amnesty international : des policiers français au-dessus des lois


article de la rubrique justice - police > police
date de publication : vendredi 22 mai 2009
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Le droit international interdit en toute circonstance aux agents des forces de l’ordre de recourir à des homicides illégaux, à des passages à tabac, à des injures racistes et à l’usage abusif de la force. Mais, dans un rapport paru le 2 avril 2009, Amnesty International constate que, en France, les plaintes pour ce type de violations des droits de l’homme sont trop rarement suivies d’enquêtes véritables. « L’impunité de fait dont bénéficient régulièrement les agents de la force publique en France est inacceptable », a déclaré David Diaz-Jogeix, directeur adjoint du programme Europe et Asie centrale d’Amnesty International.

L’organisation constate par ailleurs une tendance croissante à l’inculpation pour « outrage » ou « rébellion » des victimes ou des témoins de mauvais traitements commis par des agents de la force publique. Les nombreux cas étudiés par Amnesty International dans le cadre de la préparation de ce rapport montrent que, dans leur grande majorité, les plaintes concernent des ressortissants étrangers ou des Français appartenant à une minorité dite « visible ».

Nous reprenons ci-dessous l’introduction de ce rapport
 [1], ainsi que la partie consacrée au décès de deux personnes après qu’elles aient été maîtrisées par la police : celui de Mohamed Saoud en 1998 à Toulon, et celui de Abdelhakim Ajimi à Grasse en mai 2008.


France. Des policiers au-dessus des lois

Insultes racistes, recours excessif à la force, coups, homicides illégaux – telles sont les allégations de violations des droits humains commises par certains policiers français.

Ce rapport révèle un système qui favorise l’impunité des policiers accusés de ces actes. Les enquêtes internes par les organes chargés de faire respecter la loi ne témoignent pas d’une indépendance et d’une impartialité suffisante. L’organisme qui reçoit les réclamations concernant les manquements des policiers ne dispose pas des moyens nécessaires pour mettre en œuvre ses recommandations. Au sein du parquet comme dans la magistrature, les procédures relatives aux plaintes déposées contre la police ne sont généralement pas menées de façon efficace. Souvent, les victimes qui essaient de se plaindre sont accusées en représailles d’avoir commis un délit d’« outrage » en insultant les policiers. Dans ces circonstances, justice n’est pas rendue aux victimes de graves violations des droits humains.

Les policiers exercent un métier difficile, et se voient imposer des tâches de plus en plus lourdes. Mais le système actuel nuit à la confiance de la population. Les actes répréhensibles d’une minorité de policiers rejaillissent sur la réputation de l’ensemble des organes chargés de faire respecter la loi. Il est temps que la justice soit accessible à tous.

Mohamed Saoud, novembre 1998 à Toulon

Amnesty International constate avec inquiétude que certaines méthodes de contrôle et de contrainte utilisées par les agents de la force publique en France font courir de graves dangers aux personnes arrêtées et qu’elles ont abouti à des homicides illégaux. En 2005, dans le rapport intitulé France. Pour une véritable justice, Amnesty International a retracé trois cas dans lesquels des personnes étaient mortes après avoir été maîtrisées par des moyens de contrainte susceptibles d’avoir causé une asphyxie posturale. Parmi les cas cités dans ce rapport figure Mohamed Saoud, décédé le 20 novembre 1998 après une arrestation violente
 [2].Selon les expertises médicales, Mohamed Saoud est mort d’un arrêt cardio-respiratoire dû à une asphyxie lente. Cette dernière a été causée par la méthode de contrôle employée : ayant plaqué le jeune homme à plat ventre sur le sol, deux policiers le tenaient par les poignets (menottés) et les chevilles, pendant qu’un autre, agenouillé sur lui, appuyait les mains sur ses épaules. Mohamed Saoud a été maintenu dans cette position pendant une trentaine de minutes.

Le 9 octobre 2007, la Cour européenne des droits de l’homme a rendu son arrêt dans cette affaire [3]. Selon les conclusions de la Cour, la force initialement utilisée par les policiers pour arrêter Mohamed Saoud était proportionnée compte tenu du degré de violence et de résistance rencontré. Cependant, en ne relâchant pas le contrôle exercé sur le jeune homme une fois qu’ils l’avaient maîtrisé et en ne lui fournissant aucune espèce de soins médicaux au cours des trente minutes qui ont précédé son décès, les policiers ont failli à leurs obligations ; il y a eu violation du droit à la vie garanti par l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme.

