les mineurs pris dans la folie du fichage, par Côme Jacqmin


article de la rubrique Big Brother > le fichage des jeunes
date de publication : dimanche 22 avril 2007
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La folie des fichiers n’a pas épargné les mineurs. Ils seront de ce point de vue en première ligne lors de l’entrée en vigueur de la prochaine loi sur la prévention de la délinquance qui prévoit notamment l’échange des fichiers entre l’Education nationale et les municipalités pour contrôler le respect de l’obligation de scolarisation.

Un article de Côme Jacqmin, juge des enfants à Nice
paru dans Justice n° 190, avril 2007
bulletin du Syndicat de la Magistrature [1]

S’agissant des fichiers de police, les mineurs sont fichés comme les majeurs, notamment dans le FAED (fichier des empreintes digitales), dans le STIC (système de traitement des infractions constatées), le FIJAIS (fichier des auteurs d’infractions sexuelles), ou le FNAEG (fichier national automatisé des empreintes génétiques). A ceci s’ajoute, arrivé au palais de justice, l’enregistrement dans le fichier du bureau d’ordre puis dans celui du tribunal pour enfants, pour échouer au casier judiciaire...

Des fichiers judiciaires pas plus protecteurs que les fichiers de police

Les fichiers judiciaires ne donnent pas particulièrement l’exemple d’une protection spécifique des mineurs contre l’inévitable érosion du droit à l’oubli qu’engendre cette prolifération. Le fichier du bureau d’ordre et celui du tribunal pour enfants, traditionnellement jamais contrôlés ni apurés, sont sans doute ceux qui prennent le moins en compte cette préoccupation : qui en effet fixe la durée de conservation de ces données ? Qui veille, notamment en cas d’amnistie, à leur effacement ? On peut aussi rappeler d’ailleurs que l’ordonnance de 1945 prévoit, sans plus de précision et sans aucune disposition protectrice autre que le caractère « non public »,
l’institution d’un registre spécial de toutes les décisions « concernant les mineurs, y compris celles intervenues sur incident à la liberté surveillée, instances modificatives de placement, ou de garde et de remises de garde » (article 38 de l’ordonnance, toujours en vigueur).

Le régime du casier judiciaire lui-même a largement perdu les aspects protecteurs qui résultaient de l’article 769-2 du Code de procédure pénale. Avant son abrogation par la loi Perben II, cet article prévoyait, à l’âge de 18 ans, l’effacement des mentions relatives à des mesures éducatives prononcées en application de l’ordonnance de 1945 ou à des condamnations à des peines d’amende ou d’emprisonnement inférieures à deux mois. Depuis la loi Perben II, les mesures éducatives restent inscrites au bulletin N° 1 du casier judiciaire pendant 3 ans à compter de leur prononcé, y compris après la majorité. Les autres exceptions autrefois prévues ont définitivement disparu, sauf à rappeler que subsistent les dispositions de l’article 770 du Code de procédure pénale qui permettent, à l’expiration d’un délai de trois ans suivant la décision, d’en ordonner spécialement l’effacement.

Certes plus encadré, par un décret du 8 avril 1987, le fichier des empreintes digitales ne réserve pas pour autant un sort plus envieux à la minorité : aucune règle dérogatoire ne s’applique aux mis en cause mineurs dont les empreintes sont relevées et enregistrées. Comme les autres, leurs empreintes digitales seront conservées pendant 25 ans.

Sans exclure les mineurs de leur champ d’application, les fichiers les plus récents leur offrent finalement des garanties supplémentaires.

Les délais de conservation au STIC sont raccourcis à 5, 10 ou 20 ans en fonction de la nature des infractions commises au lieu de 20, ou 40 ans pour les majeurs. S’agissant du FIJAIS, la décision du Conseil constitutionnel du 2 mars 2004 a précisé que l’inscription automatique prévue par l’article 706-53-2 dernier alinéa du Code de procédure pénale ne trouvait à s’appliquer, en ce qui concerne les mineurs, qu’en tenant compte de l’atténuation de peine dont ils bénéficient en application de l’article 20-2 de l’ordonnance du 2 février 1945. Ainsi les mineurs ne sont-ils soumis à l’inscription automatique au FIJAIS que pour des infractions passibles d’une peine de 10 ans d’emprisonnement au moins au lieu de 5. L’article 706-53-10 de ce même code prévoit d’autre part une possibilité d’effacement à la demande de l’intéressé lorsque l’inscription n’apparaît plus nécessaire compte tenu de la finalité du fichier, notamment au regard de l’âge de l’intéressé au moment de l’infraction, disposition qui trouverait particulièrement à s’appliquer aux mineurs.

