« Il y a une certaine forme de crapulerie politique à exploiter les thèmes de l’immigration, de l’insécurité, des banlieues, pour préempter les idées de Le Pen et les banaliser. On est dans une situation gravissime et les responsables politiques qui se sont livrés à ce hold-up sur les idées de Le Pen portent une grave responsabilité. » Noël Mamère
par Christiane Chombeau, Le Monde daté du 15 décembre 2005
Les idées de l’extrême droite incarnées par Jean-Marie Le Pen continuent de se banaliser. Un sondage de l’institut TNS-Sofres sur "l’image du Front national (FN) dans l’opinion", réalisé pour Le Monde et RTL après la crise des banlieues, montre que de moins en moins de Français rejettent "les positions de Jean-Marie Le Pen sur les grands problèmes".
Ils ne sont plus que 39 % à les trouver "inacceptables" en 2005, soit 5 points de moins qu’en 2004 et 9 de moins qu’en 1997. Ils préfèrent à 43 % les qualifier d’"excessives", alors qu’ils étaient 37 % à le faire l’an passé. La hausse s’élève à 6 points en un an.
De même, on observe, depuis 2002, une baisse régulière du nombre de Français qui pensent que le FN et son président "représentent un danger pour la démocratie en France" : 66 % en 2005, contre 70 % il y a trois ans.
Parallèlement à cette banalisation, le sondage montre un réel enracinement des thèmes du Front national. Près d’une personne sur quatre (24 %) se dit en effet "tout à fait d’accord" ou "assez d’accord" avec "les idées défendues par Jean-Marie Le Pen".
Un chiffre identique à celui de 2004, mais en progression de 2 points par rapport à 2003. Ce qui laisse une marge d’action au président du FN, qui a recueilli 16,9 % des suffrages au premier tour de l’élection présidentielle de 2002 et 17,79 % au second.
Quand on les interroge sur les thèmes développés par Jean-Marie Le Pen, les sondés hiérarchisent toujours de la même façon leurs préférences. "La défense des valeurs traditionnelles" arrive ainsi toujours en première position (33 % d’avis favorables), "la sécurité et la justice" en deuxième (26 %).
Cependant, on note, par rapport à 2003, une diminution d’un et de deux points dans l’adhésion à ces deux sujets, tandis que d’autres ("immigrés", "critiques contre la classe politique" et "impôts") progressent d’un point.
Les avis positifs concernant la position du FN sur "la construction de l’Europe" font un bond significatif en passant de 13 % à 19 % en deux ans.
Deux thèmes ont été introduits dans le sondage mené cette année : "la situation dans les banlieues" et "les critiques contre le gouvernement et la majorité". Ainsi, 25 % des Français approuvent le discours du FN sur le premier, 14 % sur le second.
Le thème de la préférence nationale semble un peu moins faire recette. Si 22 % des personnes interrogées considèrent toujours que l’on "doit donner la priorité à un Français sur un immigré en situation régulière" pour les prestations sociales et 19 % en matière d’emploi, on relève une diminution de 4 et 6 points par rapport à 2003.
Dès que l’on ne mentionne plus le nom de M. Le Pen ou celui du Front national, certaines réticences tombent. Les Français se montrent beaucoup plus nombreux à approuver des affirmations qui relèvent du fonds de commerce de l’extrême droite. Ils sont ainsi 63 % à dire qu’"il y a trop d’immigrés en France" (+ 4 points par rapport à 2003), 48 % pensent qu’"on ne se sent plus vraiment chez soi en France" (+ 4 points) et 45 % que "l’Europe est une menace pour l’identité de la France" (+ 10 points).
Christiane Chombeau
Quelques réactions au sondage précédent [1]
Noël Mamère (Verts) : "Ce sondage sur le déplacement à droite de la France est effrayant. Il y a une certaine forme de crapulerie politique à exploiter les thèmes de l’immigration, de l’insécurité, des banlieues, pour préempter les idées de Le Pen et les banaliser. On est dans une situation gravissime et les responsables politiques qui se sont livrés à ce hold-up sur les idées de Le Pen portent une grave responsabilité. L’opposition doit maintenant faire son métier et ouvrir les yeux aux Français qui sont complètement anesthésiés". (Couloirs de l’Assemblée nationale, 14 décembre)
Elisabeth Guigou (PS) : "C’est très inquiétant. Et cela veut dire que l’offre politique des partis vraiment démocratiques n’est pas suffisante. Cela doit tous nous interpeller, la gauche et la droite. Certains s’emploient à banaliser les idées du Front national, M. de Villiers certainement, et parfois M. Sarkozy". (couloirs de l’Assemblée, 14 décembre).
Alain Bocquet, président du groupe PCF : "Dès l’instant où Nicolas Sarkozy a chaussé le costume de Le Pen du point de vue des idées et qu’il officialise et institutionnalise ses idées, je ne m’étonne pas que ces idées puissent être diffusées largement. Dès lors que l’on surfe sur les idées de Le Pen, on les nourrit". (couloirs de l’Assemblée, 14 décembre).
Hervé Mariton (UMP) : "Nos compatriotes ont été inquiets lors des événements de ces dernières semaines et certains d’entre eux ont traduit cette inquiétude par une plus grande proximité avec le FN. Ecoutons nos compatriotes et ne les laissons pas tomber dans les tentations du Front national". "Il faut éviter toute banalisation (des idées du FN) mais il faut aussi éviter toute surdité. Les Français expriment des préoccupations, il est important d’y répondre et c’est notre abstention qui risquerait de les envoyer plus largement encore dans les bras du Front national". ". (Couloirs de l’Assemblée nationale, 14 décembre)Patrick Devedjian, UMP, conseiller politique de Nicolas Sarkozy : "Malheureusement, c’est une conséquence des crises de banlieues que nous avons connues, c’est pour cela qu’il faut une politique d’intégration plus forte que celle que nous avons. C’est la crise qui provoque la montée des extrêmes". A la question : "Nicolas Sarkozy contient-il ou favorise-t-il les idées de Le Pen ? M. Devedjian répond : "Nicolas Sarkozy les contient très largement". (couloirs de l’Assemblée, 14 décembre)
Marine Le Pen s’est félicitée de ce qu’elle a qualifié de "vote d’adhésion" pour le FN, qui "n’est plus un vote de protestation". "On ne voit pas de ’coups de menton’ dus à l’agacement, dus à l’actualité", mais "une adhésion qui est réfléchie, qui est raisonnée". "Cela nous permet d’envisager l’avenir avec beaucoup d’optimisme", a-t-elle indiqué. (RTL, 14 décembre)
[1] Source :
NOUVELOBS.COM | 14.12.05 | 18:08.