la CNDS dénonce l’utilisation du Taser dans un centre de rétention


article de la rubrique justice - police > police
date de publication : mardi 5 janvier 2010
version imprimable : imprimer


Dans un avis adopté le 14 décembre 2009, la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), instance indépendante de contrôle des forces de l’ordre, dénonce l’utilisation d’un pistolet à impulsion électrique à l’encontre d’un retenu, par un policier qui n’était pas en état de légitime défense. Saisie par deux sénateurs à propos de l’utilisation du Taser X26 au cours de la nuit du 11 au 12 février 2008 à l’intérieur du centre de rétention de Vincennes, la commission demande que des poursuites soient engagées contre les responsables présumés [1].

Le Réseau d’alerte et d’intervention pour les droits de l’homme (RAIDH) réitère sa demande de voir interdire la dotation de Taser à l’ensemble des forces de l’ordre, « à l’exception des seules unités d’élite, dans un cadre strictement défini », et annonce qu’il va saisir le Comité des Nations unies contre la torture.

La police persiste à considérer le Taser comme une arme “à létalité réduite”, alors que son utilisation continue à être fortement contestée dans l’opinion publique. La disparition prochaine de la CNDS et son remplacement par un Défenseur des droits ne permettent malheureusement pas d’espérer que l’utilisation de ce type d’armes par les forces de l’ordre sera mieux contrôlée à l’avenir.


Communiqué de RAIDH

Taser en centre de rétention : Vincennes ou Guantanamo ?

La Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) vient de rendre public un avis caractéristique de l’ensemble des dérives possibles de l’usage du Taser X26 en France. L’institution indépendante - dont la disparition est programmée - dévoile les violations des conditions d’usage du Taser à l’encontre d’une personne retenue au CRA de Vincennes, met à jour les dysfonctionnements de l’arme et s’interroge sur la non coopération de la police des polices. Face à ces violations manifestes des droits de l’Homme, RAIDH saisit le Comité contre la Torture des Nations Unies.

Une décharge de 50 000 volts adressée à une personne accroupie et le dos au mur, ne représentant aucune menace de l’avis même du policier qui en est l’auteur, des coups portés sur une personne ayant perdu connaissance et d’autres personnes retenues, un refus de communiquer des pièces de la part de l’Inspection Générale des Services (police des polices), un dysfonctionnement du système d’enregistrement vidéo des Taser X26, tels sont, parmi d’autres, les éléments observés par la Commission nationale de déontologie de la sécurité dans un avis [2] rendu le 18 décembre dernier faisant le point sur une intervention de la BAC au Centre de rétention administrative de Vincennes dans la nuit du 11 au 12 février 2008.

RAIDH n’a de cesse de rappeler que la dotation généralisée de Taser ne peut qu’engendrer pareils comportements. Cette arme, qualifiée de torture, par les Nations Unies [3], ne peut que contribuer à la multiplication d’usages disproportionnés. En l’espèce, l’arme n’a pas été utilisée en cas de légitime défense, mais comme instrument de punition et de soumission. Comme nous l’indiquions en 2006, dans un rapport qui nous vaut un procès par le distributeur du Taser en France (gagné par RAIDH mais toujours en appel [4]), le dispositif d’enregistrement vidéo censé équiper les Taser s’avère un gadget ne permettant pas de prendre connaissance des circonstances de l’usage de l’arme.

Outre le suivi des recommandations de la CNDS qui demande des poursuites disciplinaires et pénales à l’encontre des auteurs, RAIDH réitère sa demande de voir interdire la dotation de Taser à l’ensemble des unités de police, de gendarmerie, des gardiens de prison, à l’exception des seules unités d’élite dans un cadre strictement défini. RAIDH rappelle également son attachement au maintien et au développement de la Commission nationale de déontologie de la sécurité dont la disparition est programmée au profit d’un « défenseur des droits » dont les attributions généralistes laissent présager de sérieux doutes quant au contrôle indépendant de l’action de la police et des acteurs privés de la sécurité.

En conséquence, RAIDH s’apprête à saisir le Comité contre la torture afin que le gouvernement rende des comptes sur ces pratiques d’un autre âge à l’occasion de l’examen du rapport périodique de la France qui se tiendra du 26 avril au 14 mai 2010. Nul doute que si le gouvernement n’agit pas d’ici là, la France se verra condamnée à l’instar de la Suisse et du Portugal qui avaient équipé leurs policiers de l’arme controversée.

Le Taser, arme controversée

par Dominique Richard, Sud Ouest, 3 janvier 2010


Le rapport publié en 2008 par Amnesty International, faisant état de 351 morts imputables à l’usage du Taser, n’a pas freiné la diffusion de cette arme au sein des forces de l’ordre. Policiers et gendarmes français disposent désormais de près de 5 000 de ces pistolets à impulsion électrique, et ils s’en servent de plus en plus. Utilisé à 10 mètres tout au plus de la cible, le Taser libère des décharges de l’ordre de 50 000 volts qui déclenchent d’intenses contractions musculaires. Le courant est véhiculé par deux électrodes crochetées, conçues pour traverser les vêtements et se ficher dans l’épiderme.

