20 ans après Malik, 1 an après Zied, Benna, Muhittin : la déontologie de la police en question


article de la rubrique justice - police > police
date de publication : vendredi 8 décembre 2006
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Trois faits viennent attirer l’attention sur le traitement des violences policières en France en cette fin d’année 2006 :
- il y a vingt ans Malik Oussekine était assassiné en marge de manifestations étudiantes à Paris ;
- un rapport de l’IGS met en cause la version défendue par N. Sarkozy concernant la mort de deux adolescents en novembre 2005 ;
- un avocat, proche de la majorité politique actuelle, est nommé à la tête de la CNDS (Commission nationale de déontologie de la sécurité), une autorité indépendante.

Les violences de la police française, rappelons-le, sont régulièrement condamnées par des ONG comme Amnesty International [1], des associations comme la commission nationale Citoyens-Justice-police [2], et des observatoires créés localement, comme dans les Bouches-du-Rhône [3]. Mais aussi par la Cour européenne des droits de l’Homme.

Chaque violence des forces de l’ordre non proportionnée est une intolérable atteinte aux droits individuels par la raison d’Etat. Les contentieux qui en naissent (notamment le sentiment des victimes que les policiers bénéficient d’une sorte d’impunité) sont très souvent, pour ne pas dire toujours, la cause du déclenchement de violences urbaines [4]. Pour plus de sécurité donc, contrôlons notre police !


PARIS, 1986

Malik Oussekine se fait frapper à mort non loin des manifestations étudiantes - par la police selon toute vraisemblance.

Une plaque en son honneur vient d’être dévoilée à Paris [5].

« Pasqua avait dit aux policiers : "Je vous couvrirai." Un feu vert aux exactions » [6]

Pour Fabien Jobard, chercheur au CNRS, le citoyen a davantage conscience de ses droits que sous l’ère Pasqua, où les exactions policières étaient rarement sanctionnées.

La mort de Malik Oussekine a-t-elle marqué une prise de conscience collective sur la question des violences policières ?

Fabien Jobard. La mort de Malik Oussekine est indissociable des énormes manifestations étudiantes contre un gouvernement perçu comme très dur et très libéral. Des policiers, lâchés dans la nature et sans moyen de communication avec leur hiérarchie, se sont acharnés sur un jeune malade, non violent et non manifestant. Cela a énormément choqué. Au-delà de ça, il y avait la dimension raciste de l’acte. On ne s’en rend pas forcément compte, mais l’action de Charles Pasqua à l’Intérieur était autrement plus brutale que celle de Nicolas Sarkozy aujourd’hui. Lorsqu’il arrive en mars 1986, il dit à l’ensemble des policiers : « Je vous couvrirai. » C’était un feu vert à toutes les exactions. Les choses ont vraiment changé. Ne serait-ce qu’en comparant la fréquence des homicides policiers entre les deux époques.

Comment expliquer l’augmentation constante, ces dernières années, des saisines de l’IGPN et de l’IGS ?

Fabien Jobard. En 1986, il y avait une centaine de saisines de l’IGS (inspection générale des services) pour violence illégitime. Aujourd’hui, on en a six ou sept fois plus. C’est-à-dire que les gens ont davantage recours au droit. Ils ne sont plus intimidés par l’État, la puissance publique. À l’époque de Pasqua, la probabilité de voir aboutir une plainte pour mauvais traitement était négligeable. D’abord parce que les victimes ne portaient pas plainte.

Pourquoi les plaintes aboutissent-elles souvent à des non-lieux ?

Fabien Jobard. Il y a peu de personnes que les juges sont prêts à tenir pour des témoins crédibles. De plus, les policiers bénéficient avec l’inculpation de rébellion d’un outil assez facile, à la fois arme de dissuasion de la plainte et de disqualification du plaignant. Le taux de réussite des plaintes est bien supérieur lorsque le plaignant n’est pas lui-même visé par une procédure de rébellion. C’était déjà noté dans un rapport confidentiel de l’IGPN, il y a une vingtaine d’années. Il est beaucoup plus fréquent de voir des policiers se faire condamner pour des infractions mineures, du type perte de carte de service ou endettement, qui offre des preuves matérielles immédiates. En revanche,
s’il peut être constaté par un médecin que des coups ont été portés, celui-ci ne se prononcera jamais sur les circonstances dans lesquelles ces coups ont été portés.

La France, épinglée à plusieurs reprises par les instances européennes de défense des droits de l’homme, est-elle un cas à part en la matière ?

