Fahima à la Maison du Combattant.
Une histoire toulonnaise.
Dernière mise à jour : le 1-er mars 2005.
L’histoire commence avec une brève publiée, le 6 février dernier, dans le quotidien local Var-Matin. Sous le titre "L’Histoire de Toulon pour les adolescents", on pouvait lire que deux associations toulonnaises ont « décidé de participer, avec un groupe d’adolescents, à un travail de mémoire sur la libération de Toulon par les troupes coloniales. Ils se retrouveront mercredi 9 février à 14h30, à la maison du Combattant, pour un débat. Ils pourront rencontrer des anciens combattants et notamment le responsable, Jean Lipiarski. »
Apprenant cela, Fahima Laïdoudi, mère de famille toulonnaise dont plusieurs enfants seraient en âge de participer à cette rencontre, décide de prendre connaissance personnellement du projet. Fahima est particulièrement sensibilisée au thème retenu : elle a apporté une aide importante à l’exposition "Nos libérateurs" au cours de l’hiver 2003-2004 ; elle a poursuivi depuis lors avec l’exposition de la LDH "Abd el-Kader à Toulon".
Mercredi 9 février après-midi, Fahima se présente donc à la maison du Combattant. Là, vous le constaterez plus loin, les choses ne se sont pas déroulées tout à fait comme il avait été annoncé.
Mais quelle n’est pas la surprise de Fahima quand elle lit dans Var-Matin du vendredi 11 février une toute autre version du déroulement de l’après-midi de mercredi [1].
Fahima décide alors d’adresser son témoignage au Chef d’agence de Var-Matin. Le 16 février elle lui envoie donc le texte que vous trouverez ci-dessous, en précisant :
« Une fois de plus, l’histoire de la guerre d’Algérie a été présentée à des jeunes d’une façon tout à fait partisane. Comme de nombreux Toulonnais, je suis excédée de constater que notre ville reste en quelque sorte prisonnière de nostalgiques d’une certaine "Algérie française". »
Voici le témoignage de Fahima :
Toulon, le 14 février 2005
Informée par la presse, je me suis rendue à un débat organisé à la Maison du combattant de Toulon, le mercredi 9 février 2005 à 14h30. Var-Matin annonçait une rencontre entre un groupe d’adolescents du quartier de la Serinette et des anciens combattants pour un travail de mémoire sur la libération de Toulon par les troupes coloniales en 1944. Avant d’entrer, j’avais pris soin de m’assurer que la rencontre était publique
Les jeunes sont arrivés dans un J9. Après la photo pour Var-Matin, le responsable de la maison, Monsieur Lipiarski, a accueilli les jeunes sur un ton militaire ; il nous a successivement présenté la Maison du combattant, un ancien résistant FFI du Revest puis un ancien responsable de Harkis. La présentation était agrémentée de digressions et de comparaisons avec son vécu comme parachutiste, au cours de la guerre d’Algérie. Il parlait des Algériens comme des « rebelles », « l’ennemi ». Sa présentation était tout à fait partiale : « les coloniaux se sont engagés car ils avaient la mentalité française », « l’Algérie, c’était la France » ... L’objet de la réunion était bien loin. Il devait déclarer de façon autoritaire « maintenant, je voudrais que nous parlions d’une guerre plus proche, dans laquelle j’ai servi la France pendant 5 ans - cette guerre fait l’actualité d’aujourd’hui, et mon ami qui se bat pour faire reconnaître l’histoire des Harkis va vous expliquer ce qu’est un Harki. En 1954, il y a eu une insurrection - savez vous ce que c’est une insurrection ? » ... « c’est lorsque le peuple n’est pas content et se rebelle. A ce moment-là, le FLN se mit à recruter et l’armée française aussi » ...
Je ne pouvais pas en supporter davantage. Je l’ai interrompu : « excusez-moi, je me permets de vous interrompre, par respect pour le jeune âge de ces ados. L’objectif de la rencontre est de faire prendre conscience à ces jeunes, issus de l’immigration et dont les parents sont originaires des colonies, que leurs parents ont contribué à la libération de leur ville, et qu’ils peuvent prétendre au mêmes droits que les autres dans le domaine de la citoyenneté ; s’ils ne sont pas français par le sang reçu, ils le sont par le sang versé de leurs aïeuls, car nombre d’entre eux ont donné leur vie pour libérer la France du nazisme. Ce projet peut contribuer à lutter contre les communautarismes, en permettant une meilleure intégration citoyenne. Il faut que ces jeunes soient mieux préparés que nous - notre génération a subi le racisme qui a dévasté une partie de nos vies et réduit nos chances dans le monde du travail ... Pour cela ils ont besoin d’argumentaires pour lutter contre le racisme. L’histoire de l’Algérie ne peut être évoquée de façon aussi simpliste. Certains de ceux qui ont participé à la libération de la France y ont été forcés, ils n’ont pas eu le choix ; les engagés, eux, l’ont fait pour pouvoir nourrir leurs familles. Dire que les Harkis ont fait un choix idéologique est également faux : la plupart d’entre eux n’ont pas été libres de leur « choix » - ce sont des victimes de la guerre d’Algérie, ils restent pour moi des frères ... C’est une franco-algérienne qui vous parle ... Vive la France et vive l’Algérie ! Chirac et Bouteflika ont signé une charte de l’amitié en 2003 ; aujourd’hui des historiens des deux rives, écrivent l’histoire commune, laissons-les faire. Pour débattre de la guerre d’Algérie, donnons-nous rendez-vous entre adultes - je répondrai présent. Mais aujourd’hui respectons le travail de ces ados, qu’il se fasse dans la paix ... »
Les jeunes ont applaudi, à l’unisson, et avec force ... certains se sont retournés vers moi pour me remercier.
