On sait que l’extrême droite aime à jouer avec les identités locales. Le grand « Provençal » Bruno Mégret, en son temps, à Vitrolles, avait débaptisé la place Nelson Mandela pour lui donner celui de Marguerite de Provence. Le tout aussi « provençal » maire de Cogolin, dont le programme ne manquait pas de se référer aux traditions et à l’identité régionales, a montré sa profonde connaissance du département où il a été parachuté de Paris en souhaitant donner le nom de Maurice Barrès à une place de Cogolin. Le FN jouant désormais profil bas sur un certain nombre de questions pouvant troubler son image, cette initiative ne paraît plus d’actualité, mais, puisque l’on se trouve dans la commémoration du centenaire de la Première Guerre mondiale et puisque le FN prétend monopoliser le patriotisme, quatre historiens viennent de rappeler au maire de Cogolin comment le très xénophobe Maurice Barrès considérait les Méridionaux et lui proposent de baptiser plutôt l’une de ses places du nom du XVe Corps ou du nom de soldats de Cogolin, de ce même XVe Corps, morts en Lorraine – qui était la province de prédilection de Barrès – en août 1914.
Rappelons que le XVe Corps d’armée (composé des contingents venus de la XVe région, soit, pour l’essentiel, de Provence) a été lancé par l’état-major, en août 1914, de façon criminelle, contre les positions allemandes. S’étant replié avec de lourdes pertes, il servit de bouc émissaire à l’échec de l’armée française et c’est là que l’on mesure la force et la nocivité des stéréotypes que des écrivains comme Barrès avaient largement contribué à entretenir. Le sénateur de la Seine Auguste Gervais dans un grand quotidien parisien, Le Matin, écrivit le 24 août 1914 : « Un incident déplorable s’est produit. Une division du XVe Corps, composée de contingents d’Antibes, de Toulon, de Marseille et d’Aix, a lâché pied devant l’ennemi… Surprises sans doute par les effets terrifiants de la mitraille, les troupes de l’aimable Provence ont été prises d’un subit affolement ». L’article ne dit rien évidemment du baptême du feu subi par ces hommes le 10 août dont la charge à la baïonnette a été écrasée par l’artillerie allemande. Il ne dit rien de l’assaut réussi mais terriblement meurtrier du 14. Il ne dit rien de l’ordre donné le 19 d’attaquer dans les étangs de Dieuze sous le feu des canons et des mitrailleuses et sans aucune réserve. Il n’évoque pas les 12 500 hommes dont 220 officiers perdus en 4 jours. Il fait évidemment silence sur l’impréparation de l’attaque, sur l’insuffisance des renseignements, bref, sur les responsabilités de l’état-major – Joffre, le général en chef, de Castelnau, Foch – qu’il s’agit de protéger. L’accusation indigna tout le Midi, mais les soldats qui en étaient originaires durent souvent subir quolibets et vexations. Le XVe Corps fournit un lot significatif de « fusillés pour l’exemple ». Il n’en participa pas moins à toutes les grandes batailles de la guerre sans démériter. Aussi, de divers côtés, on entreprit très vite, à la fin de la guerre, de le réhabiliter, en donnant notamment son nom à des avenues ou des boulevards.
Voilà pourquoi, quant à jouer avec l’identité, les quatre historiens viennent de faire cette suggestion au maire de Cogolin.
Un an après la proposition du maire FN de baptiser un futur parking du nom de l’un des idéologues du nationalisme à la française, quatre historiens locaux lui adressent une lettre ouverte.
Ils ont attendu un an exactement pour prendre officiellement position. Pendant une année, ils se sont replongés dans plusieurs chapitres de l’histoire de France et tout particulièrement dans celle de la Première guerre mondiale. Aujourd’hui, quatre historiens émérites font part d’une lettre ouverte au maire destinée à lui apporter des « précisions historiques ».
En juillet 2014, le premier magistrat avait en effet, en séance du conseil municipal, émis l’idée de baptiser du nom de Maurice Barrès un futur parking contigu au square Mansui. Une polémique en était née, au nom de l’idéologie radicale de cette figure de proue du nationalisme français.
