PromoSoins/Siloé : psychiatrie et exclusion


article de la rubrique droits sociaux > santé
date de publication : mercredi 14 février 2007
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Au moment où Nicolas Sarkozy retire le volet santé mentale de son projet de loi de prévention de la délinquance, il intéressant de réfléchir à la place de la psychiatrie dans notre société, à partir d’une expérience originale qui se développe depuis une dizaine d’années à Toulon.

Martine Timsit-Berthier, médecin psychiatre bénévole à Siloé, nous donne ici un aperçu de la complexité d’une situation où interfèrent des facteurs de différents ordres : médical, social, juridique ...


Bref historique

PromoSoins est une association créée, il y a une dizaine d’années par un groupe de médecins réunis autour du Docteur Beauchamp.
Elle a pour objectif de dispenser des soins médicaux aux personnes en
situation précaire qui ne bénéficient ni de la Sécurité Sociale, ni de la
Couverture Médicale Universelle (CMU). Cet objectif est sous-tendu par l’idée que l’accès aux soins est une condition indispensable à la dignité humaine et à la réinsertion sociale

PromoSoins pratique ses activités dans des locaux appartenant à
l’Evêché et à l’Union Diaconale du Var (UDV) avec l’aide de bénévoles (le
corps médical et les personnes de l’accueil) et des salariés (Directeur,
secrétariat, assistantes sociales psychologue et personnel d’entretien).

Après quelques années de pratique, le docteur Beauchamp a pris
conscience de l’intensité de la souffrance psychique de cette population
précaire et de la fréquence des troubles psychiatriques et il a décidé d’ouvrir, dans le cadre de PromoSoins, une antenne en collaboration avec l’hôpital. C’est ainsi qu’a été fondée « l’Interface psychiatrique Siloé ». L’hôpital s’est engagé à financer les temps des infirmiers et du médecin alors que l’association finance les temps d’Assistante sociale et de psychologue. Une telle convention est très originale et Siloé est la seule structure relevant d’un tel statut en France.

D’après cette convention, l’objectif général de Siloé est de permettre la
prise en charge de la souffrance psychique liée à la précarité et à l’exclusion. Ses objectifs opérationnels consistent :

  • À créer un lien avec les personnes en souffrance psychique et à
    entretenir une relation de confiance.
  • À développer une dynamique relationnelle entre les lieux spécialisés de psychiatrie et les lieux de précarité.

Lorsque j’ai été contactée pour participer comme psychiatre aux activités
de Siloé, en 1999, il y avait un infirmier qui y travaillait à mi-temps, une
assistante sociale et une psychologue. La psychiatre, nommée par l’hôpital, devait arriver quelques mois après le début des activités de cette structure. Je me souviens que lors des premières réunions du Comité de pilotage auxquelles prenaient part les représentants de la DDAS, de la CPAM, de l’hôpital et de l’association, une représentante de la DDAS avait laissé entendre que Siloé était une structure transitoire dont les activités ne manqueraient pas d’être reprises entièrement par l’hôpital.

Quand je suis revenue en septembre 2005, du fait de l’absence de
psychiatre, il y avait trois infirmiers financés par l’hôpital qui y travaillaient à plein-temps et, depuis quelques mois, un quatrième poste d’infirmier plein-temps est pourvu. Il s’agit donc, maintenant, d’une structure importante, avec psychologue, assistante sociale, quatre infirmiers et en théorie, un poste de psychiatre à mi-temps, poste qui n’est donc pas pourvu du fait du manque de psychiatre dans les hôpitaux publics.

Certes, on peut se féliciter d’un pareil développement. Mais, on peut
aussi s’interroger. Que veut dire, en effet, un pareil investissement en moyen psychiatrique, pour des personnes en situation précaire ? Est-ce une marque de sollicitude, une reconnaissance du droit à l’expression de la souffrance pour cette population ? Est-ce une acceptation cynique du fait que la place d’un certain nombre de malades mentaux est dans la rue ? Est-ce une preuve de plus de l’incohérence de l’organisation de la santé publique en France, pratiquée à coups de décrets pris au sommet de l’Etat sans grande concertation avec les acteurs de terrain ?

Et, comment a t-on pu en arriver là alors que la France possède une des
organisations de la psychiatrie la mieux développée du monde, la psychiatrie de secteur ?

