le rapport de la CNDS le confirme


article de la rubrique justice - police > police
date de publication : lundi 18 avril 2005
version imprimable : imprimer


Violences policières : les personnes d’origine étrangère sont les premières victimes des dérapages des forces de l’ordre.


La Commission Nationale de Déontologie de la Sécurité, présidée par Pierre Truche, vient de rendre public son rapport annuel 2004, après l’avoir remis au Président de la République le 18 avril 2005.

Le rapport de la CNDS confirme les travaux de la Commission nationale Citoyens Justice Police

Communiqué de la LDH
Paris, le 18 avril 2005

Le rapport publié par la Commission nationale de la déontologie de la sécurité confirme les conclusions tirées par la commission nationale sur les rapports entre les citoyens, la justice et la police, composée de la LDH, du MRAP, du SAF et du SM.

La LDH observe que la CNDS est saisie de plus en souvent, malgré les conditions restrictives de sa saisine, ce qui est la marque d’une détérioration constante des rapports entre la police et les citoyens, ce dont nul ne peut se féliciter.

Elle relève que les conclusions de la CNDS rejoignent très largement les constats faits par la commission nationale citoyens - justice - police, et plus précisément :

- le fait que nombre d’incidents surviennent à propos des contrôles d’identité, dont la LDH n’a cessé de dénoncer l’arbitraire,
- le manque de formation et d’encadrement des policiers,
- le fait qu’une majorité des cas recensés concerne des personnes dont l’origine réelle ou supposée a été déterminante dans l’attitude des forces de l’ordre, ce qui démontre l’existence de pratiques discriminatoires.

À cela s’ajoute que la commission nationale citoyens - justice - police avait mis en évidence les difficultés de traitement de ces affaires - dont l’enquête est confiée à des policiers - par l’appareil judiciaire qui a tendance à accorder une confiance aveugle aux dires des forces de sécurité.

La LDH réaffirme ses souhaits de voir modifier les conditions dans lesquelles les contrôles d’identité ont lieu, d’une meilleure formation des forces de l’ordre et d’un meilleur encadrement. Elle demande que la justice juge à égalité de traitement les citoyens et les membres des forces de sécurité.

La LDH rappelle, enfin, qu’il est absolument essentiel, dans une démocratie, que la justice, les forces de l’ordre et les citoyens entretiennent un rapport de confiance

bavures au faciès

par Jacky DURAND [Libération, lundi 18 avril 2005]

C’est un constat qui n’est pas nouveau : la couleur de peau des plaignants est une donnée récurrente dans les bavures policières examinées par la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), présidée par Pierre Truche. Il y a un an, l’ancien président de la Cour de cassation s’était lui-même dit « frappé par la couleur de peau et la fréquence statistique de personnes étrangères et ou ayant des noms à consonance étrangère »parmi les victimes de violences policières, et avait promis que la CNDS travaillerait sur ce point.

Progression. Pierre Truche a tenu parole : dans le rapport annuel qu’il dévoilera ce matin et que s’est procuré Libération, la CNDS publie une étude réalisée sous la direction de Catherine Wihtol de Wenden, directrice de recherches au CNRS, à partir de 36 dossiers enregistrés entre 2001 et 2004 et mettant en évidence une discrimination. Ce rapport annuel est également marqué par une nouvelle progression du nombre de dossiers examinés par la CNDS. En 2004, la commission a été saisie de 97 dossiers contre 70 en 2003, soit une hausse de 38 %. La très grande majorité des saisines concerne des fonctionnaires de la police nationale et de l’administration pénitentiaire.

Les portraits-robots des victimes de bavures et des fonctionnaires mis en cause sur quatre ans dans des cas de discrimination sont sans surprise : d’un côté, des jeunes issus de l’immigration maghrébine et africaine et résidant dans des banlieues défavorisées de la région parisienne ; de l’autre, des policiers âgés en moyenne de 25 ans et rarement originaires de la région où ils interviennent. 64 % des plaignants sont de nationalité française. « La plupart d’entre eux ont un nom ou une apparence physique qui laissent entendre une origine maghrébine ou moyen-orientale. »

L’étude rassemble ainsi les arguments des associations humanitaires et des syndicats de policiers quand ils dénoncent les idées reçues qui nourrissent l’hostilité et la méfiance de part et d’autre dans les banlieues : « Nombre d’agents ont le sentiment, sur leur lieu de travail, d’être dans un endroit étranger et hostile, ce que de nombreux plaignants confirment en déclarant les percevoir comme étrangers au corps de leur cité. Tantôt le policier est considéré comme l’élément venant de l’"extérieur" dans les quartiers réputés sensibles, tantôt c’est le "jeune issu de l’immigration" qui est ainsi perçu dans les quartiers neutres ou résidentiels. »

« Joutes ». A l’origine de l’intervention policière, il y a souvent le même motif : « Des contrôles d’identité à titre préventif, parfois à l’occasion de regroupements de jeunes et de tapage nocturne. » L’étude a décortiqué la suite du processus : « Des joutes "viriles" s’ensuivent, avec échanges d’insultes se concluant souvent par des procédures d’outrage et de rébellion, le recours fréquent à la force, parfois l’utilisation d’armes de service réservées à un usage défensif [...] Très souvent, on a le sentiment que les incidents auraient pu être évités. »

Le « sentiment d’impunité » est aussi une cause importante de dérapage, selon la CNDS, et il « encourage les agents à se délier de leurs devoirs déontologiques envers certaines catégories de la population ». Les interpellés « ne sont pas perçus comme des citoyens ordinaires, indépendamment de leur appartenance supposée à un groupe ciblé comme groupe à risque ». Pourtant, souligne la CNDS, il y a parmi les interpellés des acteurs de la vie locale, des cadres et des artistes. Dans ce contexte, les actes racistes sont « minimisés », « couverts au nom de la solidarité entre collègues ».

