La descente de gendarmes et de chiens renifleurs, contraire à toute déontologie médicale, souligne une gestion uniquement administrative de l’établissement.
Cet incident remet en lumière une circulaire récente des ministres de l’intérieur et de la justice dont Médecins du Monde demande le retrait.
[Première mise en ligne, le 29 mars 2006,
dernière mise à jour, le 4 avril 2006.]
Mercredi 22 mars 2006, un groupe de praticiens hospitaliers du C.H.S. de Pierrefeu du Var nous a adressé le texte suivant.
Le lundi 20 mars vers 17 heures une vingtaine de gendarmes assistés de chiens ont pénétré dans l’enceinte du Centre hospitalier spécialisé Henri Guérin de Pierrefeu du Var.
Dans plusieurs pavillons d’hospitalisation, les malades ont été isolés dans une pièce, adossés au mur, reniflés au corps par des chiens, et fouillés.
L’identité de certains d’entre eux fut demandée au personnel.
Cette opération semble avoir été motivée par une recherche de substance illicite [1].
Deux membres de la direction hospitalière étaient présents sur les lieux, le directeur de l’hôpital et le directeur des soins, mais les médecins-chefs de service n’ont pas été prévenus.
Ce genre de procédure ayant eu peu de précédent en France, les médecins de cet hôpital ont adressé un courrier au directeur avec copie à la DDASS, et doivent se réunir à ce sujet en collège médical extraordinaire le 28 mars prochain.
Un établissement bouleversé
Dès le lundi 27 mars, la section locale du Syndicat santé sociaux du Var (CFDT) a distribué une lettre ouverte adressée à Monsieur Bartel, directeur du C.H.S..
Après lui avoir reproché sa « gestion uniquement comptable des ressources humaines de notre établissement qui [...] n’est pas une usine à gaz mais un hôpital à vocation psychiatrique », la lettre poursuit en mettant en cause l’opération gendarmes et chiens renifleurs du lundi 20 mars dernier : « Comme si tout ceci ne suffisait pas, vous vous en êtes pris ce lundi au professionnalisme et à la crédibilité des soignants médicaux et paramédicaux en diligentant sans aucune concertation une fouille de gendarmerie dans les unités de psychiatrie active. »
Le syndicat conclut sa lettre ouverte : « nous attendons le jour où vous prendrez la décision de quitter notre établissement, en espérant qu’il aura su résister à votre passage. »
Colère des médecins
Le matin du 28 mars 2006, un peu plus d’une vingtaine d’entre eux se sont réunis en Collège médical [2]. Ils ont décidé à l’unanimité :
• d’adresser au directeur une pétition qu’ils rendront publique et dont voici la substance [3] :
L’intervention le 20/03/06 de gendarmes avec chiens et maitre chiens dans les pavillons de soins [4], et dans les chambres des patients, avec des patients reniflés au corps, constitue une mesure d’une exceptionnelle gravité dont les effets sur les patients interpelle notre responsabilité et notre éthique de soignants.
L’ensemble des médecins réunis en collège médical, à commencer par les psychiatres et chefs de Service, s’indignent de n’avoir été ni consultés, ni prévenus.
Ils dénoncent le caractère inadapté et contraire à toute éthique médicale de ce type d’intervention.• d’adresser dès que possible une demande d’audience au Préfet afin d’obtenir des explications [5].
Puis, au cours de la même matinée du 28 mars, la Commission médicale d’Etablissement (instance représentative officielle) s’est réunie en séance extraordinaire, en présence d’un médecin inspecteur de la D.D.A.S.S. et du directeur du C.H.S..
Ce dernier a confirmé l’absence de toute commission rogatoire émanant d’un juge d’instruction. Il a reconnu avoir été à l’origine de cette intervention, motivée selon lui par des "rumeurs" d’addiction dans l’établissement et sur le fait qu’il y aurait sur le bureau du procureur un dossier impliquant une patiente mineure [6].
Il reconnaît néanmoins que les limites entre espaces intimes (les chambres) et les locaux collectifs n’ont peut-être pas été "assez respectés".
Les médecins sont inquiets du positionnement de la direction : ils déplorent la confusion entre problèmes de sécurité du personnel et des patients dans un hôpital d’une part, et consommation occasionnelle de produit illicite par certains patients. Les aspects pathologiques et thérapeutiques sont totalemment occultés derrière une appréhension purement répressive, compromettant ainsi les soins de ces patients.
Ce type d’intervention, effectuée sans aucune concertation avec les médecins parait d’ailleurs éminemment dangereuse.
D’un point de vue plus général
Ces événements de Pierrefeu mettent en évidence plusieurs points importants.
