Après les débordements qui ont accompagné certains rassemblements à l’initiative de l’extrême droite, comment ne pas évoquer la manifestation antiparlementaire des ligues factieuses qui tourna à l’émeute place de la Concorde, le 6 février 1934...
Communiqué LDH
Paris, le 3 février 2014
6 février : tirer les leçons de l’histoire
Il y a quatre-vingts ans, le 6 février 1934, plusieurs organisations d’extrême droite et ligues factieuses appelaient à se rassembler devant l’Assemblée nationale avec l’objectif non dissimulé de faire tomber un gouvernement discrédité par une série de scandales et, au-delà, d’en finir avec la République.
Les factieux visaient à imposer les valeurs salvatrices d’un ordre éternel et chrétien, d’une xénophobie solidement antisémite et, par la violence, à renverser une République stigmatisée comme la chose des « rastaquouères » et des juifs, des francs-maçons et des « bolchéviks ».
Cette manifestation pesa lourdement sur la vie politique française et constitua un signal d’alarme pour tous les démocrates. Le rassemblement du Front populaire, organisé dans la foulée autour de défense de la paix, du pain et de la liberté sut mettre un coup d’arrêt à ces prétentions autoritaires.
Quatre-vingts années et une guerre mondiale plus tard, un rassemblement de réseaux, dont le point commun est la haine de l’égalité républicaine, agite le spectre d’un nouveau 6 février. L’objectif est moins d’affirmer des désaccords politiques avec le gouvernement en place que d’organiser la mise à bas morale du principe d’égalité républicaine.
D’où la multiplication des rumeurs, mensonges, slogans haineux, manifestations de rues et appels à la violence visant l’enseignement de l’égalité entre les sexes à l’école, l’égalité de toutes et tous devant le mariage, l’égalité entre citoyens ; d’où également cette conjonction des intégrismes mêlant antisémitisme et homophobie, dénonciation du « système » et de l’école républicaine.
Cette offensive décomplexée d’une extrême droite radicalisée, s’avère articulée avec les ambitions électorales du Front national, ainsi qu’avec certains courants de l’église catholique et une fraction non négligeable de la « droite républicaine ».
La Ligue des droits de l’Homme appelle à combattre fermement cette stratégie de la peur et cette exaltation de l’ordre moral. Cela exclut toute concession à l’esprit ambiant de xénophobie, et tout esprit de conciliation vis-à-vis des tentations d’exclusion et de restriction des droits.
C’est en rassemblant sur des valeurs d’égalité et de fraternité, de respect et de progrès social, que les forces républicaines peuvent relever le défi qui leur est lancé.
C’est en adoptant des politiques de solidarité, en refusant de s’enfermer dans des mesures d’austérité désespérantes et stériles, que la perte de confiance de l’opinion publique dans la politique gouvernementale peut être enrayée, que les bases d’un rassemblement populaire et démocratique peuvent être jetées.
C’est l’un des enjeux des élections municipales à venir. A cet égard, la participation au scrutin constitue un élément d’importance pour ne pas placer la République et la démocratie en état de faiblesse. Sans entrer dans le détail des programmes et listes soumis aux électrices et électeurs, la LDH rappelle que c’est en combinant la défense des libertés et du progrès social que « l’esprit de 36 » a su rassembler et faire échec aux vents mauvais.
C’est cet esprit que la LDH entend faire vivre dans les débats électoraux à venir en défendant des mesures concrètes pour l’égalité, la fraternité et la solidarité, en rassemblant contre le racisme et l’antisémitisme, contre l’homophobie et toutes les discriminations.
La LDH appelle les citoyennes et citoyens, les démocrates et les républicains, la société civile et la représentation politique à en débattre ensemble, avant, durant et après la phase électorale qui s’annonce. Face aux menaces et aux discours de haine, elle appelle à se rassembler et à réinventer la promesse d’une République fraternelle et sociale porteuse d’un avenir meilleur pour tous les citoyens.
La manif intitulée "Jour de colère", les débordements qu’elle a suscités et les quelque deux-cent-cinquante interpellations qui ont été pratiquées par les forces de police, ne peuvent que rappeler l’une des sombres pages de notre histoire contemporaine : la crise du 6 février 1934.
Après le limogeage du préfet de police Jean Chiappe suite à l’affaire Stavisky, les groupes de droite ("Jeunesses patriotes", "Phalanges universitaires") ainsi que l’Action françaises et les Ligues d’extrême-droite ("Ligue des patriotes", "Solidarité française", "Francistes", "Fédération des contribuables") sans oublier les anciens combattants regroupés au sein des "Croix-de-feu" du colonel de la Rocque... appellent à manifester le jour même de l’investiture de Daladier comme Président du Conseil, place de la Concorde, en face de la Chambre des députés.
La manifestation va vite tourner à l’émeute et à la guérilla urbaine. Jets de projectile, pierres, moellons, arceaux de fonte brisés, morceaux de vitres et de bitume. Les forces de l’ordre sont harcelées, subissent quelques tirs sporadiques et seront dans l’obligation d’ouvrir le feu à leur tour au moins à trois reprises au cours de la soirée.
Il y aura 14 morts et 657 blessés dont deux décéderont plus tard des suites de leurs blessures dont un Garde républicain.
Face à la gravité de la situation, Daladier se résoudra à démissionner. Et un gouvernement dit "d’union nationale" sera formé sous la présidence de Gaston Doumergue (ancien Président de la République) avec les principales figures de la droite parlementaire et, en prime, comme ministre de la Guerre, le Maréchal Pétain.
Le souvenir délétère de cette page d’histoire devrait nous faire réfléchir car ces événements se sont produits dans le sillage de la grande crise économique de 1929, au cours d’une période marquée par des scandales financiers, un chômage croissant et l’impuissance d’un gouvernement sans véritable soutien populaire... [1]
Faut-il faire un dessin ?
[1] Pour en savoir plus sur le 6 février 1934, lire l’excellent livre de Serge Berstein (Julliard)