l’Observatoire départemental des Bouches-du-Rhône sur les violences policières illégitimes


article de la rubrique justice - police > police
date de publication : samedi 29 juillet 2006
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L’OVPI 13 [1]

a donné, le 30 mars 2006, une conférence de presse pour présenter son rapport d’activité 2004-2005.

Vous trouverez ci-dessous une synthèse de ce rapport, suivie en annexe par deux extraits significatifs de ce rapport.


L’Observatoire départemental sur les Violences Policières Illégitimes (O.V.P.I 13)

  • Création en 2001.
  • Associations départementales membres : CIMADE, Ligue des Droits de l’Homme (L.D.H), Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples (M.R.A.P), SOS Racisme Indépendant.
  • L’Observatoire se propose de :
  1. Recenser et analyser les différentes affaires pour lesquelles les associations membres de l’Observatoire ont été sollicitées.
  2. Soutenir les personnes victimes de violences policières illégitimes.
  3. Interpeller les pouvoirs publics.

INTRODUCTION

Plusieurs rapports récents attirant l’attention sur la réalité du problème

  • « France, pour une véritable justice - Mettre fin à l’impunité de fait des agents de la force publique dans des cas de coups de feu, de morts en garde à vue, de torture et autres mauvais traitement ».- Amnesty International - 2005.
  • Rapports annuels d’activité de la Commission Nationale de Déontologie de la Sécurité (CNDS).
  • Rapports annuels d’activité de la Commission nationale Citoyen-Justice-Police rassemblant le Syndicat de la Magistrature, le Syndicat des Avocats de France, le MRAP et la LDH.
  • « Sur le respect effectif des droits de l’Homme en France » - Rapport de Monsieur Alvaro GIL-ROBLES, commissaire aux Droits de l’Homme au Conseil de l’Europe.

Cour européenne des droits de l’Homme : la France a été condamnée plusieurs fois par cette instance.

1. LE NOMBRE DE CAS TRAITES PAR L’OBSERVATOIRE : LA PARTIE EMERGEE DE L’ICEBERG

Les affaires traitées par l’Observatoire ne sont que la partie émergée de l’iceberg car les personnes victimes de violences policières illégitimes ne souhaitent bien souvent pas donner de suite :

  • les multiples difficultés rencontrées par ces personnes lorsqu’elles ont commencé leurs premières démarches afin de porter plainte,
  • un évènement particulièrement traumatisant, évènement qu’elles préfèrent « tenter d’oublier » et les amenant à souhaiter « passer à autre chose »,
  • le pot de terre contre le pot de fer,
  • des personnes qui ne croient plus en la fonction protectrice de la Police et de la Justice.

Malgré cela, en 2004/2005 l’Observatoire a traité 27 affaires.

2. LES VICTIMES DE VIOLENCES POLICIERES ILLEGITIMES MISES EN ACCUSATION

Les victimes de violences policières illégitimes se retrouvent bien souvent mises en accusation :

  • L’ultime arme de défense du fonctionnaire de police auteur de violences illégitimes est le dépôt de plainte pour outrage et rébellion, violence à agent, voire incitation à l’émeute : la personne victime de violences policières illégitimes se retrouve accusée et aura bien du mal à faire valoir sa parole contre celle de la personne assermentée dépositaire de l’autorité publique.
  • La culture du résultat - « faire des crânes » dans le langage policier - avec une prime de rendement comme appât, ne peut qu’inciter à des dérapages afin de « faire du chiffre » : « L’autorité politique doit s’interroger sur la culture du résultat imposée aux services de police, qui a pour effet une augmentation importante du nombre de procédures d’outrage et rébellion, en l’absence de tout autre infraction » (rapport d’activité 2004 de la commission nationale Citoyen-Justice-Police).
  • La possibilité pour les policiers - contrairement aux
    gendarmes - de demander des dommages et intérêts : un système dangereusement incitatif induisant un mélange des genres peu souhaitable entre les difficultés que des policiers peuvent rencontrer dans leur pratique professionnelle et le bénéfice financier qu’ils peuvent en tirer.
  • Un esprit de corps ne permettant pas que toute la lumière soit faite sur les cas de brutalités et violences policières : cet « esprit de corps entre les différentes composantes des forces de l’ordre explique pour partie l’uniformisation des dépositions très souvent constatée » (cf. paragraphe 180 du rapport de Monsieur GIL-ROBLES, commissaire aux Droits de l’Homme au Conseil de l’Europe).