Fabien Jobard. La France est l’un des pays d’Europe occidentale le plus souvent mis

à l’index et où la police a été la plus brutale. En plus de la Cour européenne des droits l’homme, le Comité contre la torture a même indiqué que toute personne appréhendée par les services de police encourt un risque non négligeable d’être maltraitée. Mais j’ai la conviction que cela commence à appartenir au passé. La création de la Commission nationale de déontologie de la sécurité et la loi sur la présomption d’innocence, votée sous le gouvernement de Lionel Jospin, pèsent profondément sur l’action policière.

Les associations avancent l’idée que les victimes puissent saisir directement la CNDS. Qu’en pensez-vous ?

Fabien Jobard. Je suis partagé. Lever ce filtre qu’est la saisine par les parlementaires reviendrait à prendre le risque de la noyer sous le nombre de dossiers. Ce serait le moyen le plus simple de briser cette instance qui n’a toujours pas de président, Jacques Chirac n’en ayant pas nommé, ni les moyens matériels et budgétaires de traiter les affaires qui lui sont déjà soumises. La procédure actuelle a par ailleurs un effet non négligeable : cela oblige les parlementaires à mettre le nez dans le quotidien des affaires de police et pénitentiaires dont ils ont une vision parfois aérienne.

Entretien réalisé par Rosa Moussaoui et Ludovic Tomas


CLICHY [7]

A l’origine des violences urbaines de novembre 2005, la mort de deux adolescents, Zyed Benna et Bouna Traoré qui s’étaient réfugiés dans un transformateur EDF en compagnie de Muhittin Altun, après avoir été, selon certains récits, poursuivis par des policiers, ce que contestaient ces derniers.

Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur, couvrait alors les policiers en les mettant hors de cause.

L’Inspection générale des services vient pourtant de mettre à mal cette version.

Déjà, la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) avait dénoncé dans son rapport 2006 les interrogatoires auxquels avait dû se prêter Muhittin Altun grièvement blessé sur son lit d’hôpital [8].


Un proche de la droite à la tête de la Commission de déontologie de la sécurité [9]

Philippe Léger, magistrat proche de la droite, a été nommé président de la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) par un décret publié mardi 5 décembre.

M. Léger remplace Pierre Truche, ancien président de la Cour de cassation, dont le mandat était arrivé à son terme. M. Truche avait été désigné par la gauche, en 2000, lors de la création de la CNDS, nouvelle autorité administrative indépendante chargée de "veiller au respect de la déontologie par les personnes exerçant des activités de sécurité".

M. Truche, qui fut l’avocat général du procès de Klaus Barbie, est une figure de la magistrature. Il a également présidé la Commission nationale consultative des droits de l’homme. Le président de la République, Jacques Chirac, lui avait confié, en 1996, la conduite de la commission de réflexion sur la réforme de la justice.

M. Léger, 68 ans, a un profil très différent. Il a effectué la majeure partie de sa carrière de magistrat à la chancellerie, à la direction des affaires criminelles, mais aussi dans les cabinets de quatre ministres de la justice de droite successifs. Il a été conseiller d’Olivier Guichard, puis d’Alain Peyrefitte, entre 1976 et 1978. En 1986, il est devenu directeur adjoint du cabinet d’Albin Chalandon. En 1993, après un retour sur le terrain, à la tête du tribunal de Bobigny, il a dirigé le cabinet de Pierre Méhaignerie. Il était depuis lors avocat général à la Cour de justice des communautés européennes.

Saisie par tout citoyen par l’intermédiaire d’un député ou d’un sénateur, la CNDS s’est imposée, à côté des corps d’inspection, comme un acteur vigilant de l’action des policiers et des surveillants de prison : 19 dossiers ont été traités en 2001 ; 108 en 2005. Depuis sa création, la CNDS a enregistré 419 saisines et rendu 200 avis, dont le ton, sévère, a souvent irrité le ministère de l’intérieur.

En 2005, un important gel de crédits avait paralysé durant plusieurs mois l’activité de la CNDS. "Il faut savoir ce qu’on veut pour la CNDS, avait alors expliqué son président. La loi dit que nous sommes indépendants, mais cette affaire montre le contraire." Dans son dernier rapport, M. Truche avait appelé le gouvernement à consolider les moyens de la CNDS pour garantir son avenir.

Nathalie Guibert

Notes

[2Composée de la LDH, du MRAP, du SAF et du SM.

[4Voir notamment L. MUCCHIELLI et V. LE GOAZIOU (dir.). Quand les banlieues brûlent..., La Découverte, 2006 et C. BACHMANN et N. LEGUENNEC. Autopsie d’une émeute urbaine, Albin Michel, 1997.

[5Voir le récit de la cérémonie : http://www.davduf.net/article.php3?....

[6L’Humanité, 6 décembre 2006.

[7Voir article 1724.

[8Voir article 1392.

[9Le Monde, 7 décembre 2006.


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