Insultes aux Provençaux
Face à cette opposition, Marc-Étienne Lansade avait décidé de renoncer momentanément à cette initiative. Hier, les quatre historiens nous ont expliqué l’objet de leur courrier. MM. Jean-Marie Guillon — professeur émérite d’histoire contemporaine, université d’Aix-Marseille —, Maurice Mistre — historien, spécialiste du 15e Corps —, Laurent Pavlidis — docteur en histoire — et Bernard Romagnan — chercheur associé au Laboratoire d’archéologie médiévale et moderne en Méditerranée, université d’Aix-Marseille — ont choisi de « mener le débat sur un plan historique et non politique ni polémique. »
Alimenter le débat
« Maurice Barrès a passé une partie de son temps à insulter les Provençaux, s’insurgent-ils. Il a prôné le racisme envers le Sud. Sous son influence, les soldats du 15e Corps qui sont tombés se sont fait insulter. Nous souhaitons par conséquent honorer plutôt ceux qui se sont fait massacrer et insulter par Barrès. »
Treize soldats originaires du Golfe avaient perdu la vie dans les combats. Sept d’entre eux sont tombés le 20 août et deux le 22, il y a tout juste 101 ans...
« Le nom d’une rue est un Panthéon, insiste Jean-Marie Guillon, historien notamment des noms de rues. Maurice Barrès avait une autorité considérable en matière d’idéologie nationaliste. Il détenait un magistère moral et politique en la matière. Ce n’est pas concevable de l’associer à un nom de rue dans une cité méridionale »
« Notre action a pour but d’alimenter le débat », reprennent en chœur les cosignataires. Il devrait rapidement être relancé.
15e Corps : 13 combattants du Golfe tombés pour la France entre le 11 et le 27 août 1914
D. Z.
Lettre ouverte à Marc-Etienne Lansade, maire de Cogolin
Au début de l’été 2014, le conseil municipal de la commune de Cogolin a voté une délibération portant sur la dénomination d’une place au nom de Maurice Barrès. Ce choix malencontreux ne s’est pas encore traduit dans les faits. C’est pourquoi nous souhaitons vous interpeller à ce sujet et vous dire en quoi votre initiative étonne de la part d’une équipe qui se réfère volontiers à l’identité provençale.
Mais, probablement, n’étant pas originaire de la région, avez-vous été mal informé ou n’avez-vous pas mesuré exactement ce que représentait le nom de Barrès et combien il serait inopportun de le glorifier, ici, en Provence, dans le Var, au moment du centenaire de la Première Guerre mondiale. Le choix de Maurice Barrès, s’il était maintenu, ferait en effet injure à la mémoire des soldats provençaux morts pour la France durant la Première Guerre mondiale.
Ce serait oublier que, dans les premiers jours du conflit, après de graves erreurs de commandement, le 15e Corps, composé de soldats venus de tous les départements de la région, fut obligé de se replier après avoir subi les terribles pertes dont nos monuments aux morts témoignent et qu’il fut pour cela l’objet d’une campagne de dénigrement. Le 24 août 1914, le journaliste et sénateur parisien Auguste Gervais, à l’instigation du ministre de la Guerre, en fut l’initiateur dans le journal Le Matin : « une division du 15e Corps composé de contingents d’Antibes, de Toulon, de Marseille et d’Aix, a lâché pied devant l’ennemi … », jetant ainsi l’opprobre sur les soldats provençaux devenus des boucs émissaires. Ainsi naissait la légende noire du 15e Corps dont tant de soldats provençaux allaient souffrir, brocardés ou parfois brimés par ceux que la propagande nationaliste à la Barrès avait intoxiqués.
