rapport 2006 de la CNDS : trop de violations des règles de déontologie par la police


article de la rubrique justice - police > police
date de publication : samedi 10 mars 2007
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Dans son rapport 2006, rendu le 8 mars 2007, la Commission nationale de déontologie de la sécurité constate que ses saisines ont augmenté de 25 % en un an. Elle met l’accent sur les menottages et contrôles d’identité abusifs, et regrette l’« inflation des procédures pour outrages » engagées par les forces de l’ordre.

Après le départ de Pierre Truche, son premier président, la CNDS fait face à plusieurs incertitudes.


Manifestation contre la « loi Fillon », à Paris, le 13 avril 2005.

La Commission de déontologie de la sécurité voit son travail menacé

par Piotr Smolar, Le Monde du 9 mars 2007

Une page s’est tournée pour la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) avec le départ, à la fin de l’année 2006, de son président, Pierre Truche
 [1]. Le rapport annuel, qui devait être présenté jeudi 8 mars par son successeur, Philippe Léger, s’inscrit dans la continuité des préoccupations de la Commission depuis six ans : menottages et contrôles d’identité abusifs, lacunes dans l’encadrement, réticences de l’institution à reconnaître les écarts déontologiques. La CNDS regrette d’ailleurs que "depuis plusieurs années le ministre de l’intérieur ne réponde plus à ses avis et recommandations, laissant au directeur général de la police nationale le soin de le faire" [2].

En 2006, la Commission a enregistré 140 saisines de la part de parlementaires de tous bords, soit une augmentation de 25 % par rapport à 2005. Sur 102 dossiers traités l’an passé, 69 concernent la police, 14 l’administration policière, 8 la gendarmerie, 2 la police municipale, 2 la police aux frontières, et 1 les services de sécurité privée.

Violences illégitimes. Huit cas de violences physiques illégitimes graves exercées par les forces de l’ordre ont été constatés en 2006. La Commission cite l’exemple de T. J., victime d’un contrôle routier agité de la part de policiers du commissariat de Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne) pour avoir utilisé son téléphone portable au volant. Il a eu cinq mois d’arrêt de travail après une "fissuration du bourrelet glénoïdien antérieur" à l’épaule gauche. Sa plainte a été classée sans suite. Le ministère a estimé que cet "accident" " (était) la conséquence directe de son obstruction active à l’intervention des policiers".

Menottage et fouille à corps. Dans 12 des 69 affaires concernant la police, la Commission estime que la circulaire du ministère de l’intérieur du 11 mars 2003 sur le respect de la dignité des gardés à vue n’a pas été respectée.

Cette circulaire rappelle notamment que la fouille à corps doit constituer une exception à la règle générale de la palpation de sécurité. "Ce qui est encore loin d’être le cas, au vu du nombre de saisines où la fouille à corps est pratiquée de manière systématique, pour des motifs qui ne sont pas toujours valables", souligne la Commission. Ainsi, H. S., réfugié politique algérien, a été violemment interpellé pour rébellion au cours d’un contrôle d’identité par des policiers des Halles, à Paris. "Il a été fouillé, totalement déshabillé dans un couloir, sous l’oeil de deux caméras", note la Commission.

Autre pratique jugée systématique par la Commission, le menottage des personnes interpellées. Selon le code de procédure pénale, son usage suppose un danger pour la personne ou pour autrui, voire un risque de fuite. Dans dix dossiers, le rapport estime que le menottage ne s’imposait pas. "Il ne faut pas sous-estimer le phénomène de peur de part et d’autre, explique Philippe Léger. Les policiers interviennent souvent dans des conditions où eux-mêmes ne se sentent pas en sécurité. S’ils n’ont pas la maturité et l’entraînement suffisants pour maîtriser la parole et le geste, cela peut dégénérer en incident."

Des outrages en hausse. La Commission a constaté "une inflation des procédures pour outrages engagées de manière trop systématique par les personnels des forces de l’ordre", relevées dans 13 dossiers sur 69 pour la police.

La Commission regrette une conception trop large de l’outrage. "Le fait d’être photographiés ou filmés durant leurs interventions ne peut constituer aucune gêne pour des policiers soucieux du respect des règles déontologiques", remarque notamment la Commission, qui considère "comme normale l’attention que des citoyens ou des groupes de citoyens peuvent porter à leur mode d’action".