Un animateur a tendu un poème de Léopold Sedar Senghor à l’ancien résistant FFI ; il s’est fait un plaisir de le lire, en disant que c’était une bonne façon de conclure cette rencontre. Il a été applaudi à son tour.Mais M. Lipiarski en avait décidé autrement ; il a repris la parole : « je vous ai accueillie, ici, dans la maison, du patriote ... dîtes-moi, Madame, qui a mis en place cette maison ? » ...
« Je n’en sais rien ». « C’est George Clemenceau ; j’en suis le responsable, c’est un lieu privé, et j’accueille ici qui je veux. Je pensais que cette femme faisait partie du groupe ; mais elle s’est imposée en prenant la parole ... Je ne connais pas ses opinions politiques et je ne veux pas les connaître ! Madame je suis ici, chez moi, et c’est moi qui décide qui a le droit d’entrer et qui ne l’a pas ; vous n’êtes pas la bienvenue dans la maison de la patrie. J’aborde les sujets qui me plaisent et comme je le souhaite ! Madame, veuillez quitter cette maison ! »Je lui ai répondu, que j’étais aussi chez moi car ce lieu fonctionne avec de l’argent public. Mais voyant le regard embarrassé des ados, j’ai quitté la salle en lançant un Vive l’ Algérie ! assorti d’un youyou apprécié des ados qui en ont redemandé. Je suis revenue pour lui dire que nous n’avions certainement pas les mêmes idées, les miennes étant à l’opposé de celles du Front national ; le responsable des Harkis s’est alors levé pour me courir après ... je suis aussitôt sortie pour lui éviter le ridicule, car il reste mon frère ...
A peine dehors, des jeunes de 15-16 ans m’appellent pour me dire qu’ils sont d’accord avec moi et que, par solidarité, ils ont quitté la pièce. Je leur ai dit qu’ils venaient de prendre position - et que c’est cela qui fait la différence entre les individus, que ce soit aujourd’hui ou dans le passé. Ils m’ont harcelée de questions (pourquoi, à Toulon, y a-t-il autant de racisme ? y avait-il un lien avec la guerre d’Algérie ? ...) J’ai essayé d’être le plus juste possible, leur expliquant que depuis l’arrivée des pieds-noirs, en 1962 , Toulon est en quelque sorte l’otage des séquelles de la guerre d’ Algérie (avec pour preuve la plaque qui se trouve en face, de l’autre côté de la place, plaque dédiée à un ancien membre de l’OAS [2]). Les questions n’en finissaient pas ; les autres jeunes nous ont rejoints - ils avaient voulu quitter la pièce mais en avaient été empêchés par leur animateur.
C’est alors que M. Lipiarski s’est approché de nous en hurlant « circulez !!! ... » Voyant l’embarras des animateurs, j’ai préféré m’en aller - car j’aurais pu lui répondre que j’étais dans un lieu public et que j’avais le droit de circuler librement !
Bref, comment se fait-il que le responsable de l’association ne soit pas intervenu ? par respect du travail de préparation ? Mais n’est-il pas censé assurer la sécurité morale et physique des mineurs qui lui sont confiés ?
J’ai pu observer qu’à son arrivée, il tutoyait M. Lipiarski, que ce dernier leur disait que, la veille, ils étaient avec M. Falco et l’ambassadeur, que c’était bon ... Cela ressemble à du clientélisme.
Mais comment peut-on confier des ados à ce genre de personne, qui se fait plaisir en racontant une guerre dont il est fier, quand on sait comment cette guerre s’est déroulée - je me demande de quoi il est fier ? des viols ? des tortures ? en tous cas il ne fait pas partie des courageux soldats français qui ont dénoncé les crimes commis en Algérie, ni de ceux qui ont préféré démissionner plutôt que de la cautionner, comme le général de Bollardière, qui a demandé en mars 1957 à être relevé de son commandement, pour ne pas cautionner la torture et le crime d’État.
L’ambiance, de Toulon est depuis trop longtemps gâchée par ce genre de personnage. Sachons réagir pour que nos enfants ne subissent plus ce type de situation. Ils méritent un autre Toulon !
Fahima Laïdoudi
Finalement, Fahima, accompagnée d’un membre de la section toulonnaise de la LDH, a été reçue par la rédaction de Var-Matin le 23 février. Et, le 26 février, le journal publiait un article intitulé "Le malentendu" où il donnait la parole à Fahima.
[1] Nous avons appris depuis que la jeune journaliste avait quitté la maison du Combattant avant les "incidents".
[2] Il s’agit du monument toulonnais aux Martyrs de l’Algérie française qui, à l’origine, était à l’effigie de Roger Degueldre, chef des commandos delta de l’OAS.