la “théorie du genre” : une imposture


article de la rubrique extrême droite
date de publication : mardi 2 septembre 2014
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La nomination de Najat Vallaud-Belkacem au ministère de l’Education nationale a été vécue comme une « provocation » par l’extrême droite et une partie de la droite. En cause : son engagement en faveur de l’expérimentation des ABCD de l’égalité, accusés de véhiculer une prétendue théorie du genre.

Dès le 26 août l’association La Manif pour tous, qui s’était fait connaître en luttant contre le mariage homosexuel, a déclaré dans un communiqué que « La nouvelle ministre est en effet à l’origine des très controversés ABCD de l’Egalité devenu Plan égalité qui sous couvert d’égalité entre fille et garçon contribue en réalité à prôner l’indifférenciation des sexes et à diffuser l’idéologie du genre à l’école ». Faisant de ces ABCD son nouveau combat, l’association maintient « son appel à manifester le dimanche 5 octobre contre la GPA, la PMA pour les couples de femmes, l’enseignement du genre à l’école et autres projets familiphobes du gouvernement. »

Et pourtant, l’ancienne ministre au Droits des femmes et son prédécesseur à l’Education, Benoît Hamon, avaient abandonné le terme d’ABCD tout en maintenant la formation des enseignants aux inégalités. Quant à une soi-disant théorie du genre, cet élément de langage ne correspond à aucune réalité, l’article ci-dessous le rappelle.


L’imposture de la "théorie du genre" revient sur le devant de la scène

par Rachel Mulot et Erwan Lecomte, Sciences et Avenir, le 27 août 2014


EGALITE. Avec la nomination de Najat Vallaud-Belkacem au ministère de l’Éducation, la rumeur d’une école qui enseignerait aux garçons à devenir des filles et vice versa refait surface.

Dans le cadre du dernier remaniement ministériel, Najat Vallaud-Belkacem a été nommée mardi 25 août ministre de l’Education nationale. Un poste précédemment occupé par Benoît Hamon.

La nouvelle ministre de l’Éducation était auparavant en charge du ministère des Droits des Femmes, au sein duquel elle a porté un projet de loi pour "l’égalité réelle entre les femmes et les hommes", promulgué le 5 août 2014. Najat Vallaud-Belkacem est également à l’origine des "ABCD de l’égalité", un programme d’enseignement visant à lutter contre le sexisme et les stéréotypes.

Enfin, elle s’était également attaquée à la diffusion de messages homophobes sur le réseau Twitter.

Il n’en fallait pas plus pour que resurgisse cette rumeur selon laquelle serait enseignée à l’école une "théorie du genre" visant à "apprendre aux petits garçons à devenir des petites filles".

C’est sur la base de cette rumeur qu’a été lancée, fin janvier 2014, une action de boycott de l’école, soutenue par l’institut Civitas (proche des catholiques intégristes) et de la présidente d’honneur du Parti chrétien démocrate Christine Boutin. Près de 48.000 établissement publics ont été concernés en France.

Une école qui cherche à "pervertir" ?

Selon les instigateurs de cette action, l’éducation nationale voudrait "généraliser et officialiser l’enseignement de la ’théorie du genre’ dans les écoles publiques et privées sous contrat à partir de la rentrée 2014". Une ’théorie’ qui, selon eux, "dissocie ainsi notre corps sexué de notre identité de genre".

"Pour les tenants de la ’théorie du genre’, on peut être par exemple de sexe masculin et de genre féminin ! Ce ne serait au fond qu’une question de choix personnel !" affirmait Farida Belghoul, initiatrice de cette "journée de retrait". Et elle va même jusqu’à affirmer que "si une fille aime jouer à la poupée, pour le lobby LGBT, c’est un stéréotype de genre qu’il faut combattre en la conduisant plutôt à jouer aux petites voitures. Si un garçon veut jouer aux petites voitures, le lobby LGBT l’incitera alors à jouer à la poupée."

Les rumeurs portées par les mouvements d’extrême droite et des groupes d’opposants au mariage homosexuel allaient même jusqu’à affirmer que ce programme allait obliger les garçons à porter des robes et que des cours de sexualité allaient être dispensés.

En quoi consistait le programme "ABCD de l’égalité" de l’Éducation nationale ?

Cette expérimentation engagée à la rentrée par le ministère dans dix académies visait à lutter contre les stéréotypes filles-garçons à l’école. Des stéréotypes tels que "le foot c’est pas pour les filles", "un garçon qui aime la danse c’est "bizarre’", ou que "il n’y a que les filles qui portent du rose".

