Statuant sur un recours en annulation du décret du 21 juillet 2010 incriminant l’outrage au drapeau tricolore, le Conseil d’État a rejeté le pourvoi par un arrêt du 19 juillet 2011. Cette infraction reste punie de 1500 euros d’amende, mais l’interprétation du Conseil d’État limite les cas susceptibles d’entraîner des sanctions pénales : l’infraction n’est pas constituée si un message politique, une démarche artistique ou une réflexion philosophique peut y être décelé.
Maître Eolas
Communiqué
Paris, le 1er septembre 2011
Outrage au drapeau : fin de partie pour le gouvernement,
et vigilance à Caen où la liberté d’expression doit triompher
A la suite du recours de la Ligue des droits de l’Homme contre le décret n°2010-835 du 21 juillet 2010 relatif à « l’incrimination de l’outrage au drapeau tricolore », le Conseil d’Etat a recadré l’infraction d’outrage au drapeau (décision du 19 juillet 2011).
Rappelons que la loi de 2003 sur la Sécurité intérieure avait incriminé « le fait, au cours d’une manifestation organisée ou réglementée par les autorités publiques, d’outrager publiquement l’hymne national ou le drapeau tricolore ». Il convenait de faire taire ces mauvais Français qui sifflaient la Marseillaise dans les stades, et pour faire bonne mesure, le gouvernement Raffarin avait ajouté le drapeau, sait-on jamais. Les auteurs risquent depuis 7 500€ d’amende, et six mois de prison s’ils ont commis les faits en réunion (article 433-5-1 du code pénal) : on ne plaisante pas avec les symboles de la République.
Voilà qu’en 2010, la Fnac organise un concours de photo amateur (depuis, les organisateurs ont été licenciés…) à Nice, avec une catégorie « politiquement incorrect », et que le gagnant est… l’auteur d’une photographie montrant un homme de dos s’essuyant les fesses avec la partie rouge du drapeau. L’ire de la Garde des Sceaux, Michèle Alliot-Marie, est grande, et, entre deux voyages amicaux en Tunisie, où elle dispense de bons conseil en matière de liberté d’expression, de réunion, et d’association, elle trouve le temps de « répondre » à cette facétieuse provocation par une très sérieuse nouvelle incrimination visant, cette fois, de façon beaucoup plus large, comme contravention passible du tribunal de police, le fait, lorsqu’il est « commis dans des conditions de nature à troubler l’ordre public et dans l’intention d’outrager le drapeau tricolore :
- de détruire celui-ci, le détériorer ou l’utiliser de manière dégradante, dans un lieu public ou ouvert au public ;
- pour l’auteur de tels faits, même commis dans un lieu privé, de diffuser ou faire diffuser l’enregistrement d’images relatives à leur commission » (article R.645-15 du code pénal).
Or il se trouve que le premier délit avait fait l’objet d’un avis du Conseil constitutionnel en 2003, lequel l’avait sérieusement bordé, excluant de son champ d’application « les œuvres de l’esprit, les propos tenus dans un cercle privé ainsi que les actes accomplis lors de manifestations non organisées par les autorités publiques ou non réglementées par elles » (décision n° 2003-467 en date du 13 mars 2003, paragraphe 104).
Cette nouvelle infraction visant expressément à contredire le Conseil constitutionnel, la LDH a saisi le Conseil d’Etat pour voir annuler le nouveau décret signé du Premier ministre. Patatras pour le gouvernement et pour tous les députés de la droite populiste qui tiennent des discours pétainistes sur les ondes pour glaner les mauvaises herbes des terres frontistes ! En effet, le Conseil d’Etat précise que « ce texte n’a pas pour objet de réprimer » les outrages au drapeau « qui reposeraient sur la volonté de communiquer, par cet acte, des idées politiques ou philosophiques ou feraient œuvre de création artistique, sauf à ce que ce mode d’expression ne puisse, sous le contrôle du juge pénal, être regardé comme une œuvre de l’esprit ». Plutôt que d’annuler ce stupide décret, contraire à la liberté d’expression, la haute juridiction en propose une interprétation qui devrait permettre la réintégration à la Fnac avec les honneurs des organisateurs du concours, et aux juridictions saisies de relaxer les prévenus lorsque ceux-ci ne font que créer ou exprimer des idées politiques ou philosophiques.
L’Observatoire de la liberté de création, créé à l’initiative de la LDH, avec tous ses partenaires, approuve cette interprétation du texte et sera très vigilant quant à son application. D’autant que le 30 septembre, à Caen, un artiste de la compagnie de théâtre d’intervention L’Oreille arrachée comparaîtra pour avoir, le 15 juin 2011, avant une manifestation de protestation contre la baisse des subventions d’Etat dans la politique de la ville (Contrat urbain de cohésion sociale), revêtu, comme costume, une burqa tricolore, pour interpréter le personnage de « Nadine Hamouk, porte-parole des musulmans, transsexuels et patriotes de France ». Il avait, ainsi vêtu, rejoint la manifestation. Il doit être relaxé, et l’Observatoire de la liberté de création lui exprime son soutien.
