le rapport pour 2005 de la Commission nationale de déontologie de la sécurité


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date de publication : jeudi 13 avril 2006
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Vous trouverez ci-dessous un article de Libération rendant compte de ce rapport [1].

Cette vue d’ensemble est suivie du compte-rendu et de l’avis de la commission à propos d’un cas que nous lui avions adressé par l’intermédiaire de Madame Geneviève Lévy, députée du Var. Il s’agissait d’un jeune Sanaryen qui nous avait contactés pour se plaindre du comportement à son égard de deux agents de la force publique.


Un rapport administratif épingle le non-respect des procédures policières. Un pavé dans la mare des policiers qui dérapent.

par Jacky DURAND, Libération, mercredi 12 avril 2006.

Mieux vaut ne pas être jeune, sans-papiers ou psychologiquement instable quand la police dérape ou ignore les règles de la procédure pénale. C’est l’un des principaux enseignements du rapport annuel 2005 de la Commission nationale de déontologie de la sécurité. Ce pavé de cinq cents pages sera dévoilé officiellement ce matin par le président de la CNDS, Pierre Truche, ancien président de la Cour de cassation.

Créée en 2000, la CNDS a pour attribution de « veiller au respect de la déontologie par les personnes exerçant des activités de sécurité sur le territoire de la République ». Cette commission administrative, composée de seize membres, n’a pas de pouvoir de sanction mais rend des avis et des recommandations auxquels les ministres concernés sont tenus de répondre. En 2005, elle a été saisie de 108 dossiers contre 97 en 2004, et 70 en 2003, soit une dernière hausse annuelle de 10 % plus modeste que la spectaculaire augmentation précédente (38 %). L’écrasante majorité des cas examinés en 2005 concerne les services de la police nationale, et elle révèle, selon la CNDS, « une méconnaissance de textes légaux de la procédure pénale » et des violations des règles déontologiques. Qu’ils s’agissent du placement en garde à vue, de la fouille à corps ou du menottage, la commission a relevé des « manquements », des actes « non justifiés », des excès, auxquels ceux qu’elle appelle « les personnes dites vulnérables » semblent les plus exposés : « L’augmentation sensible du nombre de saisines relatives à des manquements sur des mineurs, parfois très jeunes, et sur des non-nationaux, en situation irrégulière ou demandeurs d’asile, inquiète la CNDS », relève le rapport.

Insultes. Ainsi, le 14 novembre 2004, à Marseille, M. F. G., 15 ans, est interpellé dans la foule par la brigade anticriminalité (BAC) lors d’une visite du président de la République après avoir fait un doigt d’honneur. Selon le rapport, il a été menotté et conduit au commissariat où il se plaint d’avoir été giflé et insulté par des propos racistes. « Il a subi plusieurs interrogatoires sans jamais avoir été placé en garde à vue, sous le prétexte qu’aucun officier de police judiciaire n’était prévu dans le dispositif du service d’ordre », indique la CNDS qui relève qu’il est « pourtant de tradition » de prévoir un groupe d’OPJ lors d’un tel événement. Les parents du mineur n’ont pas été prévenus et quand le procureur, « avisé tardivement », a ordonné sa remise en liberté, « cela n’a pas été fait immédiatement », relève la commission. Autre cas mentionné par le rapport, la fouille à corps opérée sur quatre lycéens mineurs de Montgeron (Essonne), auteurs de jets de pierres sur une maison, était « injustifiée et attentatoire à à la dignité humaine » tout comme leur garde à vue ne s’imposait pas vu le dommage léger causé (bris de vitre) par les jeunes. Pourtant la CNDS relève que leur garde à vue a été « parsemée d’entorses aux règles de la procédure », les quatre lycéens n’ayant pas bénéficié de l’examen médical qu’impose l’ordonnance de 1945 sur les mineurs. « Cette "expérience malheureuse" n’a pu provoquer chez ces jeunes mineurs, qui n’étaient pas connus des services de police, qu’un "sentiment d’incompréhension et d’injustice" », estime la CNDS qui partage les conclusions de la défenseure des enfants, Claire Brisset, sur « une dégradation constante et reconnue par tous, des relations entre les mineurs et les policiers, surtout dans les quartiers sensibles ».

Nourrisson. Les étrangers occupent aussi une place importante parmi « les personnes dites vulnérables », qui ont retenu l’attention de la CNDS. Elle analyse l’évolution des pratiques policières lors des expulsions d’étrangers à la lumière de tous les cas traités par la CNDS depuis sa création. Le rapport 2005 mentionne l’histoire d’un nourrisson d’un mois, né en France au mois d’août dernier, qui a subi les conditions de rétention et de reconduite à la frontière imposées à sa mère, d’origine somalienne. Selon la commission, la procédure visant cette mère était « totalement improvisée avec un centre de rétention qui n’était pas équipé pour recevoir des enfants en bas âge, avec une absence de présentation au service médical et une éviction des professionnels des services sociaux qui désiraient intervenir. Ni la mère ni l’enfant n’ont reçu de nourriture adaptée. Ils ont été retenus dans un véhicule de la police aux frontières pendant près de huit heures sans eau ni nourriture ». Pour la commission, le bébé a été « l’objet d’une situation relevant de la maltraitance, imputable à la police aux frontières de Rouen ».