Ce programme vise donc à faire prendre conscience de ces stéréotypes aux élèves, puis d’en discuter avec eux, et ce par l’analyse de tableaux, de textes, de contes ou de photos. Ainsi, l’un des documents pédagogiques permet de découvrir que certes le tricot a été longtemps réservé aux filles et aux femmes, mais que pendant la guerre 1914-1918, les hommes blessés et démobilisés participaient, comme les femmes, à l’effort de guerre, en tricotant pour les soldats au front, et que, depuis les années 1970, de plus en plus d’hommes tricotent. Et cela n’a rien de honteux ni de ridicule.

Un autre a pour objectif de faire évoluer les représentations dans le sport en montrant des pratiques sportives rarement présentées à la télévision, telles que le foot ou le rugby féminin.

Le programme ne visait donc nullement à "forcer les petits garçons à jouer à la poupée et les filles aux petites voitures" comment l’affirment les détracteurs de ce projet. Il a plutôt pour objectif de faire en sorte que les petits garçons aient eux aussi le droit de jouer à la poupée et les filles aux petites voitures s’ils en ont envie, et ce sans en avoir honte. La nuance est de taille.

"En permettant aux élèves de se demander pourquoi les princesses ne pourraient pas aussi sauver les princes, en montrant que, selon les lieux et les époques, les rôles des hommes et des femmes ont varié et que l’amour a des formes multiples, les chercheurs, les enseignants et les professeurs des écoles permettent aux enfants, citoyens et citoyennes de demain, de construire un monde plus égalitaire et plus harmonieux", concluent les universitaires alsaciens dans une tribune.

Toutefois, l’expérimentation des ABCD de l’égalité n’a pas été reconduite à la rentrée 2014. Elle a été remplacée par un "plan d’action" et une "malette pédagogique" pour promouvoir les valeurs d’égalité entre filles et garçons.

D’où vient cette rumeur sur la "théorie du genre" ?

Contrairement à ce qu’affirment ces mouvements d’extrême droite, il n’existe pas de "théorie" niant les différences entre les sexes, et ayant pour objectif soit de transformer les hommes en femmes (et vice versa) soit de fondre homme et femmes dans une masse indifférenciée (lire S. et A. n° 780, février 2012).

Cette rumeur vient d’une confusion (parfois volontairement entretenue) entre la "théorie du genre" (qui n’existe pas) et ce qu’on appelle les "études de genre" qui, elles, sont une discipline de recherche à part entière.

RECHERCHE. Ces "études de genre" enquêtent depuis quarante ans sur les rapports sociaux entre les sexes et les codes qui façonnent les rôles masculins et féminins. Ces études mettent en jeu de nombreuses disciplines.

Les rôles attribués à chaque sexe varient au fil des cultures et du temps

Ainsi, les anthropologues et les ethnologues ont montré que les statuts et les rôles attribués aux hommes et aux femmes n’étaient pas les mêmes d’une société à l’autre. Les sociologues et les psychologues ont, eux, mis en évidence le caractère socialement construit des différences entre le masculin et le féminin. Enfin, les historiens ont confirmé les grandes variations des rôles attribués à chaque sexe à travers le temps.

GENRE. "On n’est pas homme ou femme de la même manière au Moyen-Âge et aujourd’hui. On n’est pas homme ou femme de la même manière en Afrique, en Asie, dans le monde arabe, en Suède, en France ou en Italie. On n’est pas homme ou femme de la même manière selon qu’on est cadre ou ouvrier. Le genre est un outil que les scientifiques utilisent pour penser et analyser ces différences", explique un groupe d’universitaires alsaciens dans une tribune.

Ces études distinguent le "sexe biologique" (homme, femme, hermaphrodite) de "l’orientation sexuelle" (attirance pour l’un ou l’autre sexe) et du "genre" (le sexe "social"). Autrement dit, ce que la société "attend" de chacun des deux sexes, et les stéréotypes qu’elle leur attribue.

"Ces études placent au cœur de leur approche la rupture avec ’l’essentialisme’, dans le sillage du mot célèbre de Simone de Beauvoir selon lequel "on ne naît pas femme (il faudrait ajouter "ni homme"), on le devient", explique Laure Bereni, chercheuse au CNRS et enseignante à la New York University.

Après Nicole-Claude Mathieu ou Michel Foucault, qui ont conduit cette réflexion au sein du CNRS, à l’EHESS et à l’université Paris-VIII, des centaines de chercheurs y travaillent en France, notamment à l’Institut Émilie-du-Châtelet. "Mais ces études se heurtent toujours à de puissants discours qui rapportent les différences perçues et la hiérarchie entre les hommes et les femmes à un invariant naturel", déplore Laure Bereni.

par Rachel Mulot et Erwan Lecomte, avec AFP



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