L’Observatoire a rencontré en juin 2005 Monsieur SQUARCINI, Préfet de Police : malgré des déclarations a priori rassurantes (cf. « Aucune concession n’est accordée aux dérives portant atteintes à la déontologie ou au code pénal »), l’Observatoire constate que la réalité s’éloigne sensiblement des principes affirmés.

3. LE TRAITEMENT JUDICIAIRE DES AFFAIRES DE VICTIMES DE VIOLENCES POLICIERES ILLEGITIMES

Face à ces affaires de violences policières illégitimes, la question qui se pose immédiatement est celle du recours : qui saisir, comment faire constater ?

La difficulté majeure est celle de la preuve. :

  • Le faible poids de la personne victime de violences policières illégitimes face à la parole d’une personne assermentée dépositaire de l’autorité publique.
  • Dans la très grande majorité des cas le Parquet ne donne pas de suite à la plainte de victimes de violences policières illégitimes.
  • Les juges sont amenés à statuer sur un dossier qui est constitué par des policiers, cette reconstitution policière nous apparaissant dans bien des cas sans rapport avec la réalité des faits : l’institution policière se retrouve en quelque sorte « juge et partie », phénomène accentué par l’esprit de corps déjà souligné.

Les personnes ayant subies des violences policières illégitimes sont triplement victimes :

  • de violences policières illégitimes,
  • de la non prise en compte de leur état de victime,
  • et bien souvent du fait de leur condamnation judiciaire (Cf. outrage et rébellion, violences à agent, voire incitation à l’émeute).

L’Observatoire a demandé un rendez-vous à Monsieur le Procureur Général d’Aix-en-Provence le 9 septembre 2005. N’ayant pas eu de réponse, une autre demande a été envoyée en recommandé le 13 octobre 2005. Là encore, l’Observatoire n’a pas eu de réponse.

N’espérant donc plus une rencontre avec Monsieur le Procureur d’Aix-en-Provence, l’Observatoire a sollicité un rendez-vous auprès de Monsieur le Procureur de la République de Marseille : l’Observatoire a été reçu début 2006 par un substitut du Procureur. L’Observatoire doute fortement que cette rencontre puisse avoir des effets réels sur le traitement réservé par le Parquet à ce type d’affaires, regrettant l’existence de fait d’une inégalité du citoyen devant la justice.

4. LES ETRANGERS ET LES « MINORITES VISIBLES »

Sur les 27 affaires traitées par l’Observatoire, 19 concernent des abus à caractère discriminatoire.

Dans la plupart des cas, les victimes de violences policières sont soit de nationalité étrangère, soit de nationalité française avec un nom ou une apparence physique laissant penser qu’elles sont d’origine étrangère.

Ce constat est identique à ceux réalisés dans les différents rapports cités en introduction.

Parfois les violences policières illégitimes commises s’accompagnent de propos à caractère raciste.

Certaines catégories de personnes cumulent des « handicaps » discriminatoires (jeune, « minorités visibles », issus de quartier défavorisé...), ce qui se traduit par des pratiques telles que des contrôles d’identités répétés, le tutoiement, le menottage abusif...

5. DES SITUATIONS ANODINES QUI DERAPENT

Sur 27 affaires traitées par l’Observatoire, 20 se passent dans la rue dont 10 ont pour origine une infraction routière, 6 un contrôle d’identité et 1 une provocation verbale de la part d’un policier municipal.

C’est à partir de faits totalement anodins que la situation dégénère, bien souvent à la suite de comportements de policiers particulièrement tendus et agressifs. Ce comportement pour le moins peu professionnel ne peut que susciter une escalade conflictuelle, un affrontement.