La Chancellerie et le fichage génétique des mineurs

Le FNAEG, fer de lance de la nouvelle politique de fichage depuis octobre 2004, ne comporte en apparence aucune disposition spécialement protectrice au bénéfice des mineurs. Les règles applicables restent même sur certains points marquées d’un certain flou. Ainsi, hors le cas de personnes condamnées pour crime ou délit puni de plus de 10 ans d’emprisonnement le prélèvement biologique nécessaire au fichage est soumis au consentement de la personne sur laquelle le prélèvement est effectué. Quid, s’agissant des mineurs de l’information, voire du consentement des détenteurs de l’autorité parentale ?

Pourtant, une note de la direction des affaires et des grâces du 23 juin 2006 attire l’attention sur les limites du champ d’application du fichier aux mineurs, en fonction des sanctions ou mesures prononcées à leur encontre. En effet, l’article 706-54 alinéa 1er du Code de procédure pénale, prévoit l’inscription des personnes « condamnées » pour l’une des infractions énumérées à l’article 706-55. La direction des affaires criminelles et des grâces propose une lecture stricte de ces textes et rappelle que les mesures éducatives prononcées par les juridictions pour mineurs ne constituent pas des condamnations. Dans ces conditions les mineurs concernés n’ont pas vocation à être systématiquement inscrits au FNAEG.

La DACG laisse cependant en suspens, sans doute à l’appréciation souveraine des juridictions, la question de la qualification qu’il convient d’attacher aux sanctions éducatives prononcées par le tribunal pour enfants en application de l’article 15-1 de l’ordonnance de 1945. Constituent-elles des condamnations susceptibles d’entraîner une inscription ? L’article 2 modifié de l’ordonnance semble distinguer d’une part les mesures éducatives (alinéa 1er) et de l’autre les sanctions éducatives et les peines (alinéa 2). De même, sanctions éducatives et peines ne peuvent être prononcées que par le tribunal pour enfants. Cela permet-il pour autant d’assimiler le prononcé d’une sanction éducative à une condamnation au sens de l’article 706-54 du CPP ? Les sanctions éducatives ne sont pas non plus des peines. D’ailleurs, leur non-respect ne peut être sanctionné que par un placement et non par une peine.

Le fichage au FNAEG, inacceptable pour les mineurs au stade de l’enquête

Sans attendre une hypothétique réponse à ces questions, l’interprétation proposée par la Chancellerie invite à des modifications des pratiques des services de police et des juridictions. Le prélèvement biologique et le fichage ADN sont aujourd’hui de plus en plus massivement effectués au stade de la garde à vue, en application de l’article 706-54 alinéa 2 du Code de procédure pénale, dès lors que la personne gardée est à vue est suspectée d’avoir commis une des infractions prévues par l’article 706-55. Une telle pratique est-elle acceptable vis-à-vis de mineurs qui, dans de nombreux cas ne feront l’objet que d’alternatives aux poursuites n’entraînant aucun fichage systématique, ou de mesures éducatives exclues du champ d’application du fichier ? De toute évidence, non. Il conviendrait donc exclure l’application de cette possibilité de prélèvement au stade de l’enquête, pour n’y procéder qu’après l’intervention d’une éventuelle condamnation. Les parquets, chargés non seulement de contrôler la police judiciaire, mais aussi, depuis l’entrée en vigueur de la LOLF, de surveiller les dépenses de frais de justice exposées par les policiers dans le cadre de leurs missions de police judiciaire pourront sans doute donner des instructions aux services de police en ce sens, sur la base de la note de la Chancellerie.

De même, les procureurs de la République, notamment comptables de l’intérêt des mineurs, peuvent-ils, lorsque le fichage aura néanmoins lieu au stade de la garde à vue, se dispenser de faire procéder d’office à l’effacement de l’inscription qui s’avérerait finalement injustifiée au vu des mesures prononcées ? De toute évidence, non. Sauf à vider totalement le texte de son sens, les parquets ne sauraient se réfugier derrière l’ambiguïté de l’alinéa 2 de l’article 706-54 qui prévoit l’effacement à leur diligence ou sur demande de l’intéressé lorsque la conservation des données « n’apparaît plus nécessaire compte tenu de la finalité du fichier ». Enfin, du côté des tribunaux pour enfants, la vigilance devrait aussi être de mise, pour qu’en cas de prononcé d’une simple mesure éducative l’attention du parquet soit attirée sur la nécessité de procéder à l’effacement.

Le droit des fichiers n’a guère épargné les mineurs. Quelques dispositions leur accordent cependant des garanties spécifiques. Encore faudra-t-il que les instances chargées de veiller à leur application leur confèrent toute leur portée.

Côme Jacqmin

Notes

[1Syndicat de la Magistrature, 12-14 rue Charles Fourier, 75013 Paris


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