Toulouse : quand la police dérape


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date de publication : vendredi 16 février 2007
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Dans son rapport 2006, la section de Toulouse de la LDH dénonce des violences policières commises dans cette ville. Elle a retenu 17 des 27 dossiers portés à sa connaissance entre décembre 2004 et décembre
2006. Le rapport est téléchargeable dans son intégralité (pdf 300 ko).

Vous trouverez ci-dessous la présentation de ce rapport publiée dans La Voix du Midi le 1er février 2007, puis un texte de Chantal Tanguy, membre de la section toulousaine de la LDH, paru dans le même journal, et, pour finir, quelques réactions à ce rapport publiées le 24 janvier 2007 dans La Dépêche.


(La Dépêche du Midi - 24 janvier 2007)

Police et justice vues des droits de l’Homme

par Jean-Manuel Escarnot, La Voix du Midi du 1er février 2007

« La garantie des droits de l’homme et du citoyen nécessite une force publique. Cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée. » Le rappel de l’article 12 de la Déclaration des Droits de I’Homme de 1789 introduit le rapport 2006 de la section toulousaine de la Ligue des droits de l’Homme sur les violences policières illégitimes commises à Toulouse.

Il donne le ton de cette enquête, dont le but n’est pas de remettre en cause la « nécessité d’une police républicaine au service des citoyens ».

Soutenu par des membres du Syndicat des Avocats de France (SAF) et du Syndicat de la Magistrature, l’objectif du rapport de la LDH réalisé de juillet 2004 à décembre 2006, est d’alerter sur des « dysfonctionnements » parfois graves qui discréditent une police qui se doit d’être irréprochable. Dans ce cadre les auteurs analysent 17 dossiers de « violences illégitimes de la part des forces de sécurité ». Les fautes relevées par la Ligue des droits de l’Homme concernent des actes commis au cours de contrôles, d’interpellations, de gardes à vue et de mises en cellule de dégrisement.

Dans la liste des manquements aux textes de procédure pénale régissant chacun de ces actes, le rapport évoque : des fouilles aux corps injustifiées, des injures, des menottages et un usage de la force excessifs.

En garde à vue, il s’agit essentiellement de « brimades et de négligences » telles que la difficulté pour le prévenu d’aller aux toilettes, d’obtenir de l’eau, une couverture et l’absence de repas.
C’est en cellule de dégrisement que, selon la LDH, les conditions sont les plus difficiles. À la saleté des cellules s’ajoute la difficulté d’obtenir à boire, « incompréhensible puisque le traitement de base de l’ivresse est l’hydratation. »

Ce manque d’attentions amène la LDH à poser la question de l’intervention des médecins durant les gardes à vue. Les témoignages recueillis font état d’un manque d’examens approfondis des gardés à vue par certains médecins. Leur visite se limitant à la signature d’un document attestant que « l’état de santé de la personne est compatible avec la garde à vue ».

Dans sa dernière partie, le rapport de la LDH s’intéresse au traitement judiciaire des plaintes des victimes des violences policières.

Sur les 17 dossiers en cause seulement 50 % des victimes ont porté plainte. Sur ces mêmes dossiers 70 % des policiers mis en cause portaient plainte pour « outrage et rébellion ». Le rapport de la LDH souligne que les plaintes des fonctionnaires de polices sont presque toujours suivies de poursuites par le Parquet et audiencées avant celles des victimes entendues comme auteurs du délit d’outrage et de rébellion.

En conclusion, ce rapport souligne l’écoute attentive rencontrée auprès du Procureur de la République, du Préfet et du Directeur départemental de la sécurité publique. Il regrette au passage que le Maire de Toulouse n’ait pas accédé à la demande d’entrevue qui lui a été faite.

Surtout, il demande une politique rigoureuse de recrutement et de formation des fonctionnaires de police et de gendarmerie, une vigilance déontologique accrue de la hiérarchie policière et une rigueur systématique des acteurs de l’institution judiciaire.

De ceci dépendent les conditions indispensables qui empêcheront les dérives qui accentuent la méfiance et la crainte des citoyens vis-à-vis de la police et de la justice, socles d’un Etat de droit.

Jean-Manuel Escarnot

Que fait la police ?

Chantal Tanguy, membre de la LDH, s’interroge [1]

Depuis 1789 il existe une Police d’Etat - police républicaine au service des citoyens - qui a remplacé les polices privées et celle du système absolutiste qui prévalait auparavant. On n’embastille plus.

Bien sûr, son exercice suppose dans une certaine mesure la contrainte, et l’usage d’une force légitime pour maintenir le nécessaire ordre public.

Lorsque des abus sont commis dans l’exercice des compétences policières, ils sont alors qualifiés de violences illégitimes.

Ces violences policières illégitimes, sous forme de tabassages, heureusement exceptionnels, de menottages systématiques, dans le dos, serrés à l’excès portent atteinte à l’intégrité de la personne. Menottages fréquemment accompagnés de coups une fois la personne maîtrisée et couchée au sol. Aussi des fouilles de sécurité humiliantes et attentatoires à la dignité puisqu’elles supposent que la personne en état d’arrestation (quelqu’en soient les motifs) se déshabille totalement. On peut également ajouter les insultes, le tutoiement et les pressions exercées lors de la signature des procès verbaux. Et, s’il faut bien reconnaître que la profession de policier est la plus sanctionnée et donc qu’un contrôle existe de la part des hiérarchies policières et des Parquets, il n’en demeure pas moins que nombre de violences ne sont pas sanctionnées.