Le décalage entre l’élément qui a pu déclencher l’intervention policière - contrôles d’identité, petites infractions routières - et la gravité des faits, que ce soit ceux indiqués par les policiers ou par des personnes victimes de violences policières, est particulièrement frappant et ne peut que retenir l’attention.

POUR CONCLURE

L’Observatoire départemental sur les violences policières illégitimes rappelle qu’il défend l’existence d’une police au service de tous : une police citoyenne au service de l’état de droit et respectueuse des droits de l’Homme.

L’Observatoire en appelle aux pouvoirs publics afin que cessent de tels agissements et de telles dérives.

L’Observatoire s’adresse solennellement à tous les citoyens : ce combat est le vôtre.

Marseille, le 30 mars 2006.

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Annexes

L’Affaire Bonassi - Istres, janvier 2005

Le 19 janvier 2005 vers 22h à Istres, le jeune Renny, étudiant péruvien, attend tranquillement son amie qui termine son travail au Mac Do du coin. Des inconnus, qui s’avèreront être des policiers en civil de la BAC, passent en voiture banalisée. Ils "ciblent" sans raison objective le garçon qui, croyant avoir affaire à des malfrats, court se réfugier au plus près, dans le hall de l’immeuble où habitent, au rez-de-chaussée, Colette, et Louis Bonassi et appelle au secours. L’un des passagers de la voiture, policier de la BAC, le rattrape et se met à le rouer de coups de matraque dans le hall. Hurlements, violence insupportables...sous les yeux de plusieurs co-propriétaires de l’immeuble... Louis parvient à faire cesser le passage à tabac pendant que Colette, adjointe au maire, appelle le commissariat de police !
Des renforts de police arrivent. La suite : Renny et Louis sont embarqués et mis en garde à vue. Colette se rend au commissariat pour prendre des nouvelles de son mari, elle est également mise en garde à vue ! Humiliation, traumatisme d’honnêtes gens, pris dans l’engrenage infernal d’une mécanique judiciaire inacceptable. Ils sont innocents de toute infraction ou délit, mais ils ont dérangé un policier dans l’exercice de sa violence. On les accable du délit "d’outrage, rébellion, violence à agents de la force publique"... Ils ont été lourdement condamnés par le TGI d’Aix :
Renny 8 mois de prison dont 1 ferme, Louis 6 mois avec sursis plus 3 fois 1000 euros de dommages intérêts en faveur des policiers, Colette 3 mois de prison avec sursis et 1000 euros en faveur d’un policier.

Ce jugement a été vigoureusement dénoncé par l’Observatoire départemental des violences policières illégitimes (LDH MRAP SOS racisme indépendant, CIMADE), par la CGT, la CFDT etc... Un Comité de soutien s’est constitué.
Renny, Louis et Colette ont fait appel. Certains des policiers impliqués sont déjà concernés par des évènements semblables s’étant déroulés antérieurement... La COMMISSION NATIONALE DE DEONTOLOGIE DE LA SECURITE (CNDS), saisie par Monsieur Robert BRET, Sénateur des B.D.R, suite à la demande de la LDH et du MRAP, a entendu Colette et Louis le 16 décembre à Paris. Ils étaient accompagnés et soutenus par Evelyne SIRE MARIN, membre du Comité Central de la Ligue des droits de l’Homme, et ancienne présidente du syndicat de la Magistrature.
Ils ont fait appel.
A signaler que les témoignages des témoins directs habitants de l’immeuble qui ont assisté aux violences policières et au courage de Louis Bonassi n’ont pas été pris en compte par le Tribunal.

