A la fin des années soixante, le Domaine du Val d’Aran à Sanary (Var) était un camping. Au fil des ans, les mobil-homes ont remplacé les tentes. Maintenant c’est un véritable petit village où résident près de 250 personnes aux revenus modestes, des travailleurs, des retraités, des enfants scolarisés à Sanary ...
C’est leur lieu de résidence ; ils votent à Sanary, paient leurs impôts ... Le domaine a été (administrativement) fermé en 1997 pour "raisons de sécurité". Bien qu’un rapport de contrôle du bureau "Véritas" atteste que ces problèmes de sécurité avaient été résolus dès juin 1998, et que le tribunal administratif de Nice ne se soit pas encore prononcé sur plusieurs recours dont il a été saisi,
le branchement EDF a été coupé en mars 1999 et il n’a pas été rétabli depuis.
Depuis 1999, l’électricité était fournie par un groupe électrogène (à la charge des résidents), mais celui-ci est tombé en panne à la fin 2003. À la suite de ce dernier incident, des habitants du domaine ont décidé le samedi 27 décembre 2003 d’occuper, sans violence, l’église de Sanary.
A la demande de la mairie de Sanary et de l’évêché, le tribunal de grande instance de Toulon leur a ordonné de quitter l’église, au plus tard le samedi 10 janvier, afin de "rétablir l’ordre public". Les occupants ont obtempéré sans violence, après avoir remis les lieux en ordre. [1]
Un comité de soutien s’était constitué autour de la section LDH de Toulon, avec le DAL Marseille, l’A.C.O., l’Entraide protestante, Emmaüs, CLCV, Le Nid, AVISO. Il avait publié un communiqué de soutien à "la lutte des résidents du Val d’Aran, pour que leurs installations électriques soient à nouveau alimentées par EDF".
[2]
En février 2004, l’abbé Pierre leur a apporté son soutien : la Fondation Abbé Pierre a décidé de prendre à sa charge une partie de la fourniture de fioule, de façon à assurer l’approvisionnement jusqu’au printemps. [Var-Matin le 7 février]
En fait, d’après nos informations, le fond du problème serait le suivant : Ferdinand Bernhard, maire de Sanary, voudrait pousser les résidents du Val d’Aran (du moins une partie d’entre eux) à quitter le domaine. Il est déterminé à faire de sa ville une zone de " tourisme de qualité ". Les procédures administratives et judiciaires se succèdent ... Le maire peut jouer sur un problème de POS (Plan d’occupation des sols) : initialement (en 1966) le domaine avait le statut de camping, et le POS de Sanary a été établi, en 1975, sans tenir compte de l’existence de ce "camping". Le tribunal administratif de Nice a été saisi à ce sujet de plusieurs recours dont les résidents attendent les résultats.
Val d’Aran : le maire campe sur ses positions
par Michel Pasquini
[ Var Matin, 8 janvier 2004 ]
Les premiers voeux du maire, hier soir, devant 250 personnalités institutionnelles et protocolaires ont été axés sur l’affaire qui secoue la commune. Le maire a profité de cette première cérémonie pour remettre les choses à plat. Deux cent cinquante personnes ont écouté religieusement le problème du Val d’Aran.
Il fallait un peu s’en douter. Absent de la scène sanaryenne, congés obligent, le maire Ferdinand Bernhard a retrouvé toute sa faconde et sa force de caractère depuis son retour dans la commune. Ainsi," l’affaire " du Val d’Aran ne lui a pas échappé lors de la première cérémonie des voeux.
Devant un parterre de quelque deux cent cinquante personnalités institutionnelles et protocolaires, Ferdinand Bernhard n’a pas changé d’un iota, hier soir, sa façon de penser (et de dire) sur ce camping qui fait couler beaucoup d’encre (et de salive) depuis des années.
Après avoir remis à plat et dans le bon ordre, les différentes étapes de " l’affaire du Val d’Aran ", le maire, plus déterminé que jamais, a résumé la situation en quelques mots : " il ne s’agit pas d’une affaire humanitaire mais de personnes qui ont fait une opération immobilière qui s’élève à prés de 30 millions de francs ". Et d’ajouter : " On veut alors nous faire croire qu’ils n’ont pas assez de sous pour acheter un groupe électrogène. Les responsables ont largement les moyens de mettre en place un tel groupe ".