Jacky DURAND

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AVIS de la Commission nationale de déontologie de la sécurité à la suite de sa saisine, le 1er juin 2004, par Mme Geneviève Lévy, députée du Var. [2]

La Commission nationale de déontologie de la sécurité a été saisie, le 1er juin 2004, par Mme Geneviève Lévy, député du Var, des conditions dans lesquelles des gardiens de la paix du commissariat de Sanary (Var) ont contrôlé, le 8 avril 2004, les pièces afférentes à la circulation du véhicule automobile conduit par M. R.K.

La Commission a pris connaissance des pièces de la procédure d’outrage à agents de la force publique, elle a entendu les deux gardiens de la paix mis en cause et, séparément, M. B., directeur départemental des polices urbaines du Var, qui avait fait connaître qu’il se présenterait en même temps qu’eux pour les assister.

LES FAITS

Le 8 avril 2004, vers 16 heures, M. P.M. et M. L.L., gardiens de la paix du commissariat de Sanary, qui effectuaient une patrouille à bord d’un véhicule, contrôlèrent M. R.K., qui conduisait une voiture dont le numéro de département de la plaque minéralogique avant était illisible. M. R.K., qui manifesta d’emblée de l’agacement, ne fut pas en mesure de présenter son permis de conduire. M. P.M. l’informa qu’il allait relever à son encontre une contravention de défaut de présentation de cette pièce, et l’invita à l’accompagner dans le véhicule de police afin d’établir le timbre amende à 11 euros.

Pendant ce temps, M. L.L. fit le tour de la voiture du contrevenant et appréhenda, dans un but conservatoire, le portefeuille que celui-ci avait laissé sur le siège avant, et qui contenait la somme de 160 euros. Il fut pris à partie par M. R.K., qui lui reprocha avec véhémence d’avoir procédé à la fouille de la voiture en son absence. Selon les policiers, M. R.K. leur avait fait observer qu’ils auraient eu ainsi la possibilité de mettre quelque chose d’illicite à l’intérieur du véhicule. Également selon eux, il les avait traités de
« cons », leur avait reproché de ne pas savoir faire leur travail et il avait jeté à terre le timbre amende qui venait d’être établi.

M. R.K. fut interpellé pour outrage à agents de la force publique. Conduit au commissariat, il fut placé en garde à vue. Il nia au cours de son audition avoir outragé les policiers. Les gardiens de la paix contestèrent pour leur part que M. L.L. ait procédé à une visite du véhicule.

M. R.K. a été déclaré coupable du délit d’outrage à dépositaires de la force publique dans l’exercice de leurs fonctions, par jugement du tribunal correctionnel de Toulon en date du 18 janvier 2005. Il a interjeté appel de ce jugement. La cour d’appel n’a pas encore statué.

Entendu par la Commission, M. R.K. fit état d’une hostilité des services de police de Sanary, qui lui vaudrait de faire l’objet de contrôles incessants et qui aurait pour origine une fracture d’un doigt que lui aurait occasionnée un gardien de la paix, à l’âge de treize ans. Ces faits auraient entraîné le dépôt d’une plainte, qui n’avait pas été suivie par ses parents. Il fit observer à ce
propos que, le jour du contrôle, les gardiens de la paix, qui étaient devant lui, n’avaient pas pu remarquer l’anomalie de la plaque minéralogique.

Il déclara que, pendant que le premier gardien de la paix établissait le timbre amende, le second avait fouillé sa voiture. Il avait, selon lui, ouvert la boîte à gants, regardé sous le siège et le tapis et ouvert le coffre. Il avait pris son portefeuille qui se trouvait sur le siège avant. Il indiqua que, du monde s’étant rassemblé autour d’eux, il avait demandé au policier ce qu’il avait fait pour qu’il fouille ainsi sa voiture. Il précisa que le gardien de la paix avait alors vidé son portefeuille et qu’il lui avait demandé de s’expliquer
sur la provenance de l’argent qu’il contenait. Il indiqua qu’il avait fait observer au policier que, pour le moins, il aurait pu fouiller la voiture en sa présence, ce à quoi celui-ci avait, selon lui, répondu qu’il l’avait appelé mais qu’il n’avait pas entendu. À la suite de sa remarque, le fonctionnaire de police avait pris la décision de « l’embarquer ».