« Écrasement »

« Je n’ai jamais connu une douleur pareille. On ressent un incroyable sentiment d’écrasement. Les poumons se vident. On a l’impression que l’on va passer dans l’au-delà. Mais, au bout de deux minutes, tout redevient normal », raconte un officier d’élite.

Repérable à sa robe jaune, le Taser séduit en premier lieu ses utilisateurs par son côté dissuasif. « Dans 70 % des cas, dès qu’il apparaît, l’agressivité descend », constate Pierre-Antoine Cassard, membre du Centre technique de la sécurité intérieure
 [5].

À une époque où la culture du résultat n’a jamais autant pesé sur les forces de l’ordre, le Taser s’avère un précieux auxiliaire, bien qu’il ait parfois autant d’efficacité qu’un pistolet à eau, par exemple si la personne visée porte un blouson de cuir ou des habits amples, ou si elle est de petite taille.

« Les rares blessures occasionnées chez les délinquants sont consécutives à des chutes, observe le chef d’escadron Alain Pasquier, de l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie. En 2008, ce pistolet a permis un taux d’interpellations de 98 % et a entraîné une baisse de 24 % du nombre de militaires blessés en intervention. »

Utilisation abusive

Aujourd’hui, policiers et gendarmes préfèrent écouter un suspect plutôt que de le filer. De la même façon, le risque est grand de les voir dégainer plus que de raison leur Taser plutôt que de se colleter avec les fauteurs de troubles. « En France, la loi ne définit pas les conditions spécifiques d’utilisation des armes », souligne Jean-Yves Coquillat, le procureur de la République de Clermont-Ferrand. Seule une directive du ministère de l’Intérieur encadre le recours au Taser, en le cantonnant aux cas de légitime défense et d’absolue nécessité.

Sur le terrain, tout en respectant les préconisations qui interdisent de cibler la tête ou des automobilistes au volant, les forces de l’ordre commencent parfois à s’en servir pour maîtriser plus rapidement des récalcitrants ou vaincre une résistance. Ce qui est illégal.

En France, le nombre de gardes à vue a explosé, alors que cette mesure doit être prise, si l’on en croit les circulaires ministérielles, proportionnellement à la gravité de l’infraction. L’usage du Taser n’est pas à l’abri d’un tel emballement. Même si, aujourd’hui, les dangers potentiels de cette arme freinent les ardeurs.

Pour la première fois il y a quelques mois, la société Taser a admis l’existence d’un risque cardiaque, tout en le jugeant « extrêmement faible ». Les études scientifiques publiées à ce jour ont été essentiellement réalisées à partir d’expériences menées sur des cochons. « Certaines d’entre elles montrent de profondes perturbations cardiaques », relève le docteur Éric Voiglio, du CHU de Lyon. « La plupart de celles qui concluent à l’absence de dangerosité sont signées par des gens de chez Taser », renchérit le chercheur bordelais Emmanuel Lagarde.

Risque de mort subite

Faut-il alors prendre pour argent comptant le diagnostic d’Amnesty International ? « C’est de la démagogie, insiste le professeur Paul Fornes, du CHU de Reims. Il n’y a aucune possibilité physique pour que le Taser interagisse sur le coeur », s’enflamme ce spécialiste des pathologies cardio-vasculaires. Pourtant, touché par un tir de Taser, un sujet qui présente des antécédents cardiaques ou des facteurs déstabilisants (stupéfiants, médicaments ou alcool) court un risque de mort subite. « Cela s’explique par le contexte de stress qui accompagne l’intervention des forces de l’ordre. Mais c’est la situation dans laquelle se place l’individu qui est mortelle. Pas le Taser », précise Paul Fornes.

Une affirmation qui n’est pas de nature à éteindre la controverse. En France, celle-ci se nourrit de l’absence totale d’étude indépendante. « Seule la comparaison des données relatives aux accidents et aux incidents, avant et après l’entrée en service du Taser, permettrait de se faire une idée et de savoir si l’évolution du mode d’intervention des forces de police cause moins ou plus de problèmes aujourd’hui qu’hier », souligne le médecin légiste bordelais Alain Miras.

Notes

[1Sur ce sujet, on pourra également consulter l’article de Rue89 :
Taser : des policiers accusés de violences sur des sans-papiers.

[2L’avis de la CNDS : http://www.raidh.org/IMG/pdf/CNDS_v....

[3Référence :
les conclusions et recommandations du rapport du Comité contre la torture du 22 novembre 2007 http://www.raidh.org/Taser-X26-Conc....

[4Voir, sur le site de RAIDH : http://www.raidh.org/Acharnement-ju....

[5Les propos reproduits dans cet article ont été tenus lors du congrès de balistique lésionnelle organisé à Marseille par le chercheur et médecin légiste bordelais Alain Miras.


Suivre la vie du site  RSS 2.0 | le site national de la LDH | SPIP