Réflexions

Il faut bien reconnaître, tout d’abord que les notions de folie, de maladie
mentale, de handicap psychique, et les problèmes soulevés par leur prise en charge sont extrêmement complexes et entraînent souvent des positions idéologiques ne tenant guère compte de l’histoire de la psychiatrie en France et de la réalité du terrain.

L’idée de la psychiatrie de secteur s‘est développée en France dans la
société de l’après-guerre, tournée vers l’avenir et le progrès et elle a été
officialisée par une circulaire en 1960. Son but était de mettre fin à
l’enfermement des malades mentaux dans les structures asilaires, à humaniser leur traitement et surtout à mettre les soignants de la psychiatrie « au service de la population générale », en leur demandant de quitter les murs de l’hôpital et de se déployer dans la cité au coeur d’un réseau diversifié de lieux d’accueil. Cette idée généreuse visait à enlever à l’hôpital son hégémonie pour l’intégrer dans un ensemble extrahospitalier assurant la prévention et la post-cure des personnes présentant des troubles psychiques.

Plus récemment, la politique de la santé mentale a connu un
développement important sur les plans juridiques et sociaux avec la
reconnaissance des Droits des patients (loi du 4 mars 2002), la déclaration de Madrid (mars 2002) et la loi du 11 février 2005 qui reconnaît l’égalité des droits et de la citoyenneté des personnes en situation de handicap, physique, mental ou psychique.

Mais une telle politique, centrée sur les usagers, exigerait, pour être
menée à bien, une nouvelle représentation de la « folie » et une plus grande tolérance envers les personnes qui ne se conforment pas aux normes de notre société. ( Obéissance aux lois, efficacité, rentabilité, compétition, consommation). Elle demanderait aussi un travail de réflexion collective sur les contradictions qui peuvent exister entre les exigences de la société et le respect de la personne humaine.

Or, il existe plusieurs paradoxes :

- Tout d’abord, la politique de fermeture des lits asilaires n’a pu être
concrétisée, on oublie trop souvent de le dire, que grâce à la découverte des médicaments psychotropes (découverte du Largactil en 1952, du Tofranil en 1957 et du Valium en 1958). Et le développement de la psychopharmacologie a placé, de nouveau, l’hôpital au centre du dispositif de santé. Elle a aussi donné une influence importante aux firmes pharmaceutiques qui financent les recherches et la publication des revues spécialisées.

- Mais, ce recentrage sur l’hôpital est en contradiction avec ses objectifs
économiques et ses performances techniques. Comme le dit si bien Didier
Sicard, la mission de l’hôpital est essentiellement « de répondre à l’inquiétude existentielle aiguë ou chronique des citoyens par la mise en jeu rituelle d’instruments, d’images et de chiffres. L’absence de réponse technique suscite le rejet… L’acmé de cette situation est celle du malade psychiatrique en situation précaire » (L’alibi éthique).

- Enfin, la politique sanitaire à visée humaniste est en contradiction avec
les tendances sécuritaires qui se développent actuellement dans notre société et qui font que

  1. On met de plus en plus les malades psychiatriques en prison.
  2. Il y a de plus en plus de placements d’Office dans les hôpitaux.
  3. Dans ces hôpitaux, on utilise de plus en plus des moyens de contention car, depuis 1994, il n’existe plus de formation spécifique d’infirmiers psychiatriques et les jeunes infirmiers, non formés et surchargés de travail sont vite dépassés par les évènements.
  4. Après les évènements de Pau, très médiatisés, on engage des vigiles plutôt que des infirmiers alors que toutes les statistiques montrent qu’il n’y a pas plus de meurtres et d’assassinats dans la population psychiatrique que dans la population normale.

C’est devant toutes ces contradictions que la section de la région PACA
de la société de psychothérapie institutionnelle (la Croix Marine) qui a la charge d’organiser le colloque de 2008 a choisi comme thème : « Santé mentale et Psychiatrie : le Défi de la Liberté ». Et elle souligne le paradoxe qui existe entre ce qu’on affirme haut et fort au niveau de la loi, et la réalité des prises en charges des patients.

Il nous semble que ces problèmes ne sont pas seulement ceux des
spécialistes. Ils devraient intéresser la société tout entière car la manière dont une société se préoccupe des plus vulnérables traduit à la fois les valeurs qui la fondent et sa façon de les mettre en pratique.

Martine Timsit-Berthier

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