Et puisque le public qui siffle la Marseillaise fait, lui aussi, de la politique, et se saisit là d’une opportunité rare de s’exprimer sur la façon dont le traite la République, il n’y a plus qu’à remettre les articles 433-5-1 et R.645-15 du code pénal dans la poubelle dont ils n’auraient jamais dû sortir.
À l’origine de ce texte, le prix attribué à une photo d’un homme en train de se frotter le postérieur avec un drapeau de la République, lors d’un concours organisé par la FNAC de Nice sur le thème du politiquement incorrect. Suite à l’émoi manifesté par une partie de la majorité présidentielle, le gouvernement avait fait paraître un décret visant à interdire toute atteinte au drapeau tricolore. La Ligue des Droits de l’homme avait introduit un recours pour excès de pouvoir contre ce décret.
Dans l’arrêt qu’il vient de rendre, le Conseil d’État rejette ce pourvoi mais au terme d’une interprétation qui circonscrit les cas susceptibles d’entraîner des sanctions pénales. En effet, il est toujours possible d’outrager le drapeau français pourvu qu’un message politique, une démarche artistique ou une réflexion philosophique puisse y être décelé.
On en saura bientôt un peu plus. En effet, le 30 septembre prochain, à Caen, pour la première fois, un artiste sera jugé pour « avoir volontairement utilisé de manière dégradante le drapeau tricolore dans un lieu public, ouvert au public et de nature à troubler l’ordre public. » Les faits : le 15 juin 2011, en prologue à une manifestation de protestation contre la baisse des subventions d’État dans la politique de la ville (Contrat Urbain de Cohésion Sociale), la compagnie de théâtre d’intervention L’Oreille arrachée, avait offert une courte représentation au cours de laquelle Yoann Leforestier avait revêtu, comme costume, une burqa tricolore – voir cette page. Cette manifestation portant visiblement un message politique, on peut s’attendre à ce que Yoann bénéficie d’une relaxe.
Le décret validé sauf cas de création d’une œuvre de l’esprit
[Source : LexTimes.fr ]
Statuant sur un recours en annulation du décret du 21 juillet 2010 incriminant l’outrage au drapeau tricolore, le Conseil d’État [1] a récemment conclu à la légalité de l’acte attaqué par la Ligue des Droits de l’Homme (LDH), tout en circonscrivant les cas susceptibles d’entraîner des sanctions pénales. Autrement dit, il reste possible d’outrager le drapeau national si l’intention est politique, artistique ou philosophique.
« Politiquement incorrect ». Le thème du concours organisé en 2010 par la Fnac était clair, le message de la photographie récompensée aussi. Un véritable détonateur pour la ministre de la justice de l’époque, Michèle Alliot-Marie, qui a aussitôt souhaité renforcer la législation relative à l’outrage au drapeau tricolore. Car depuis 2003, l’article 433-5-1 du code pénal en fait déjà un délit lorsque l’outrage est commis publiquement durant une manifestation organisée ou réglementée par les autorités publiques.
Et si le photographe n’a pu être poursuivi – les faits n’entrant pas dans le cadre de la loi, le décret n° 2010-835 du 21 juillet 2010 relatif à l’incrimination de l’outrage au drapeau tricolore aujourd’hui codifié à l’article R 645-5-1 la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables ». Mais en l’espèce, le pouvoir réglementaire a fait le choix de la contravention pour incriminer l’outrage au drapeau tricolore. Or, comme le Conseil le rappelle, « la détermination des contraventions et des peines qui leur sont applicables ressortit à la compétence du pouvoir réglementaire ».
Sauf que dans notre affaire, l’incrimination a pour effet de limiter l’exercice d’une liberté publique constitutionnellement garantie – la liberté d’expression, notamment. Le Conseil d’État retient toutefois que cette « circonstance […] ne saurait, par elle-même, avoir pour conséquence de réserver au pouvoir législatif la compétence pour édicter ces contraventions, dès lors qu’elles n’ont pas pour objet de réglementer l’exercice de cette liberté mais seulement d’y apporter les limitations nécessaires à la sauvegarde de l’ordre public ».
