Les lois d’amnistie ont effacé les condamnations prononcées et prévu l’extinction de l’action publique visant des actes commis à l’occasion de la guerre d’Algérie, mais elles n’interdisent pas d’évoquer les faits. D’autant que Gabriel Anglade, ancien membre du commando delta 5, a reconnu sa participation à l’assassinat des six dirigeants des Centres sociaux éducatifs en Algérie.
C’est lui qui, en tant que président de la Maison du Pied Noir de Cagnes-sur-Mer, avait organisé, en mai 2006, les Journées de rencontres des Français d’AFN. A cette occasion, Christian Estrosi, alors ministre de l’Aménagement du territoire et président du Conseil général des Alpes-Maritimes, avait déclaré « Votre histoire est notre histoire et le temps de l’excuse est terminé. La France n’a pas à rougir de son histoire » [1].
Respecter la vérité historique devrait s’imposer à celles et à ceux qui ont mission de représenter leurs concitoyens et il est déplorable que des responsables politiques continuent, par électoralisme, à manipuler notre passé colonial en flattant les nostalgiques de l’Algérie française.
À l’UMP, tout est permis pour digérer l’extrême droite.
Vendredi dernier, Nicolas Sarkozy célébrait la mémoire du général de Gaulle en inaugurant l’historial qui lui est dédié, aux Invalides. Dans les rangs de l’UMP, pourtant, certains ne s’embarrassent guère de cet héritage politique susceptible de faire obstacle à la digestion de l’extrême droite, singulièrement celle qui entretient la nostalgie de l’OAS. Ainsi le maire UMP de Cagnes-sur-Mer, Louis Nègre, affiche-t-il comme en 2001, sur la liste qu’il conduit aux municipales, le nom d’un certain Gabriel Anglade. Classé par les historiens parmi les « contre-terroristes » chargés d’assassiner clandestinement des membres supposés du FLN durant la guerre d’Algérie, il rejoint, après l’échec du putsch du 21 avril 1961, l’officier parachutiste déserteur Roger Degueldre, créateur et chef des “ commandos delta ” de l’OAS, ces équipes de tueurs qui semèrent le sang et la terreur à partir de l’été 1961. Affecté à l’un d’entre eux, celui que l’on surnommait “ Gaby l’argenté ” prit part à plusieurs attentats [2].
Le 15 mars 1962, avec Degueldre et Joseph Rizza, il participa à l’assassinat de six fonctionnaires de l’éducation nationale, responsables des Centre sociaux éducatifs fondés par Germaine Tillon : Max Marchand, Marcel Basset, Salah Henri Ould Aoudia, Ali Hammoutene, Robert Eymard et l’écrivain Mouloud Feraoun. « Anglade déclencha le tir contre l’écrivain algérien Mouloud Feraoun », écrit l’historien Alexander Harrison
[3]. Anglade ne renie d’ailleurs pas ce passé. Les deltas, explique-t-il, étaient des « citoyens ordinaires prêts à mourir pour une cause, le maintien de l’Algérie française » [4].
De ce passé criminel, il n’eut jamais à rendre de comptes devant la justice. Comme ceux d’anciens militants de l’OAS, le nom de ce proche de Jacques Médecin réapparaît à la fin des années soixante-dix dans la rubrique du droit commun, notamment au moment de l’affaire du fameux casse de Nice [5]. À soixante-treize ans, président de la Maison des pieds-noirs de Cagnes et adjoint au maire en charge des rapatriés, il continue d’entretenir la nostalgie de son sinistre passé et du temps béni des colonies. À l’origine d’un rassemblement pour exalter « l’oeuvre positive » de la colonisation, le 20 mai 2006, Anglade avait reçu, pour son initiative, la visite et l’appui de Christian Estrosi, alors ministre de l’Aménagement du territoire. « Le temps des excuses est fini », avait lancé le ministre, entre les stands arborant des pins de l’OAS ou du général Salan, et ceux proposant une abondante littérature sur « l’oeuvre maléfique de De Gaulle » [6]. Contactés par l’Humanité sur la présence de Gabriel Anglade sur la liste UMP, le maire de Cagnes-sur-Mer, n’a pas donné suite. Il n’est « pas joignable ». L’une de ses colistières UMP, Corinne Guidon Pietrowski, estime que le passé d’Anglade relève de « vieilles histoires de guerre » et qu’il faut « tourner la page ».
Alerté par une missive adressée à une douzaine d’élus par Jean-Philippe Ould Aoudia, fils de l’un des six inspecteurs de l’Éducation nationale assassinés le 15 mars 1962, le communiste Michel Santinelli, tête de liste de la gauche, se dit « abasourdi ». « Je le savais proche de l’extrême droite, mais, comme la plupart des Cagnois, j’ignorais tout de son passé. Je suis outré », affirme-t-il. Pour lui, pas de doute. Le lien est direct entre la sinistre biographie de ce conseiller municipal et « la stratégie de Louis Nègre pour séduire l’électorat du FN ».
[1] Référence : http://www.lepetitnicois.fr/?mode=f....
Christian Estrosi avait ajouté « c’est une grande terre d’accueil, et si l’on veut y vivre, on doit y respecter ses traditions et ses règles. »
On connaît la fortune que devait rencontrer l’année suivante, la déclaration « Je suis de ceux qui pensent que la France n’a pas à rougir de son histoire », reprise à quatre occasions par Nicolas Sarkozy, à l’occasion de sa campagne électorale (à Nice le 30 mars 2007, Lyon le 5 avril, Rouen le 24 avril et Montpellier le 3 mai).
[2] Voir la notice établie par Jean-Philippe Ould Aoudia dans la Bataille de Marignane, la République, aujourd’hui, face à l’OAS, préface de Pierre Joxe, Ed. Tirésias, 2006, p. 76.
[3] Challenging de Gaulle. The OAS and the contre-révolution in Algeria,
Alexander Harrison, Éd. Praeger, New York, 1989.
[4] Cité par Anne-Marie Duranton Crabol, Le temps de l’OAS, Éd. Complexes, 1995, p. 130.
[5] Rémi Kauffer, OAS, histoire d’une organisation secrète, Fayard, 1986. pp 310 et 352.
[6] « Pieds-noirs ou la culture du souvenir d’un là-bas perdu », Nice Matin, 21 mai 2006.