L’avenir de la CNDS en question. La Commission doit faire face à plusieurs incertitudes. Fait sans précédent : un particulier, qui avait transmis sa plainte contre des policiers à un parlementaire, a été condamné en première instance pour dénonciation calomnieuse. Dans un courrier adressé au garde des sceaux, le 13 juin 2006, Pierre Truche a estimé que cette décision, si elle était confirmée, "pourrait remettre en cause tout le fonctionnement de la CNDS".

Autre motif d’inquiétude : lors du débat sur le projet de loi de prévention de la délinquance, un amendement a été glissé afin d’introduire un commissaire du gouvernement, nommé par le premier ministre, au sein de la CNDS. Certains membres de la Commission, qui tiennent à son indépendance vis-à-vis du ministère de l’intérieur, s’en sont émus. D’autant plus que le nouveau président de la CNDS, Philippe Léger, a effectué une partie de sa carrière dans les cabinets de quatre ministres de la justice de droite.

Constatant "beaucoup d’incompréhension" entre les policiers et la Commission, ce dernier assure souhaiter la surmonter.

Piotr Smolar

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Deux syndicats de policiers contestent un rapport qu’ils jugent « caricatural »

[20Minutes.fr | 08.03.07 | 14h30]

Un « rapport caricatural » qui « invoque une prétendue spirale de la violence policière ». Synergie, le second syndicat chez les officiers de police, a critiqué les conclusions du rapport annuel de la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) publié ce jeudi. Il y est notamment indiqué que le nombre de plaintes a grimpé de 30% entre 2005 et 2006. Alliance, second syndicat de gardiens de la paix, a quant à lui rappelé que « la police française reste l’une des plus contrôlées au monde » et demande à la CNDS de faire « preuve de plus d’objectivité » et de « moins de dogmatisme ».

"Les gens portent plainte plus facilement"

par Jean Bonnard, membre de la Commission nationale de la déontologie de la sécurité (CNDS), ancien bâtonnier du barreau de Lyon

Propos recueillis par Sovanny Chhun (le jeudi 8 mars 2007)
[NOUVELOBS.COM | 08.03.2007 | 15:51]
  • Comment expliquez-vous l’augmentation des violences policières ? Sur quels critères est basée cette statistique ?

Nous nous basons sur le nombre de plaintes reçues, c’est pourquoi nous parlons d’une hausse des saisines et pas directement d’augmentation des violences policières.

Les gens portent plainte plus facilement grâce aux relais d’information qui ne cessent de s’améliorer depuis la création de la Commission, en 2000.

La CNDS fonctionne en assemblée plénière. Cette dernière désigne deux rapporteurs qui étudient les plaintes à la suite du secrétaire général. Des enquêtes sont menées, on se déplace, on rencontre les plaignants et on interroge les personnes incriminées. Les rapporteurs déposent alors un "projet d’avis" à l’assemblée qui approuve les plaintes. Tous les dossiers sont votés à l’unanimité.

  • Qui et comment peut-on saisir la CNDS ?

Les particuliers ne peuvent par saisir directement la Commission. Ils doivent s’adresser soit au Défenseur des enfants, soit aux parlementaires soit au Premier ministre et, depuis la loi sur la prévention de la délinquance, au Médiateur de la République ou à la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde).
La CNDS doit être saisie dans l’année qui suit les faits dénoncés.

  • Quels sont les dérapages les plus souvent constatés ? Quelles zones géographiques sont les plus concernées ?

Les abus d’autorité policière notamment en matière de garde à vue, de fouilles, de menottage sont les plus fréquents. On retrouve également beaucoup de plaintes pour des contrôles d’identité qui aboutissent à des gardes à vue sans interpellations.
Les plaintes concernent essentiellement les zones urbaines et particulièrement la région parisienne avec Paris et le 9-3 [département de Seine-Saint-Denis].

Notes

[1Pierre Truche a rédigé un bilan des six premières années d’activités 2001-2006 de la CNDS : http://cnds.fr/pages/Bilan_Pierre_T....

[2Le rapport est accessible sur le site Internet de la Cnds.


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