A la suite d’un article de Var-Matin présentant la liste des communes n’ayant pas satisfait aux objectifs fixés par l’Etat en matière de logement social, le maire de Sanary avait tenu à réagir :
Ferdinand Bernhard (UDF) assure suivre une « démarche réaliste et responsable ». Il conteste le seuil de 20 % de logement social imposé par la loi, ce qui reviendrait, « à créer 1503 logements » soit « 4509 habitants supplémentaires » et impliquerait, poursuit-il, la construction d’infrastructures lourdes [1].
Mais Monsieur le Maire est moins rigide qu’il ne le paraît : il a décidé la mise en chantier de 10 (dix) logements sociaux. Quant aux résidants du Val d’Aran, heureusement que la Fondation Abbé Pierre existe !
En septembre 2007 dix logements sociaux devraient voir le jour à Sanary dont la première pierre a été scellée lundi dernier. En dépit de ce petit effort et d’une seconde opération programmée, la ville est encore bien loin de répondre aux exigences de la loi SRU (Solidarité et renouveau urbain).
Des appartements de « haute qualité », de type villas à un étage, avec jardin ou terrasse, vue sur mer, places de parking, capteurs solaires pour procurer l’eau chaude, le tout érigé à proximité du port et du centre-ville... Lorsque Ferdinand Bernhard se lance dans le logement social, c’est à cela que ça ressemble. Du grand standing à l’image d’une ville où il est devenu quasi impossible de trouver à se loger pour les familles aux revenus modestes.
Lundi soir, l’édile de Sanary a ainsi scellé la première pierre de la résidence « l’Albâtre » - composée de cinq T2 et cinq T3. Le petit ensemble s’élèvera au terme de douze mois de travaux à l’extrémité de la rue Henri Berret. Le chantier devrait débuter dans les semaines
qui viennent.
150 logements sociaux en 17 ans
L’événement est assez rare pour figurer dans les annales. En matière de logement social, Sanary fait en effet figure de mauvaise élève : seuls quelque 150 logements sociaux ont été réalisés sur la commune depuis la première mandature de Ferdinand Bernhard, en 1989. Et avec ces dix nouveaux appartements qui s’ouvriront en octobre 2007, on est encore bien loin des 20% imposés par la loi SRU.
Difficulté d’acquérir du foncier ? Pas seulement, il s’agit d’un choix politique tout à fait délibéré de la part du maire, qui a toujours affiché sa volonté de limiter le plus possible la construction de logements « en général ». Et sociaux, en particulier.
Une détermination réaffirmée lundi dernier par le premier magistrat : « La ville n’a pas envie de faire 1 500 logements », a-t-il martelé ajoutant qu’ « elle n’a pas vocation à créer de nouveaux problèmes à ce qui est déjà ».
Visiblement irrité par les rappels à l’ordre du préfet, Ferdinand Bernhard n’a pas manqué de critiquer l’Etat « donneur de leçons » et qui a « du mal à mettre la main à la poche ». Faisant ainsi allusion à la participation de ce dernier qu’il juge minime : 71 000 euros pour une opération dont le montant prévisionnel s’élève à près de 1 600 000 euros
[2].
La qualité prime sur la capacité
En tout cas, s’il dit « comprendre les difficultés des gens à se loger, particulièrement à Sanary où les loyers sont élevés », le maire n’entend pas aller plus loin pour résoudre le problème. Notamment pour les familles nombreuses qui n’ont pas d’autres solutions que d’aller chercher ailleurs.
Notons qu’un autre projet de logements sociaux - de
plus de 5 millions d’euros - se dessine également avec la réhabilitation d’une cinquantaine d’appartements au Verger. Mais en ne proposant que de petites habitations (T2 et T3), la municipalité privilégie exclusivement la « haute » qualité à la capacité.
Une manière de préserver son petit « paradis » et de rassurer certains riverains nourris de préjugés à l’égard des populations dans le besoin. Et qui constituent la majeure partie de son électorat.
