La LDH exprime sa solidarité au fonctionnaire de la Police aux frontières qui est menacé de sanction pour avoir critiqué la politique du gouvernement en matière de reconduite à la frontière. Il lui est reproché d’avoir contrevenu au "devoir de réserve" auquel sont tenus les policiers.
Première mise en ligne, le 24 septembre 2005,
mise à jour le 27 septembre 2005.
COMMUNIQUÉ LDH
Paris, le 27 septembre 2005
Faire taire même les policiers ?
Dans des entretiens accordés au quotidien Libération et à la radio RMC, M. Gatti, policier en fonction à Metz à la police de l’air et des frontières (PAF), a critiqué la politique du gouvernement en matière de reconduite à la frontière des étrangers.
« On expulse à tour de bras, déclarait-il à Libération, on fait les fonds de tiroir. On va chercher tout ce qui peut traîner comme étranger en situation irrégulière. » Ou plus loin : « Jouer avec des familles pour faire du chiffre, c’est inadmissible ».
Le constat de M. Gatti, responsable local du syndicat SGP-Force ouvrière, confirme hélas l’analyse de la Ligue des droits de l’Homme, qui relève que ces expulsions massives d’étrangers ne répondent pas aux tâches prioritaires d’une police républicaine, maintien de l’ordre public pour la police administrative et recherche de la délinquance grave pour la police judiciaire.
En fait, les expulsions d’étrangers répondent essentiellement à un objectif politique fixé par le ministère de l’Intérieur de 23 000 expulsions d’étrangers en 2005, c’est-à-dire 1/3 de plus qu’en 2004 : il s’agit de se rapprocher du programme du Front national pour des raisons dont l’intéressé ne fait pas mystère.
M. Gatti, policier intègre que son syndicat n’a pas trouvé le courage de défendre, est menacé de sanctions par son ministre : il a dit tout haut ce que de plus en plus de policiers pensent tout bas et commencent à se dire entre eux dans leurs services. Même les plus endurcis supportent difficilement d’exécuter des consignes de rafles de familles, d’enlever des enfants dans les écoles et de les voir quitter la France pour la misère et l’inconnu en emportant leurs livres et leurs cahiers comme souvenirs de notre hospitalité.
M. Sarkozy ne supporte plus ni la critique, ni la libre expression d’un représentant syndical. Il a peur que les Français sachent ce que sont concrètement les conséquences des ordres qu’il donne en leur nom. Ils le sauront quand même car nous ne nous tairons pas.
La LDH exprime sa solidarité avec l’ensemble des syndicalistes frappés, comme M. Gatti, par des mesures d’intimidation et de répression, et appelle tous les citoyens épris de justice à protester contre ce nouveau signe de la dégradation de nos libertés.
Roland Gatti, de la Police aux frontières de Metz, reconduit les clandestins :
reconduire « à tour de bras »,« faire du chiffre »Par Jacky Durand [Libération, mardi 20 septembre 2005]
Roland Gatti, 52 ans, est gardien de la paix à la Police aux frontières (PAF) de Metz et secrétaire départemental du syndicat général de la police (SGP) Force ouvrière. Il fait partie des 30 fonctionnaires mosellans affectés aux escortes et aux reconduites de clandestins.
- Comment se passe votre travail ?
On est à peu près à 54 % de l’objectif de reconduites qui nous a été fixé par le ministère de l’Intérieur pour la Moselle. Soit autour de 700 mesures d’éloignements pour un total de 1 300 à atteindre sur l’année [1]. On est donc loin du compte. On expulse à tour de bras, on fait les fonds de tiroir. On va chercher tout ce qui peut traîner comme étranger en situation irrégulière. On « fait » beaucoup de familles. Une famille, ça peut faire six personnes. Souvent, ce sont des gens qui sont là depuis plusieurs années. Même les collègues les plus durs chez nous ne comprennent pas.
- Un exemple ?
Dernièrement, j’ai pris en charge une famille africaine. La femme était en France depuis quatre ans. Elle faisait des études. Son compagnon avait fait plusieurs demandes d’asile territorial. Entre-temps, ils ont eu un enfant. On constate que le gouvernement expulse de plus en plus de familles. Avec des enfants de trois à sept ans. C’est souvent le gamin qui est ici depuis trois ou quatre ans et qui a appris le Français qui nous sert d’interprète à nous policier. J’ai vécu le cas d’une famille turque. Une petite fille qui nous demandait de lui préciser le sens de certains mots pour les expliquer ensuite à ses parents. C’est poignant. Vous prenez ces gamins et ces parents qui viennent de là où il n’y a rien, ils sont prêts à tout pour s’intégrer. Ce qui est impressionnant, c’est leur volonté de s’intégrer dans la société française. Ce sont des gens cultivés. Ils ont appris à parler le français très vite. Je suis un peu surpris quand j’entends Nicolas Sarkozy dire qu’il veut intégrer les gens. Il y a des personnes déjà très intégrées. Elles inculquent à leurs enfants qu’il faut tout faire pour bien travailler à l’école, pour s’insérer le mieux possible dans la société française. Quand ces enfants rentrent dans le pays de leurs parents, ça ne doit pas être facile.