Maurice Barrès n’a cessé de mépriser les Méridionaux et, même s’il ne voulut pas, durant la guerre, en rajouter, du moins fut-il l’un des principaux responsables du racisme qui les prit pour cible. Limitons les citations à trois phrases tirées des Lézardes dans la maison (1904), mais nous pourrions les multiplier :
« L’homme du Sud veut désarmer l’homme de l’Est » (La Patrie, 1902) ;
« Ces frivoles Méridionaux sont la cause vivante de l’avilissement des consciences, de l’abaissement moral et politique de la France » (La Patrie, 1903) ;
« La guerre des races est ouverte », à propos des Méridionaux
(commentaire de l’apostrophe de Gaston Méry : « Les Méridionaux, voilà l’ennemi ! ») .Donner le nom de Maurice Barrès à un site du village serait faire particulièrement injure à la mémoire des Cogolinois et de tous les jeunes soldats des communes du canton de Sainte-Maxime, combattants du 15e Corps, tombés en août 1914. Si vous voulez honorer ceux qui sont tombés pour notre Patrie et si vous voulez être fidèle à la véritable identité provençale, alors c’est leurs noms à eux qu’il faut choisir, celui de Marius Guigou, Cogolinois de 21 ans, soldat du 19e régiment d’artillerie, mort héroïquement le 11 août à Xures ou celui de Joseph Quaranta, autre Cogolinois de 25 ans, du 111e Régime d’infanterie d’Antibes, mort le 20 août à Dieuze, ou bien encore c’est celui du 15e Corps. Il est dommage que Cogolin ne l’ait pas fait avant, comme l’ont fait, très tôt, Saint-Tropez et Ramatuelle. Mais il n’est pas trop tard pour réparer cet oubli et le centenaire en fournit l’occasion.
Signé :
Jean-Marie Guillon, Professeur émérite d’histoire contemporaine, Aix-Marseille Université
Maurice Mistre, historien, spécialiste du 15e Corps
Laurent Pavlidis, docteur en histoire
Bernard Romagnan, chercheur associé LA3M-UMR 7298-CNRS, Aix-Marseille UniversitésCogolin, le 20 aoùt 2015
A la suite de la lettre ouverte des historiens Jean-Marie Grillon, Maurice Mistre, Laurent Pavlidis et Bernard Romagnan, parue hier dans Var-matin, adressée au maire de Cogolin Marc-Etienne Lansade pour lui demander de renoncer à baptiser une place de la commune Place Maurice-Barrès le premier magistrat a vivement réagi hier.
Marc-Etienne Lansade n’a pas aimé, mais alors pas du tout, que ces quatre historiens régionaux exhument cette polémique qu’il pensait définitivement enterrée, et cela, d’autant plus que la place Maurice-Barrès n’a pas vu le jour jusqu’ici, un an après que le projet a été validé par une délibération du conseil municipal.
Il voit dans cette action une manœuvre politique à l’approche des élections régionales où il sera tête de liste dans le Var pour le Front national. Voici ci-après, son courrier de réponse aux historiens, excepté les passages impubliables car diffamatoires.
La réponse de Marc-Etienne Lansade
« J’ai pris connaissance ainsi que de nombreux Cogolinois, avec étonnement de l’article sur la pseudo place Maurice-Barrès.
Dois-je rappeler que la place en question n’a jamais été rebaptisée et que cette affaire date de plus d’un an.
A quoi dois-je toute cette attention ? Qui dois-je remercier pour cette publicité ? ... Se pourrait-il que je doive toutes ces attentions au seul fait d’être candidat tête de liste pour le Var aux prochains élections régionales sur la liste de Marion Maréchal-Le Pen ? Je n’ose l’imaginer.Soyons sérieux, quitte à polémiquer autant le faire sur des sujets de fond et de société tel que la difficulté des communes face à la baisse des dotations de l’Etat ou l’engorgement de la justice et de nos prisons qui oblige notre pays à laisser des délinquants en liberté ! Il y a quantité de sujets sérieux et celui-ci ne peut en être un puisqu’il n’y a pas de plaque Maurice-Barrès à Cogolin, au contraire de Marseille, Toulon, Paris, Nancy et même Tolède.
»
[...] [1]
D. Z.
[1] L’article se poursuit avec une polémique entre le maire de Cogolin et la rédaction de Var-Matin.