livre à Lagrasse dans l’Aude. Ce festival du livre qui se tient dans une abbaye rachetée pour partie par le Conseil général (des moines traditionalistes vivent dans l’autre partie de l’abbaye) a pour thème cette année « La nuit sexuelle », en hommage à l’écrivain Pascal Quignard qui en a établi le programme. Parmi les ouvrages détruits figuraient des livres pour enfants et des textes de pères de l’Eglise.
Favoriser la divulgation de la culture dans toutes ses problématiques y compris dans celles qui sont considérées comme tabous par les religions est un devoir de l’Etat. Si certains sont choqués, le débat doit avoir lieu dans sa plus libre expression. Que des personnes se soient crues autorisées à utiliser une arme, la destruction des oeuvres, rappelant l’inquisition et les guerres des religions, est évidemment consternant. Et il faut remonter à la tentative d’incendie du cinéma Saint-Michel qui « osait » diffuser La dernière tentation du Christ de Martin Scorcèse pour retrouver une telle violence.
La Ligue des droits de l’Homme tient à faire savoir qu’elle est mobilisée, comme elle l’a toujours été, tant sur le plan local que sur le plan national, pour combattre ceux qui voudraient dicter aux autres ce qu’ils doivent penser, ressentir ou croire. Elle assure de sa sympathie et de son soutien les organisateurs de cette manifestation, et les éditeurs et écrivains qui y participent.
Paris, le 10 août 2007.
Trois jours après sa clôture, le dixième Banquet du livre de Lagrasse (Aude) est toujours sous le choc. Dans la nuit du 8 au 9 août, des inconnus ont pénétré dans les salles de l’abbaye de Lagrasse, où se tient depuis dix ans cette manifestation littéraire de qualité, et recouvert d’huile de vidange et de gas-oil les 10 000 ouvrages de la librairie temporaire installée par Christian Thorel, responsable de la librairie toulousaine Ombres blanches.
Préjudice. Une dizaine de jeunes bénévoles ont tenté de sauver ce qui pouvait l’être à l’aide de chiffons et de flacons d’eau écarlate. Le préjudice strictement financier est estimé à 80 000 euros. Mais le dégât symbolique est incalculable. L’acte de vandalisme, non revendiqué jusqu’à présent, laisse Christian Thorel pour le moins dubitatif. Selon lui, cet « acte inouï » est littéralement inqualifiable : « Le coup peut venir de n’importe qui. Aujourd’hui, il suffit d’un mot pour que deux ou trois individus débloquent. Ils ont noirci les livres sans les ouvrir ; le livre est pour eux l’ennemi, on a affaire à des gens mariés avec une imbécillité définitive. Il y a un aspect infra-humain dans ce geste. »
Organisée depuis 1995, dans la partie de l’abbaye déconsacrée depuis 1789 et propriété du conseil général, cette manifestation littéraire n’avait jamais connu le moindre incident. Et ce malgré une cohabitation a priori conflictuelle. En 2004, des chanoines réguliers de la Mère de Dieu, communauté catholique traditionaliste, ont racheté d’autres bâtiments de l’abbaye, jusqu’alors propriété de particuliers, et s’y sont installés. Mais cette congrégation vivant selon la règle de Saint-Augustin, ne s’est jamais émue des concerts, des fêtes ou des réunions associatives et politiques organisées régulièrement dans la partie publique de l’abbaye.
« Esprits tordus ». Le père Emmanuel, responsable de la congrégation, a d’ailleurs condamné les déprédations commises, même s’il n’a pas jugé bon d’aller rencontrer les organisateurs. Reste que le thème choisi cette année par le Banquet, « la Nuit sexuelle », titre du prochain ouvrage de Pascal Quignard à paraître à l’automne, ainsi que les projections de films afférents au thème ( Salo de Pasolini, les Liaisons dangereuses de Stephen Frears, l’Empire des sens d’Oshima…) ont suscité l’ire d’une poignée de catholiques radicaux.
Depuis le mois de juin, le site Internet Unitas qui se définit lui-même comme un « réseau de chrétiens engagés » qui entendent « combattre les décisions et les propos qui stigmatisent les chrétiens », incite à protester par mail ou par écrit contre la tenue du « tristement célèbre Banquet du livre », en « ce haut lieu de la chrétienté », par « la fine fleur des esprits tordus » qui se réunit « pour célébrer cette Nuit sexuelle qu’ils imaginent sans doute porteuse de quelque puissance occulte. »
Hier, cette invite était toujours en ligne sur le site d’Unitas sans que soit mentionné par ailleurs le saccage du salon littéraire de Lagrasse. Il n’y avait pourtant peu de risque que les feulements de l’Empire des sens ne troublent les méditations ou le sommeil de la trentaine de jeunes chanoines résidents, l’épaisseur ancestrale des murs de l’abbaye les mettant à l’abri de toute pollution, du moins sonore.
Affliction. Quant aux livres mazoutés, pas de quoi non plus fouetter un enfant de chœur. Les visiteurs avaient le choix entre 4 000 titres et il fallait bien chercher, parmi les textes de philosophie antique, les ouvrages pour enfants ou les livres religieux pour découvrir une partie de l’anatomie de Catherine Millet ou une reproduction d’un tableau de Clovis Trouille. Le « gag », c’est que les vandales ont au passage souillé des écrits de Saint-Augustin.
Du côté des organisateurs, la stupéfaction le dispute à l’affliction. « On n’a pas imaginé faire œuvre de provocation en choisissant ce thème, on entretient de bonnes relations avec les chanoines qui sont venus assister à des lectures l’année dernière », assure Jean-Michel Mariou, président de l’association Marque-page, organisatrice du Banquet. « Et puis c’est un bâtiment public, je croyais qu’on vivait en France », ajoute-t-il. Le conseil général de l’Aude (PS), dans un communiqué, a parlé d’une « symbolique de l’autodafé » et a porté plainte.
Malgré leur désarroi, la détermination des organisateurs est restée intacte. Le programme des lectures, conférences et projections a été maintenu intégralement jusqu’à la clôture du Banquet, vendredi dernier, et une nouvelle librairie consacrée à la censure et aux fondamentalismes religieux a été immédiatement constituée. Le Banquet sera reconduit l’année prochaine et dès que les travaux de rénovation le permettront, une librairie permanente sera installée dans ce « haut lieu de la chrétienté » édifié au VIIIe siècle par Charlemagne, empereur très baptisé et néanmoins grand amoureux des dames et du savoir.