Sur le fond de l’affaire, qui concerne donc les effets de l’incrimination sur l’exercice de la liberté d’expression (art. 10 DDHC et CEDH) et de la liberté de communiquer ses opinions (art. 11 de la DDHC), la Haute juridiction relève que les deux comportements visés ne sont sanctionnés que lorsqu’ils sont « commis dans des conditions de nature à troubler l’ordre public et dans l’intention d’outrager le drapeau tricolore ». Il en déduit que le pouvoir réglementaire n’a entendu incriminer « que les dégradations physiques ou symboliques du drapeau susceptibles d’entrainer des troubles graves à la tranquillité et à la sécurité publiques et commises dans la seule intention de détruire, abîmer ou avilir le drapeau ». Ainsi, n’entrent pas dans le champ d’application de l’infraction les actes de cette nature qui reposeraient « sur la volonté de communiquer […] des idées politiques ou philosophiques ou feraient œuvre de création artistique, sauf à ce que ce mode d’expression ne puisse, sous le contrôle du juge pénal, être regardé comme une œuvre de l’esprit ».
« Compte tenu de ces précisions », le Conseil d’État retient que le décret ne porte pas une atteinte excessive à la liberté d’expression. Et qu’ « au regard des peines déjà prévues par le législateur […] pour protéger l’emblème de la République […] d’atteintes de ce type, l’auteur du décret attaqué n’a pas fait une inexacte appréciation de la nécessité d’interdire les agissements réprimés par ce texte et les sanctions destinées à punir la contravention à ces interdictions ». Ainsi, conclut le juge administratif, la LDH n’est pas fondée à demander l’annulation du décret attaqué. L’incrimination d’outrage au drapeau tricolore est donc validée mais la juridiction suprême écarte de son champ d’application tous les actes de cette nature résultant d’une « œuvre de l’esprit ». Faites donc preuve d’imagination !
Caroline Reinhart, le 25 août 2011
Interprétation neutralisante de l’outrage au drapeau tricolore
[Source : Dalloz Actualité ]
Rappelant les domaines respectifs de la loi et du règlement concernant les crimes, délits et contraventions, la haute assemblée précise tout d’abord « que la circonstance que l’incrimination d’un acte a pour effet de limiter l’exercice d’une liberté publique garantie par des dispositions constitutionnelles ne saurait, par elle-même, avoir pour conséquence de réserver au pouvoir législatif la compétence pour édicter ces contraventions, dès lors qu’elles n’ont pas pour objet de réglementer l’exercice de cette liberté mais seulement d’y apporter les limitations nécessaires à la sauvegarde de l’ordre public ».
S’agissant du moyen tiré de ce que le décret attaqué porterait atteinte à la liberté d’expression, le Conseil d’État précise, à la lecture des articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (Convention EDH), « qu’il appartient au pouvoir réglementaire, lorsqu’il édicte une incrimination qui, comme en l’espèce, peut avoir pour effet de limiter la liberté de chacun d’exprimer, quel qu’en soit le mode, ses idées, de concilier la garantie de cette liberté avec les exigences de l’ordre public ».
En l’espèce, la haute assemblée considère « qu’en prévoyant que le fait de détruire, détériorer ou utiliser de manière dégradante le drapeau tricolore, dans un lieu public ou ouvert au public, ou de diffuser ou faire diffuser l’enregistrement d’images relatives à de tels faits, même commis dans un lieu privé, n’est passible des peines que prévoit le décret que commis dans des conditions de nature à troubler l’ordre public et dans l’intention d’outrager le drapeau tricolore, le pouvoir réglementaire a entendu n’incriminer que les dégradations physiques ou symboliques du drapeau susceptibles d’entraîner des troubles graves à la tranquillité et à la sécurité publiques et commises dans la seule intention de détruire, abîmer ou avilir le drapeau ; qu’ainsi ce texte n’a pas pour objet de réprimer les actes de cette nature qui reposeraient sur la volonté de communiquer, par cet acte, des idées politiques ou philosophiques ou feraient œuvre de création artistique, sauf à ce que ce mode d’expression ne puisse, sous le contrôle du juge pénal, être regardé comme une œuvre de l’esprit ; qu’ainsi, compte tenu de ces précisions et malgré la généralité de la définition des actes incriminés, le décret attaqué ne porte pas […] une atteinte excessive à la liberté d’expression garantie par la [DDHC] et la [Convention EDH] ; qu’au regard des peines déjà prévues par le législateur tant dans le code pénal que dans le code de la défense pour protéger l’emblème de la République institué par l’article 2 de la Constitution d’atteintes de ce type, l’auteur du décret attaqué n’a pas fait une inexacte appréciation de la nécessité d’interdire les agissements réprimés par ce texte et des sanctions destinées à punir la contravention à ces interdictions ».
R. Grand, le 28 juillet 2011
« La nouvelle infraction d’outrage au drapeau s’arrête là où commence la liberté d’expression politique, philosophique et artistique. »
[1] CE, 19 juill. 2011, n°343430, Ligue des Droits de l’Homme c/ ministère de la justice.