Et le maire de (re)préciser : " il n’est pas question de céder au chantage ". Quant au côté social, Ferdinand Bernhard a souligné que sa commune pouvait reloger " quatre fois plus de personnes que ceux qui vivent actuellement au camping ".
Poursuivant son discours sur ce sujet, le premier magistrat ajoutait, la voix ferme : " Je n’ai pas du tout apprécié qu’on prenne en otage l’église et les paroissiens. L’église est un lieu de prière qu’on respecte ... Ce n’est pas un acte de courage. Il eut été plus intéressant qu’ils aillent s’enchaîner au commissariat, ou à la préfecture ou sur la voie ferrée ... ". Et de préciser à ceux qui ne l’avaient pas compris : " le maire n’a aucune compétence pour rétablir l’électricité, ni un groupe électrogène ".
Reprochant à deux parlementaires [3] de " s’être égarés ", Ferdinand Bernhard citait ces quelques phrases de l’évangile : " heureux les simples d’esprit, le royaume des cieux leur appartient ". Cette longue entrée en matière achevée, le maire s’est montré peu disert sur 2004, la loi obligeant les conseillers généraux concourant pour un nouveau mandat à ne pas en dire trop. Il n’évoquait aucun projet, ni chantier sur la commune mais a révélé les deux espoirs qui lui tiennent à coeur en 2004 : décrocher la 4ème fleur, afin de devenir la 3ème ville fleurie du département après Hyères et Bormes et donner les moyens aux élèves entrant en sixième " de savoir lire et écrire ".
Cette première cérémonie des voeux s’achevait devant un buffet garni de galettes des rois, arrosée de champagne et de ... jus de fruit.
Michel PASQUINI.
Chaud et froid au coeur de l’hiver à Sanary
par Jeanine Paloulian
[ publié sur le site du Progrès, le 2 janvier 2004 ]
Les habitants d’un camping sont en conflit avec le maire de cette commune du Var, qui veut transformer le site en une zone de tourisme de luxe. Et leur a coupé l’électricité. En riposte, les protestataires occupent une église.
Ils ont passé le réveillon de la Saint-Sylvestre entre les bancs de la nef centrale, avec au menu un couscous apporté par des amis restaurateurs et des gâteaux offerts par le pâtissier voisin. Un peu de baume au coeur de la trentaine de protestataires qui occupent depuis une semaine l’église Saint-Nazaire, à Sanary, dans le Var. Entrés dans l’édifice religieux à la faveur d’un concert de jazz, ils y sont restés. Au chaud. Dans les mobile homes où ils vivent habituellement sans électricité, (elle a été coupée sur ordre de la mairie), le groupe électrogène a rendu l’âme au lendemain de Noël. Alors ils ont investi l’église. Pour y trouver un abri et, surtout, attirer l’attention sur leur situation.
Le domaine du Val d’Aran où vivent, à l’année, 190 familles se trouve au coeur d’un conflit juridique délicat (lire ci-dessous) qui oppose ses habitants à la municipalité dirigée par Ferdinand Bernhard, un divers droite, dont même les proches soulignent l’intransigeance. Mais en plein coeur de l’hiver, c’est le manque d’électricité et de chauffage qui a mis le feu aux poudres.