En relevant le caractère particulièrement dangereux de ces méthodes de contrôle, la Cour a vigoureusement critiqué les autorités françaises pour ne pas avoir rédigé d’instructions précises sur leur utilisation. Examinant les suites données à ce jugement en 2008, la Cour a constaté avec regret que les autorités françaises n’avaient toujours pas donné d’instructions précises aux responsables de l’application des lois pour encadrer le recours à cette méthode d’immobilisation [4]. Moins d’un an après ce jugement, en mai 2008, Abdelhakim Ajimi est mort après avoir été soumis à la même technique.

Le cas d’Abdelhakim Ajimi

Le 9 mai 2008, Abdelhakim Ajimi est mort à Grasse après avoir été maîtrisé par des policiers lors de son arrestation. Les moyens de contrôle utilisés à son égard semblent avoir été similaires à ceux qui ont causé la mort de Mohamed Saoud en 1997.

Le 9 mai dans l’après-midi, Abdelhakim Ajimi s’est rendu à sa banque, le Crédit agricole, pour y retirer de l’argent. Selon des témoins, ayant essuyé un refus, il s’est montré agressif et le directeur de la banque a appelé la police. Abdelhakim Ajimi a quitté la banque, mais un groupe de policiers l’a rejoint près de son domicile, boulevard Victor-Hugo, et a tenté de l’arrêter. Il aurait semble-t-il violemment résisté et se serait battu avec les policiers. La vitrine d’un magasin a été brisée et l’un des policiers a eu la clavicule fracturée au cours de l’affrontement.

D’après les informations publiées dans les médias, plusieurs témoins ont déclaré qu’ils avaient été choqués par la façon dont les policiers traitaient Abdelhakim Ajimi et que la force utilisée contre lui paraissait excessive. Après que le jeune homme eut été menotté, ont précisé ces témoins, il a été maintenu à plat ventre sur le sol par trois policiers pendant une période prolongée. Un témoin affirme que l’un des policiers a donné deux coups de poing à Abdelhakim Ajimi pendant qu’il était plaqué au sol. Un autre policier appuyait sur son dos avec son genou, tandis qu’un troisième pratiquait une clé d’étranglement. Selon des témoins, le visage d’Abdelhakim Ajimi est devenu violacé ; de toute évidence, il ne pouvait pas respirer.

Des services de secours sont arrivés sur les lieux et le policier blessé a été conduit à l’hôpital. Toujours selon des témoins, les policiers ont dit aux secouristes qu’il était inutile de s’occuper d’Abdelhakim Ajimi, car ils maîtrisaient bien la situation. Abdelhakim Ajimi a été embarqué dans la voiture de police et emmené au poste, où il a été déclaré mort à 16 h 30. Selon les déclarations de la police, Abdelhakim Ajimi était vivant, mais dans un état de grande faiblesse à son arrivée au poste. Les policiers affirment qu’ils ont tenté de le ranimer mais que leurs efforts et ceux des secouristes appelés au poste sont restés vains. Cependant, plusieurs témoins de son arrestation pensent qu’il était déjà mort quand il a été placé dans la voiture de police.

Deux jours après le drame, le préfet des Alpes-Maritimes a fait une déclaration aux médias, dans laquelle il a affirmé : « Aucun élément ne permet actuellement de mettre en cause l’action des fonctionnaires ». Le 13 mai, le procureur de la République à Grasse a néanmoins ouvert une enquête pour « homicide involontaire ». D’après les informations fournies par les médias, le rapport d’autopsie initial n’a pas permis d’aboutir à une conclusion. On y trouvait la double mention de « possibles signes d’asphyxie »et de « possible pathologie cardiaque ». Fin novembre, une expertise médicale a été remise au juge d’instruction. Selon ce rapport, la mort a été causée par une « asphyxie mécanique » due à l’association de la pression prolongée exercée sur le thorax de la victime plaquée au sol et de son étranglement par une clé de bras.

Les deux policiers soupçonnés d’avoir tué Abdelhakim Ajimi ont été convoqués devant le juge d’instruction le 16 décembre, mais ils n’ont pas encore été mis en examen. Leur avocat a affirmé qu’ils avaient agi conformément à la formation qu’ils avaient reçue, en utilisant les techniques en vigueur. Tous les policiers impliqués dans l’affaire continuent à exercer leurs fonctions à Grasse tandis que l’enquête se poursuit.

Notes

[1Le rapport d’Amnesty international du 2 avril 2009 - Index AI : EUR 21/003/2009.

[2Voir le cas de Mohamed Ali Saoud présenté dans France. Pour une véritable justice (index AI : EUR 21/001/2005).

[3Affaire Saoud c. France, requête no 9375/02.

[4Notes of the Agenda of the Committee of Ministers, Saoud v. France (mis à jour le 3 juin 2008). Disponible sur http://www.coe.int/t/e/human_rights/execution/03_cases/France_en.pdf


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