La décision du tribunal correctionnel de Paris est importante en matière de droit de la presse. Le tribunal a en effet estimé qu’un journaliste est fondé à publier des documents extraits de procédures judiciaires : il n’est pas soumis au secret de l’enquête ou de l’instruction, car il a « pour seule mission [...] de contribuer à l’information du public », un principe garanti par la Convention européenne des droits de l’homme.
Secret de l’instruction et information
par Pascale Robert-Diard, Le Monde daté du 19 novembre 2006Poursuivi depuis huit ans pour violation du secret professionnel, le magistrat Albert Lévy a été relaxé, mardi 14 novembre, par la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris. Il lui était reproché d’avoir fourni en 1998 à un journaliste de VSD, Claude Ardid, des pièces couvertes par le secret de l’instruction. Dans son jugement, le tribunal estime non seulement qu’« aucun élément sérieux ne vient mettre en cause Albert Lévy » dans la transmission de ces pièces, mais il s’interroge « sur le fait de savoir si l’enquête a toujours été conduite contre lui avec toute l’impartialité nécessaire ».
Voilà pour le premier épilogue de l’affaire. Le deuxième, plus inattendu, comporte une avancée en matière de droit de la presse. Dans ce dossier, le journaliste Claude Ardid était poursuivi pour « recel de violation de secret professionnel et du secret de l’enquête et de l’instruction ». Une perquisition à son domicile avait permis la découverte de documents couverts par le secret de l’instruction.
Le tribunal a relevé une contradiction juridique majeure entre la possibilité offerte au journaliste, lorsqu’il était poursuivi pour diffamation, de produire pour sa défense des pièces couvertes par le secret de l’instruction et l’existence d’une poursuite contre le même pour recel de violation de ce secret.
Le tribunal indique que « non seulement la production de pièces couvertes par le secret est admise » mais qu’elle est « le moyen le plus pertinent offert à la personne poursuivie en diffamation, en ce qu’il lui permet de respecter le secret des sources ». Rappelant que le journaliste, qui n’est pas soumis au secret de l’instruction, « a pour seule mission, y compris sur les affaires judiciaires en cours, de contribuer à l’information du public », le tribunal déclare qu’il ne saurait en conséquence être « inquiété qu’à raison des abus de la liberté d’expression dont il se rendrait responsable ».
Dans ces conditions, ajoute le tribunal, « la condamnation d’un journaliste pour recel de violation du secret professionnel et du secret de l’enquête et de l’instruction, du chef de la détention des pièces couvertes par le secret et utilisées par lui pour des publications contribuant à l’information du public, ne peut pas être considérée comme nécessaire dans une société démocratique ».
Pascale Robert-Diard
Reporters sans frontières salue une avancée significative pour la liberté de la presse
La 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris a prononcé, le 14 novembre 2006, la relaxe de l‘avocat Albert Lévy et du journaliste Claude Ardid, poursuivis respectivement pour « violation du secret de l’instruction » et « recel de violation du secret de l’instruction ». Leur mise en examen avait été prononcée suite à la publication, en 1998, de pièces extraites d’enquêtes judiciaires relatives à l’attribution frauduleuse du marché des cantines scolaires à Toulon. Le tribunal a considéré que le journaliste a « pour seule mission, y compris dans les affaires judiciaires en cours, de contribuer à l’information du public ». Le jugement précise qu’« il ne saurait être inquiété qu’en raison des abus de la liberté d’expression (...) dont il se rendrait responsable (...), mais pas à raison des éventuelles violations de ce secret qui ont contribué à l’information du public. »
“Reporters sans frontières salue dans cette décision une avancée décisive pour la liberté de la presse. En effet, le tribunal est passé outre les dispositions de l’article 38 de loi du 29 juillet 1881 sur la presse, stipulant qu’”il est interdit de publier les actes d’accusation et tous autres actes de procédure criminelle ou correctionnelle (...)”, pour se conformer à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme. Cette évolution dans le sens d’un accroissement des libertés des journalistes, en particulier dans le domaine de l’investigation, est une excellente nouvelle”, a déclaré l’organisation de défense de la liberté de la presse.
“Dans un même mouvement, nous demandons au ministre de la Justice, Pascal Clément, d’honorer ses engagements du début de l’année 2006 en inscrivant le principe même de la protection du secret des sources dans la loi de 1881 sur la liberté de la presse”, a rappelé Reporters sans frontières.