« Nous ne sommes ni des réfugiés, ni des sans-papiers, ni des clandestins », explique Andréa Alliot l’une des porte-parole du groupe. « Sur nos cartes d’électeurs, l’adresse indique domaine du Val d’Aran. Or c’est précisément là que la mairie a fait couper l’électricité ». Elle interroge : « Pourquoi sommes-nous traités comme des citoyens de seconde zone ? Nous avons lu, il y a quelques jours dans le journal local, que dans le zoo voisin de notre camping on avait installé un chauffage dans les cages de certains animaux exotiques. Nous sommes traités moins bien que les bêtes ». A ses côtés Jean Marc Engels, un ancien habitant de Décines, dans le Rhône, explique « Ça faisait trente ans que nous venions en vacances dans ce camping. En 1978, nous avons acheté une part et la possibilité d’y installer un mobile home où nous vivons désormais à l’année avec nos deux enfants. C’est notre choix de vie, nous nous sommes même endettés pour cela. Au nom de quoi nous refuse-t-on l’électricité alors que nous payons nos factures. Discrètement, au fond de l’église, Fernande Roubaud, 91 ans dans quelques jours, essuie discrètement quelques larmes en s’appuyant sur sa fille Ginette : « Je suis orpheline de guerre. J’avais quelques mois lorsque mon père a été tué dès le début de la Grande guerre. Je ne l’ai jamais connu. Je suis venue au Val d’Aran pour être avec ma fille, car à Marseille je me sentais isolée et j’avais peur. Aujourd’hui il ne me reste plus qu’à mourir. De froid ou de détresse. Une telle méchanceté ! »
Chassés de chez eux par le froid, ils avaient cru trouver refuge dans l’église. Mais au deuxième jour de leur « occupation », « une religieuse est entrée par-derrière et a coupé le chauffage avant de repartir en courant. Mercredi et jeudi nous avons aussi eu des coupures régulières d’électricité, dans l’église », explique Andréa Alliot. Pourtant lors du briefing quotidien, Gilbert Decaro, l’un des animateurs du groupe, insiste sur le comportement respectueux du lieu. Mardi, des funérailles ont pu être célébrées en toute dignité et nul n’a empêché une demi-douzaine de paroissiens de venir réciter le chapelet. Chaque matin, les matelas sont rangés au fond du bâtiment, le sol balayé et les bancs remis en place. L’évêque, en vacances dans sa famille à Saint-Etienne, n’a pas jugé bon de se déplacer. Il a dépêché un vicaire général qui s’est depuis mis aux abonnés absents. La fondation Emmaüs de l’abbé Pierre a fait savoir qu’elle offrait un mois de fuel.
C’est ce matin qu’aura lieu le procès en référé concernant l’occupation de l’église. « Si on nous chasse d’ici nous irons ailleurs » affirment les habitants du Val d’Aran. « Nous ne demandons pas l’aumône, simplement le droit à l’électricité. Comme tout le monde ».
Le droit et la morale
Le conflit juridique qui oppose les habitants du camping - quelque 190 résidents permanents et 270 occupants occasionnels (pendant les vacances ou parfois le week-end pour les plus proches) -, à la municipalité de Sanary, n’est pas nouveau. Les procédures durent depuis de longues années. Depuis que le Plan d’occupation des sols a oublié de faire figurer sur ses documents le camping du Val d’Aran qui existait déjà.
Les usagers de ce lieu qui en sont devenus les actionnaires copropriétaires, se trouvent confrontés aux projets de la mairie qui rêve de faire du site une zone de tourisme de luxe. Projet qui figurait clairement dans le programme électoral du maire.
Une ambition qui n’est pas contestable en soi, mais qui se heurte de front à la résistance de 460 familles modestes. Ces dernières, qui invoquant une antériorité sur les lieux, n’ont pas l’intention de renoncer à la convivialité et à la qualité des relations qu’elles sont parvenues à installer et à préserver collectivement.
En effet, le domaine du Val d’Aran vit comme un véritable petit village des années cinquante. Une famille élargie où parmi les pins, les oliviers et les pamplemoussiers, chacun connaît son voisin et vit la solidarité au quotidien.
Au regard du droit, la municipalité de Sanary et son maire ne sont pas forcément en tort. Mais au regard de la morale humaine, du respect des personnes et de la vie harmonieuse en société, qui sont aussi de la responsabilité d’une équipe municipale, c’est un désastre.
Jeanine Paloulian
[1] Le Père Bertrand, curé de la paroisse, absent au moment des faits, devait déclarer : " Personne ne peut ressentir ce que l’on ressent quand c’est son église. J’ai beaucoup souffert même si je n’étais pas là personnellement ; c’est comme un viol. " Il ne comprend pas les raisons de l’occupation. En revanche, il se félicite des bonnes relations entretenues avec la ville et en particulier le maire. (Var-matin le 14 janvier 2004).
[2] Communiqué de presse du 22 janvier 2004 de la section de Toulon de la LDH
A Sanary, selon que vous serez puissant ou misérable [...]
Au zoo voisin, un chauffage a été installé dans certaines cages. Ne peut-on faire pour des personnes ce que l’on a fait pour des animaux exotiques ? Nous nous adressons, pour des raisons humanitaires, à la préfecture du Var et à la mairie de Sanary, et leur demandons de faire rétablir le branchement EDF du domaine.
Comment comprendre que l’on veuille chasser ces familles d’un lieu de vie convivial, alors que le département du Var souffre d’un manque important de logements, et en particulier de logements sociaux ?
[3] NDLR : Jean-Sébastien Vialatte, maire de Six-Fours et député UMP de la circonscription, et Philippe Vitel, député UMP de Toulon.