L’affaire dite du Petit Séminaire - Marseille, mai 2005

Le 16 Mai 2005 est un jour férié. En fin de matinée, la BAC tente d’interpeller 3 mineurs jouant autour d’une voiture volée et abandonnée qui a servi la veille à un "rodéo". Ils s’enfuient à l’arrivée des policiers. Alors qu’un des enfant est interpellé, sa grand-mère, puis son grand-père et sa mère demandent aux policiers de le relâcher tandis que l’interpellation du deuxième petit-fils est en cours.
Un attroupement hostile à l’intervention des policiers se forme, la situation se tend et les policiers prenant peur appellent des renforts.
La situation dégénère : des insultes réciproques fusent, les flash-balls sont utilisés, des cailloux auraient été lancés sur les policiers, le grand-père et la mère sont aspergés de gaz lacrymogène. Des coups de feu ont également été tirés en l’air par un pistolet qui a été mis ensuite sur la tempe du petit-fils de 12 ans. La grand-mère est blessée au genou par un tir de flash-balls. Des policiers rentrent dans les logements et terrorisent des familles. Deux jeunes majeurs, sont violemment interpellés alors qu’ils n’avaient manifestement pas participé aux "évènements"...
Les policiers repartent en ayant interpellé les deux mineurs (les petits-fils), la mère, le grand-père et les deux jeunes majeurs . Tous ont été mis en garde à vue (36h). Durant celle-ci, ils auraient subi des sévices (exemple : la mère, menottée et battue devant son fils) et des injures racistes.

Ils ont été mis en examen pour outrage et rébellion, violence à agents, à quoi s’ajoute, pour le grand-père, une incitation à l’émeute.
Maître VALERA, avocat du grand père et de la mère a invoqué l’état de santé de ses clients faisant valoir que la prison leur était préjudiciable. Maître KERAMIDAS, avocate d’un des jeunes majeurs a mis en évidence une fausse déclaration de la police. Malgré leurs demandes, la mise en liberté de leurs clients a été refusée.

L’audience correctionnelle a eu lieu le 21 juin 2005 suivi d’un nouveau refus de mise en liberté provisoire bien que le dossier de la mère précisait qu’elle était épileptique, dépressive et suicidaire, et suivie depuis 3 ans par un psychiatre. Elle a fait, aux Baumettes, une tentative de suicide par pendaison le vendredi 24 juin 2005.
Le 28 juin 2005 le jugement était rendu : 12 mois de prison dont 6 mois fermes pour le grand-père (au-delà de la peine demandée par le Parquet) et les 2 jeunes, 4 mois fermes pour la mère (en deçà de la peine demandée par le Parquet). A quoi s’ajoutent les dommages et intérêts demandés par les policiers.

Trois jours après avoir appris sa condamnation, le grand-père est décédé en prison le 1er juillet 2005 d’une crise cardiaque, après s’être plaint en vain depuis la veille de picotements dans la poitrine. Le personnel soignant des Baumettes n’étant pas présent c’est le SAMU qui intervient mais trop tard. Ce n’est que dans la soirée, que Me Valera, après avoir insisté, apprendra la vérité.
_ Une autopsie obligatoire en cas de mort en prison a été pratiquée et a confirmé la cause médicale du décès.

Suite au décès du grand-père, sa fille a été mise en liberté le vendredi 8 juillet 2005, jour de l’enterrement de son père. Elle a lu alors une lettre éloquente qu’il lui avait adressée lorsqu’ils étaient incarcérés et avant de connaître le verdict du Tribunal. Dans cette lettre, le grand père précisait à sa fille qu’avant ces évènements il était "content" lorsque les policiers venaient au Petit Séminaire, qu’il avait toujours " respecté la Police", mais que " maintenant il savait que la plupart sont des menteurs". Rappelons qu’il travaillait depuis l’âge de 16 ans, qu’il avait avant son incarcération un emploi dans la sécurité à France Télécom et qu’il avait élevé ses 7 enfants avec courage et dans la dignité.

Concernant les 2 enfants mineurs, une première audience du juge pour enfant en décembre, a été renvoyée au 24 janvier. La décision reportée au 14/02/06 a demandé un suivi pour les jeunes. Notons seulement qu’une assistante sociale avait demandé à l’un des petits-fils « s’il ne se sentait pas coupable depuis la mort de son grand-père ? »

Notes

[1Observatoire départemental des Violences Policières Illégitimes
Maison méditerranéenne des droits de l’Homme
34 Cours Julien
13006 MARSEILLE

Tél : 08 70 28 94 65


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