Dans ses conclusions, l’étude de la CNDS note, entre autres : « Une fracture s’établit, pouvant amener des citoyens à pouvoir douter de vivre dans un Etat de droit s’ils ne sont pas traités comme tels. »

@ Dominique Hasselmann

Contre-attaque du ministère
L’IGPN, la police des polices, tempère les accusations.

le ministère de l’Intérieur n’a pas attendu la publication du rapport annuel de la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) pour dire tout le mal qu’il pense de ceux qui contestent l’action de ses services. Dès la semaine dernière, l’Inspection générale de la police nationale (IGPN, « la police des polices ») s’est livrée à une charge en règle contre le rapport d’Amnesty International, publié le 6 avril, qui portait sur « l’impunité de fait des agents de force publique dans des cas de coups de feu, de morts en garde à vue, de tortures et autres mauvais traitements » (Libération du 7 avril). L’organisation a analysé une trentaine de cas de violences policières survenus en France entre 1991 et 2005. « C’est une méthode très contestable et caricaturale », a indiqué mardi dernier Daniel Herbst, directeur de l’IGPN. « On ne peut à ce point critiquer le fonctionnement de la police sur la base de trente dossiers en treize ans. »

Chiffres contre chiffres, il a ensuite égrené une flopée de statistiques pour contrer Amnesty : « La police nationale a procédé à plus de 380 000 gardes à vue en 2004, mis en cause 717 687 personnes dont 200 000 étrangers. » Sur la période étudiée par Amnesty, « 50 policiers ont été tués » tandis qu’en 2004 « 3 852 ont été blessés », selon l’IGPN. Pour Daniel Herbst, « les policiers n’échappent pas à la violence qui marque les rapports sociaux. La plus grande partie des dossiers disciplinaires concerne l’Ile-de-France, car il y a une forte concentration d’emploi d’agents et de cités difficiles. Nous n’intervenons pas en fonction de la couleur de peau. »

Selon la « police des polices », 724 accusations de violences policières ont été recensées en 2004, soit une augmentation de 18,49 % par rapport à 2003. Pour Daniel Herbst, « entre 18 % et 20 % de ces violences alléguées sont avérées chaque année ». Pour « 12 % à 15 % de ces accusations, il y a un doute, tandis qu’environ 70 % ne reposent sur aucun fondement ». En 2004, la « police des polices » indique avoir procédé à 2 563 sanctions disciplinaires, allant de l’avertissement à la révocation. 157 policiers ont été radiés ou révoqués.

Les fonctionnaires en cause incités à se faire assister par leurs supérieurs

[Le Monde daté du 19 avril 2005]

La commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) cherche toujours à entendre les personnes impliquées dans ses dossiers, à titre d’auteurs ou de témoins. Les statuts de la CNDS prévoient qu’elles "peuvent se faire assister par le conseil de leur choix".

Dans le cas des policiers, mieux vaut que leur accompagnateur soit un supérieur hiérarchique plutôt que quelqu’un d’extérieur au service, si l’on en croit une note du 12 juillet 2004, adressée par le directeur central de la sécurité publique, Alain Fontaine, aux directeurs départementaux de la sécurité publique (DDSP).

Cette note débute par une référence au troisième rapport de la CNDS, publié le 7 mai 2004, qui a "mis en évidence une importante augmentation du nombre de saisines". Le nombre de convocations adressées aux policiers a lui aussi augmenté. M. Fontaine rappelle aux DDSP qu’ils doivent veiller à ce que l’action des policiers soit conforme à la loi et aux principes éthiques. Puis il aborde la question de la défense des fonctionnaires dans les dossiers épineux.

L’administration centrale est "soucieuse d’assurer la défense de ces mêmes fonctionnaires et services puisque les saisines de la CNDS, écrit curieusement M. Fontaine, ne révèlent que peu souvent des dysfonctionnements graves en contradiction avec les exigences morales de la profession". Pour sa défense, "le choix du fonctionnaire est, bien sûr, totalement libre", précise le directeur central. Il peut s’agir d’un avocat. Le policier peut lui préférer un représentant syndical. Mais, toute liberté mise à part, "c’est l’assistance par la hiérarchie qui doit être favorisée", assure M. Fontaine.

Les DDSP sont invités à proposer leur assistance pour se rendre devant la commission, voire à solliciter l’administration centrale. La raison invoquée : la CNDS s’intéresse, "au-delà des faits, aux modes de fonctionnement et d’organisation du service" auquel appartient le policier. Le supérieur du policier saura mieux les expliquer, pense-t-on.

En conséquence, M. Fontaine demande aux DDSP de l’informer de toute convocation, du choix de l’accompagnateur et des faits reprochés, puis de lui communiquer une copie du procès-verbal de l’audition.

En septembre 2004, la CNDS a modifié son règlement intérieur : le conseil, choisi librement par le policier, ne doit pas être susceptible d’être convoqué à son tour par la Commission dans la même affaire.

"Cette nouvelle disposition a pour but d’assurer la totale liberté et la protection de la confidentialité des témoignages lors des auditions", explique le rapport 2004 de la CNDS.


Suivre la vie du site  RSS 2.0 | le site national de la LDH | SPIP