• Ils s’inscrivent en porte à faux par rapport au Plan de santé mentale et au Schéma d’organisation de la santé (SROS) proposés par le Ministre de la santé. Ceux-ci visent à renforcer le droit des patients et à accorder une place grandissante aux familles des usagers. Ils visent également, conformément aux recommandations du Conseil de l’Europe [7] à renforcer les droits de l’Homme et de la dignité des personnes atteintes de troubles mentaux. Une des recommandations souligne l’importance de l’environnement et des conditions de vie dans les établissements de santé accueillant des malades mentaux.
Une fois de plus, il apparaît que la pratique a peu à voir avec les déclarations.• Ils révèlent aussi un manque de connaissance et de réflexion. En effet, apporter une solution simple et autoritaire (police et fouille) à un problème complexe (l’existence éventuelle de drogues dans un hôpital qui a pour mission de prendre en charge, entre autres patients, des toxicomanes) est contraire à toutes les théories psychologiques, sociales et politiques développées depuis quelques années.
En effet, résoudre un problème complexe nécessite la concertation de l’ensemble des acteurs et de différents experts, et l’élaboration progressive d’un projet à mettre en oeuvre. Ce projet n’est pas un programme, c’est à dire une séquence d’actions prédéterminées qui doivent fonctionner dans toutes les circonstances, mais une stratégie souple, susceptible de se modifier en cours de route en fonction de nouvelles évolutions et interactions.
Il est évident que ce qui a été fait à Pierrefeu n’entre pas dans ce cadre.• Justifiés au nom du "principe de précaution" - ou "principe de l’ouverture du parapluie" - ils éclairent de façon inquiétante les dérives de notre société, où il est possible de se réfugier derrière une institution, une administration ou une loi, pour entreprendre une action contraire à toutes les traditions hospitalières et à tous les principes d’humanisme.
Une circulaire contraire à la déontologie médicale
Dans ce contexte, Médecins du monde (MDM) vient de lancer une pétition pour demander le retrait de la circulaire du 21 février 2006. Cette circulaire des ministres de l’intérieur et de la justice, adressée aux préfets et procureurs, explique « les modalités d’interpellation des personnes sans titre de séjour ». Elle « mentionne les lieux où peuvent être effectuées les interpellations : les hôpitaux, les blocs opératoires, les centres d’accueil pour toxicomanes, ou encore les salles d’attente et halls d’accueil, les sièges d’associations, les foyers et centres d’hébergement » [8].
Cette circulaire remet en cause les principes fondateurs de la déontologie médicale.
Pour signer la pétition de Médecins du Monde :
http://www.medecinsdumonde.org/mobi....
Les informations précédentes sont confirmées par un article d’Eric Favereau dans Libération du 29 mars 2006, ainsi que par La Marseillaise (édition du Var), du 30 mars - dont nous avons repris de larges extraits en note.
Dernière nouvelle : le 4 avril, le ministre de la santé demande un rapport au sujet de l’intervention de la gendarmerie à l’hôpital de Pierrefeu.
[1] Résultat de la fouille, d’après un psychiatre : « Quelques mégots de cigarettes, mais rien d’autre ».
[2] Le Collège médical est une instance dépourvue de toute existence officielle qui regroupe tous les médecins de l’établissement.
[3] Le collège médical s’est indigné dans un courrier au directeur de l’établissement Michel Bartel de « n’avoir été ni consultés, ni prévenus ». « L’intervention [...] dans des chambres, avec des patients reniflés au corps, constitue une mesure d’exception dont la gravité des effets sur les patients interpelle notre responsabilité et notre éthique de soignants », écrit cette équipe dont le courrier a été transmis à la direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS) du Var. (La Marseillaise - édition du Var - du 30 mars 2006)
[4] Notamment "l’Odyssée", "les Arbousiers", "le Calypso" et "l’Olivier".
[5] « En tant que médecins, soucieux du respect de nos patients, nous ne pouvons cautionner de telles pratiques, visant une population ainsi ciblée, tant sur la forme que sur le fond, ceci renvoyant à des images d’autres lieux en d’autres temps », ont-ils écrit dans un courrier adressé au préfet du Var Pierre Dartout. (La Marseillaise - édition du Var - du 30 mars 2006)
[6] Le directeur a déclaré à Libération : « Dans ce genre d’opération, il faut de la discrétion, et j’avais prévenu la présidente de la CME. »
D’après La Marseillaise du 30 mars, le directeur de l’établissement a assuré avoir agi par « devoir de protection vis-à-vis des patients ». « Nous avons des patients toxico¬manes, mais aussi une cohorte importante de patients qui n’ont pas fait ce choix et se trouvent au contact de ces produits » a-t-il déclaré à l’AFP, demandant que « la question de la circulation des stupéfiants soit clarifiée ».
[7] Recommandation adoptée le 22 septembre 2004.
[8] Lire : article 1272.