L’opération chiens-renifleurs à l’Hôpital de Pierrefeu continue à faire des vagues.
[Première publication le 28 mai 2006,
mise à jour le 31 mai 2006.]
Rappel des faits
Le lundi 20 mars vers 17 heures, une vingtaine de gendarmes assistés de chiens ont pénétré dans l’enceinte du Centre hospitalier spécialisé Henri Guérin de Pierrefeu-du-Var.
Dans plusieurs pavillons d’hospitalisation, les malades ont été isolés dans une pièce, adossés au mur, reniflés au corps par des chiens, et fouillés.
L’identité de certains d’entre eux fut demandée au personnel.
Cette opération semble avoir été motivée par une recherche de substance illicite basée sur des rumeurs [1].
L’événement a soulevé beaucoup d’émotion dans l’ensemble du personnel du CHS. Dès le 28 mars, les psychiatres et médecins-chefs de service se sont réunis et ont adressé au directeur une lettre dans laquelle ils dénonçaient « une mesure d’une exceptionnelle gravité dont les effets sur les patients interpelle [leur] responsabilité et [leur] éthique de soignants ».
Peu après, l’ensemble des médecins du CHS a décidé à l’unanimité d’adresser une demande d’audience au Préfet afin d’obtenir des explications, avec copies, entre autres, au Conseil national de l’Ordre des médecins, ainsi qu’aux Ministres de la Santé et de l’Intérieur. Les médecins attendent toujours une réponse à leur demande d’audience auprès du Préfet.
Ordre national des médecins
Le professeur Jacques Roland, président du Conseil national de l’Ordre, partage le sentiment et les craintes des médecins du CHS de Pierrefeu :
Le Ministre de la Santé
Le 4 avril, une dépêche de l’agence APM nous apprenait que Xavier Bertrand avait demandé un rapport à l’Agence régionale de l’hospitalisation (ARH) Provence-Alpes-Côte d’Azur sur les conditions d’intervention de la gendarmerie au centre hospitalier Henri Guérin de Pierrefeu-du-Var.
L’enquête aurait parait-il eu lieu, mais aucun médecin du CHS ne semble avoir été entendu. Qu’en est-il des conclusions ?
Le Ministre de l’Intérieur
Voici la réponse que le chef adjoint de cabinet du ministre, Samuel Fringant, a faite à la demande des médecins :
Cette lettre ne répond d’aucune façon à l’inquiétude des médecins et ne fait au contraire que la renforcer. En revanche elle soulève de nombreuses questions sur les procédures concernant les deux patients :
Une situation inédite et grave
Cette situation ne semble pas avoir de précédent en France et elle touche à une question fondamentale dans le domaine des libertés et de l’éthique médicale.
En effet, on assiste là à la négation de ce qui fonde depuis 2500 ans la relation médecin-patient : le respect du patient et le devoir de « secret médical » qui s’impose (sauf dérogation spécifiée dans le Code pénal) pour que la confiance puisse s’établir entre le patient et son soignant [3]. En effet cette opération de gendarmerie s’est soldée par la demande au personnel de l’identité de certains patients, au simple prétexte qu’ils avaient été un peu plus reniflés que d’autres par les chiens.
Un signe inquiétant
Cette opération, toujours assumée par la direction de l’établissement, et non désavouée par les pouvoirs publics, marque un tournant dans la politique de lutte contre la toxicomanie. La prise en charge thérapeutique s’efface devant un traitement répressif, en violation de la loi du 31 décembre 1970 qui garantit, entre autre, l’anonymat des soins.
Cette opération souligne aussi la prévalence du pouvoir administratif face aux soins. Le ministère de la Santé passe en quelque sorte sous la coupe de celui de l’Intérieur.
Faut-il y voir les prémices de ce que nous promet le projet de loi de prévention de la délinquance [4] ?
Dans un article intitulé Les gendarmes à l’hôpital inquiètent le monde médical, paru mercredi 31 mai, le journal La Marseillaise confirme ce qui précède et donne quelques précisions.
S’il considère que « la loi ne doit pas s’arrêter aux
portes de l’hôpital » et qu’il refuse de « jeter systématiquement la pierre au directeur », Guy Laher, membre du conseil d’administration et représentant des infirmiers (FO), déclare néanmoins que la manière de procéder n’était pas adaptée et que les médecins auraient dû être prévenus de cette intervention.
Le conseiller régional Joël-Canapa concède également - que « le directeur est légalement responsable de la sécurité de son établissement ». Or, selon lui, « il a choisi la
pire des solutions et aurait très certainement pu agir autrement. »
Au-delà de l’attitude du directeur, Joël Canapa et Michel Vauzelle, président de la région PACA, venus rencontrer lundi les personnels du CHS, ont dénoncé « le décret Sarkozy qui autorise les policiers à entrer dans un établissement de soins et à se comporter comme ils l’ont fait. Ce n’est pas normal. On imagine mal que les forces de l’ordre agissent de la sorte dans un hôpital général ».
La CGT juge pour sa part l’affaire « lamentable ». Ainsi, pour Jean-Louis Boissonnade, secrétaire général CGT du centre hospitalier Toulon-La Seyne, « non seulement la façon dont cela s’est produit est inadmissible et indigne d’un directeur, mais en plus elle entame durablement le degré de confiance entre le patient et le soignant qui, en psychiatrie, est particulièrement long à instaurer ».
[2] Dans quelles conditions ces éventuels aveux ont-ils été obtenus ?
[3] Extrait du serment d’Hippocrate, que tout médecin a prononcé : « au moment d’être admis(e) à exercer la médecine, je promets et je jure d’être fidèle aux lois de l’honneur et de la probité. [...] Admis(e) dans l’intimité des personne, je tairai les secrets qui me seront confiés. [...] »