La vie en sursis
Un petit coin salon, deux chambres exiguës, l’une avec un lit superposé et l’autre avec un matelas au sol, un cabinet-toilettes. Le tout dans 24 m2 que Soraya et son mari partagent avec leurs 2 enfants sur le camping du Val d’Aran, à quelques km de Sanary-sur-Mer. En quatre ans, c’est le 5e mobilehome de la famille. A chaque fois, l’espace habitable a été réduit. « Nous payons 350 euros par mois, eau et chauffage compris. On touche le RMI, c’est juste et il faut tenir le mois avec 100 euros. C’est surtout l’essence qui fait mal. On compte 10 euros/jour pour emmener les enfants à l’école. » Les enfants de 6 ans et 9 ans sont scolarisés sur la commune depuis l’arrivée de la famille sur le camping. Il y a 3 ans, les parents ont fait 6 demandes de logement social sur tout le secteur. « Dès qu’on dit qu’on est sur le camping, les portes se ferment. Comme on a un hébergement, on n’est pas prioritaire. »
Pourtant, loger sur un camping à l’année est illégal. « Cette forme d’habitat est un habitat de loisir, avec des surfaces habitables inférieures à la loi qui sont compensées par les infrastructures collectives extérieures (sanitaires...). Le problème c’est que de plus en plus de personnes restent à l’année dans les campings, faute d’autre solution. Jusqu’ici les résidants restaient en moyenne quatre ans sur un camping, mais avec la crise du logement, il faut s’attendre à ce que cette durée s’allonge » note France Poulain, « Il y a un phénomène nouveau : de plus en plus de familles modestes s’installent sur les campings dans l’attente de trouver un logement accessible. Les gérants de camping privilégient les familles qui ont un salaire et du coup, les plus précaires sont obligés de partir. “Ces "nouveaux exclus” des campings finissent sur des terrains plus éloignés des villes et moins confortables. Parfois même dans des bidonvilles...
Retour au Val d’Aran, sur ce camping de 6 hectares qui battait son plein dans les années 80 et affichait 3 étoiles. A l’époque, le gérant, Louis Dossetto, proposait 460 emplacements à ses clients. Propriétaires et locataires se partageaient bungalows et caravanes ; quelque 70 parcelles étaient louées à l’année. « Nous avions des employés, des retraités mais aussi quelques familles en difficulté que les services sociaux nous envoyaient » confirme le gérant. Aujourd’hui, le camping est déclassé et la mairie de Sanary-sur-Mer a obtenu sa fermeture définitive en octobre dernier. Depuis 9 mois, une quarantaine de familles, dont celle de Soraya, vivent illégalement sur place en attendant d’être relogées. Ou expulsées.
Facile d’y entrer. Pas d’en sortir
Un emplacement sans attendre, pas de caution à déposer ou de garant à présenter. De plus en plus de personnes en difficulté de logement trouvent refuge sur les campings "en attendant mieux". Envers du décor, les sanitaires collectifs sont glacés en hiver, la douche est minutée et payante. Quant au chauffage au pétrole, il est contraignant et cher. Jeunes en contrats précaires, adultes en rupture familiale ou au chômage, ils n’ont pas eu d’autre choix.
Ma fille a honte
Alexia a fui la cité strasbourgeoise où elle habitait pour venir au Val d’Aran sur le camping il y a 13 ans. Aujourd’hui, seule avec 2 enfants, elle vit dans un bungalow qu’elle a prolongé d’un auvent pour gagner quelques mètres carrés. « Ma fille de 16 ans en a vraiment marre de cette vie, elle n’invite jamais d’amis chez nous, elle a honte. On nous prend pour des gitans. Je paye ici 380 euros/mois, il me reste tout juste de quoi nous nourrir. Si je trouvais un logement social, je toucherais l’APL (Aide Personnalisée au Logement) et on vivrait bien mieux. J’ai fait 6 demandes dans les communes environnantes. Il n’y a rien pour nous. Je vis dans l’angoisse car je ne sais pas ce qu’on va devenir. »
Comme Soraya, Alexia est suivie par une assistante sociale du Collectif Habitat Varois (CHV), l’association toulonnaise qui travaille depuis 2004 avec les familles les plus en difficulté du camping. Grâce à l’implication de la Fondation via son Agence régionale PACA, une Maitrise d’Oeuvre Urbaine et Sociale (MOUS) a été mise en place en 2005 avec le CHV pour aider au relogement de tous les résidants, avec l’aide de l’Etat et des collectivités locales. Aujourd’hui, seule une dizaine d’entre eux sont relogés. Pour éviter l’expulsion, certaines familles ont tenté de quitter le camping. Elles sont revenues, les loyers du parc privé dans cette région touristique étant inabordables.
Déconnectées du réel
« Au bout de plusieurs années ici, la réalité leur échappe, la vie en milieu urbain les angoisse. Sur le camping, elles vivent en communauté... Nous essayons de trouver des solutions au cas par cas. Mais plus la famille est en difficulté, plus c’est dur » note Florence Rousseau, directrice du CHV.
[1] La réaction de Ferdinand Bernhard a été publiée dans Var-Matin le 25 octobre 2005.
[2] Logements sociaux « l’Albâtre » en quelques chiffres
Acquisition du terrain de 2135 m2 : 350 000 €.
Bail établi pour une durée de 60 ans avec la S.A. HLM Logirem.
Montant prévisionnel de l’opération : 1 580 305 €.
Financement :
Etat : 71 000 €.
Ville : 140 000 € (surcharge foncière) - 192 000 € (équilibre de l’opération).
Département : 90 000 €.
Logirem : 892 000 €.
[3] Fondation Abbé Pierre, N° 52, juillet 2006.]