- Et les jeunes majeurs ?
Ça, c’est très très dur. C’est choquant parce que lorsque vous allez chercher ces gamins-là, la seule chose qu’ils emmènent, ce sont leurs cahiers. Ils sont prêts à laisser leur Nintendo ou leur ballon de foot, leur jouet. Même si leurs parents sont modestes, ils essaient d’apporter quelque chose à leurs gosses. Le gamin, lui, il veut repartir avec ses livres de classe, le savoir qu’il a acquis en France. Certains ministres devraient venir voir ces jeunes-là. Evidemment, on ne peut pas accepter tous les étrangers en France, mais si ces gens viennent ici, c’est qu’ils sont mal chez eux. Il faut que l’Etat sache qu’en les reconduisant par la porte, ils vont revenir par la fenêtre. On a reconduit un Turc que j’avais connu à l’époque où j’étais en sécurité publique. Quinze jours après avoir été ramené à Istanbul, il était de retour ici. J’ai escorté un Algérien ce matin. Ça fait cinq ans qu’il était en France. Il travaillait, cotisait pour sa protection sociale. Il s’est fait interpeller à Thionville, va être reconduit dans son pays. Il est maçon-carreleur. Son patron est embêté. C’est un excellent ouvrier...
- Quelle est la situation dans les centres de rétention ?
C’est de pire en pire. Les centres de rétention sont pleins à craquer. Faute de place, on est obligé d’emmener des gens de Metz à Toulouse, à Bordeaux, à Lille et de faire ainsi des milliers de kilomètres. Alors qu’ils n’ont pas un an, tous nos véhicules dépassent les 10 000 kilomètres...
- A quoi peuvent servir les primes au mérite dans un tel contexte ?
C’est une connerie. Jouer avec des familles pour faire du chiffre, c’est inadmissible.
Jacky Durand
Un policier menacé de sanctions pour avoir critiqué les reconduites à la frontière
par Pasal Ceaux [Le Monde, du 24 septembre 2005]
[...]Le policier croyait pouvoir tenir ces propos en toute liberté, abrité derrière son mandat de représentant local du Syndicat général de la police (SGP). C’est d’ailleurs à ce titre qu’il s’est exprimé dans les différents organes de presse. Les responsables nationaux du SGP ne l’ont pas entendu de cette oreille. Après avoir pris connaissance des déclarations de leur adhérent, ils l’ont désavoué dans un communiqué rendu public le 20 septembre. "Ces propos n’engagent que M. Gatti et en aucun cas le SGP, est-il notamment écrit. M. Gatti n’est en aucune manière mandaté pour parler en son nom."
L’un des dirigeants du SGP, le secrétaire général adjoint, Gilles Wiart, a profité d’une commission technique paritaire réunissant les syndicats et le directeur général de la police nationale, Michel Gaudin, le 20 septembre, pour se dire "surpris" des déclarations de M. Gatti. "Je considère que les policiers de la PAF sont des humanistes, affirme M. Wiart. Il n’y a pas d’acharnement de leur part ou d’opérations ciblées. Ils ne font ni plus ni moins qu’exécuter les décisions de justice ou administratives."
UN RISQUE DE MUTATION DISCIPLINAIRE
M. Gatti a été l’objet d’une première audition disciplinaire, mercredi 21 septembre, à Metz, au cours de laquelle il lui a été demandé de s’expliquer sur ses déclarations. L’administration attend les conclusions de l’enquête pour prendre une décision, qui pourrait être une mutation disciplinaire.
L’incident intervient alors que le ministre de l’intérieur, Nicolas Sarkozy, a placé la lutte contre l’immigration irrégulière au rang de ses priorités. Il l’a redit aux préfets lors d’un discours tenu devant eux, le 9 septembre, précisant que cet objectif devait "constituer le deuxième axe majeur de - leur - action". M. Sarkozy avait évoqué à nouveau, au cours de cette réunion, les "objectifs chiffrés" de 23 000 éloignements d’étrangers en 2005. "Sur huit mois, 56 % des objectifs ont été atteints, a ajouté le ministre. Il vous reste donc cinq mois pour accentuer l’effort."
"Les reconduites à la frontière, c’est l’une des choses les plus délicates du métier", témoigne le secrétaire général du syndicat Alliance, Jean-Luc Garnier. "Nous ne sommes pas maître d’oeuvre, dit-il, contestant les propos de M. Gatti, ce sont les juges ou les préfets qui ordonnent. Nous nous contentons d’exécuter les décisions."
La multiplication des reconduites suscite des difficultés : encombrement des centres de rétention administrative, nécessité d’accomplir plusieurs centaines de kilomètres pour trouver des places aux personnes en attente d’expulsion du territoire... "Il est vrai qu’il est très difficile de trouver des volontaires pour rejoindre les unités spécialisées de la PAF, admet M. Garnier. Ce travail est souvent une source d’ennuis. Pour effectuer les reconduites, le ministère est donc contraint de recourir à des policiers d’autres services, qui sont, en général, plutôt réticents." Mais qui n’en parlent pas aux médias.
Pascal Ceaux
[1] En 2003, la PAF de Metz a procédé à 650 reconduites.