Rien ne justifie pas que l’on accepte avec passivité cet état de fait. L’ambiance sécuritaire, qui se renforce à la faveur d’une politique d’état répressive qui a instauré une culture affirmée du chiffre, ne peut que conduire à une aggravation des dérapages.

C’est le rôle des associations citoyennes de dire ce qui se passe. La Ligue des droits de l’Homme, qui est née, il y a 107 ans, au moment de l’affaire Dreyfus, a la légitimité historique et morale pour cela.

La Ligue des droits de l’Homme à Toulouse, dans son rapport, s’est interrogée sur les fonctionnements institutionnels inacceptables qui transforment les victimes de violences policières en coupables, condamnés par la Justice, et conduisent trop souvent à l’impunité des fonctionnaires de police pour ces actes. Pour résumer, parce qu’il le faut bien :

- Des représentants de la Loi violent la Loi en ne respectant ni les règles déontologiques qui encadrent leur profession ni les circulaires des différents ministres de l’Intérieur qui leur rappellent leurs devoirs.
- Ces représentants de la Loi, qui agissent hors la Loi, justifient et couvrent leurs actes illégaux par des plaintes pour « outrages et rébellion ».
- La difficulté majeure des victimes de violences policières est celle de la preuve. S’ils n’ont pas de témoins, pas de certificats médicaux établis par un médecin légiste, leur parole ne fait pas le poids face à ces représentants de la Loi, assermentés, dépositaires de l’autorité publique.
- La procédure de comparution immédiate, trop fréquemment utilisée pour ces mises en cause pour outrage et rébellion, aboutit à des condamnations souvent lourdes, assorties de dommages et intérêts, non négligeables, en faveur des policiers.
- Les plaintes que les victimes de violences portent, quand elles l’osent, sont la plupart du temps classées sans suite. Quand elles ne le sont pas, les victimes se présentent devant le tribunal, déjà condamnées, et donc coupables.

Alors que faire ?

Prendre, au moins, quelques mesures concrètes :

- Instituer des procédures d’appréciation, par la hiérarchie policière, de l’opportunité et du bien-fondé des plaintes que les policiers portent pour « outrages et rébellion », avant même le contrôle du Parquet.
- Restreindre la pratique de la comparution immédiate et de la détention provisoire pour ces affaires d’outrages et rébellion, l’ordre public étant rarement menacé.
- Instaurer une pratique de jonction systématique, devant les tribunaux, des plaintes pour violences illégitimes et pour outrages et rébellion.
- Edicter une politique pénale en la matière qui ne soit pas, comme c’est le cas actuellement, exagérément répressive.
- Créer un organisme indépendant se substituant à l’Inspection générale de la Police nationale (IGPN), qui est sous la dépendance hiérarchique du Ministre de l’Intérieur. Cet organisme devrait être composé de magistrats, de policiers, mais aussi d’avocats, d’élus parlementaires et, pourquoi pas, d’associations de défense des droits de l’Homme.
- Pratiquer une véritable formation continue en matière de déontologie policière.

Il faut faire prendre conscience aux hommes politiques, en cette période préélectorale, que ces violences contribuent à à altérer gravement l’image des institutions judiciaire et policière, à accentuer la méfiance voire même à engendrer de l’hostilité à leur encontre. Les textes législatifs, les règlements, la jurisprudence, tout cela existe, il suffit de les appliquer. La paix civile ne mérite-t-elle pas qu’on la protège ?

Chantal Tanguy
Psychologue clinicienne - psychothérapeute
Membre de la Ligue des droits de l’Homme

RÉACTIONS [2]

Paul Michel, procureur. - « Lorsque des faits sont constatés, ils sont sanctionnés. Les poursuites que j’ai engagées me servent de bilan. Il y a eu deux condamnations pour ce type de pratique en 2006. Et
des sanctions disciplinaires ont également été prises. Je me fie aux décisions judiciaires établies sur la base de faits précis. Dans l’immense majorité des cas, tout se passe bien. Il peut y avoir des faits très
exceptionnels. J’ai une totale confiance dans les services de police et de gendarmerie. »

Didier Martinez, syndicat UNSA Police. - « Beaucoup de délinquants se sont rendu compte que de dénoncer les violences policières les servaient dans 90 % des cas. Les Ligues des Droits de l’Homme s’émeuvent des conditions d’interpellation, mais elles ignorent comment on travaille. Interpeller quelqu’un consiste à la plaquer au sol, le maîtriser, le menotter et le ramener au commissariat. Ça laisse parfois quelques contusions. »

Préfecture. - La préfecture de la Haute-Garonne a demandé à la hiérarchie policière de ne pas communiquer sur ce rapport.

Notes

[1Source : La Voix du Midi du 1er février 2007.

[2Publiées dans La Dépêche du Midi, le 24 janvier 2007.


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