M. R.K. contesta avoir exprimé la suspicion que le gardien de la paix ait pu profiter de son absence pour placer un « produit illicite » dans le véhicule, expliqua que ses paroles avaient été mal interprétées, et nia avoir proféré des injures à l’encontre des gardiens de la paix et avoir jeté à terre la contravention.

Concernant le déroulement de sa garde à vue, il fit état de propos grossiers de l’officier de police judiciaire à la suite de la constatation, par le médecin qui l’avait examiné, de l’existence d’une légère ecchymose au front causée au moment de son interpellation alors qu’il voulait fermer sa voiture à clé.

Au cours de leurs auditions, M. P.M. et M. L.L. affirmèrent qu’il n’avait pas été procédé à une visite du véhicule. Ils présentèrent une même version, expliquant que M. L.L. avait fait le tour de la voiture pour s’assurer qu’il n’y voyait pas d’objet dangereux et que, la portière avant gauche étant restée ouverte, il s’était penché à l’intérieur pour y prendre le portefeuille, afin de le restituer à son propriétaire et ainsi prévenir toute accusation d’avoir fait disparaître de l’argent. Tous deux maintinrent que M. R.K. avait fait
observer que M. L.L. aurait pu en profiter pour y mettre une substance illicite, et M. P.M. réaffirma que la personne contrôlée les avait traités de « cons », leur avait reproché de ne pas faire leur travail et leur avait promis qu’ils « auraient affaire à son avocat ».

Tous deux déclarèrent qu’ils n’avaient jamais eu affaire auparavant
à M. R.K. M. L.L. précisa que celui-ci leur avait immédiatement reproché de le contrôler « parce qu’il était maghrébin ».

M. B., directeur des polices urbaines qui avait informé la Commission qu’il se présenterait avec les deux gardiens de la paix pour les assister, était en fonction au moment des faits. Il accepta d’être entendu séparément et en premier.

Il exposa le contenu des explications que lui avaient données les deux fonctionnaires, qui étaient celles ci-dessus résumées. Ils les renouvelèrent ensuite, de manière concordante, au cours de leurs auditions. Il fit observer que l’appréhension du portefeuille constituait une mesure de précaution afin d’éviter toute accusation qui pourrait être portée contre les policiers, et qu’elle obéissait aux instructions qu’il donnait. Il signala que la garde à vue de l’intéressé s’était mal passée, car il avait laissé entendre à
l’officier de police judiciaire qu’il allait porter plainte pour avoir été frappé et que, celle-ci lui ayant fait observer qu’il ne présentait aucune blessure, il lui avait répondu qu’il pouvait se faire des traces en garde à vue. Ces propos avaient justifié qu’un examen médical fût ordonné. M. B. énuméra les procédures dans lesquelles M. R.K. avait été entendu et signala « qu’il n’avait cessé de se plaindre au cours de ses auditions et d’adopter une
attitude de provocation ».

Concernant l’allégation de M. R.K. d’être harcelé par les services de
police, il fit observer que, de 2002 à 2004, il n’avait fait l’objet de l’établissement d’aucun timbre amende, et que celui à 11 euros qui avait été établi constituait le minimum de ce qui pouvait être retenu à son encontre.

Il signala enfin que les deux gardiens de la paix étaient bien notés et que M. L.L. avait, depuis, été affecté à la BAC de nuit de Sanary.

AVIS

La Commission ne peut porter aucune appréciation sur la réalité des
propos outrageants imputés à M. R.K., des poursuites étant actuellement en cours pour ces faits.

Les allégations de l’intéressé concernant une éventuelle visite de son véhicule contre son consentement, pourraient certes être considérées comme confortées par l’appréhension du portefeuille et les reproches qu’il a immédiatement formulés. Pour autant, il n’est pas contesté que le portefeuille se trouvait sur l’un des sièges avant à la vue de tous, et qu’il a pu paraître opportun aux fonctionnaires de prévenir une accusation en le remettant à son propriétaire. Il eut certainement été plus approprié d’appeler
celui-ci qui se trouvait à proximité pour qu’il se saisisse lui-même de son portefeuille.

La Commission ne peut tenir pour établi qu’il ait été procédé à une visite du véhicule en méconnaissance des dispositions des articles 78-2-2, 78-2-3, 78-2-4 du Code de procédure pénale, dans leur rédaction issue de la loi du 18 mars 2003.

En l’état, la preuve d’un manquement à la déontologie n’est pas rapportée.

Adopté le 14 mars 2005

Conformément à l’article 7 de la loi du 6 juin 2000, la Commission a adressé cet avis pour information à M. Nicolas Sarkozy, ministre d’État, ministre de l’Intérieur et de l’Aménagement du territoire.

Notes

[1Le rapport est intégralement consultable sur Internet : http://www.cnds.fr/.

[2Il s’agit de la saisine n° 2004-35. L’avis de la commission figure dans le chapitre 1 du rapport, pages 72 à 75.


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