le rapport Benisti


article de la rubrique Big Brother > le fichage des jeunes
date de publication : jeudi 17 mars 2005
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Un rapport effarant à bien des égards. Qu’il puisse alimenter la réflexion du gouvernement sur la « prévention de la délinquance » est particulièrement inquiétant. Un exemple parmi d’autre : les liens supposés entre le bilinguisme et les « prémisses de la déviance » au sein des familles populaires.

Nous vous invitons à compléter votre information par la lecture d’un entretien avec Jacques-Alain Bénisti : “la délinquance est le fait des immigrés”.


Charlie-Hebdo - 16 février 2005

Le rapport préliminaire de la commission prévention, présidée par Jacques Alain Bénisti, député UMP du Val de Marne, a suscité de vives réactions.

Vous trouverez ci-dessous un communiqué de la FCPE ainsi qu’un article paru dans Le Monde. Si vous voulez prendre connaissance du rapport, vous pouvez le télécharger - au format PDF.

Communiqué de la FCPE - le 31 janvier 2005

Le terrifiant rapport Bénisti

La FCPE s’indigne du rapport sur la prévention de la délinquance du groupe d’études parlementaire présidé par Jacques-Alain Bénisti remis au ministre de l’Intérieur. Elle dénonce un rapport révoltant.

La FCPE vient de prendre connaissance du rapport sur la prévention de la délinquance du groupe d’études parlementaire présidé par Jacques-Alain Bénisti remis au ministre de l’Intérieur. Ce rapport est révoltant !

La FCPE s’indigne de ce qu’il assimile immigration et délinquance des jeunes. Ainsi, pour « mesurer l’évolution et l’impact des politiques [de lutte contre la délinquance] mises en place », les parlementaires s’en remettent au Conseil scientifique de l’observatoire des statistiques de l’immigration et de l’intégration !

Tout au long du texte, les familles d’origine étrangère sont explicitement seules visées par les mesures envisagées. On veut notamment leur imposer le français comme langue unique à la maison, « pour habituer les enfants à n’avoir que cette langue pour s’exprimer ». Plus grave, le rapport affirme que « la première des choses à faire » face à un « comportement déviant » est de délivrer aux parents « le message de l’intégration » ! Ne pas maîtriser le français conduirait à la délinquance ?

Les parents d’élèves ne peuvent non plus accepter que ce rapport envisage comme « première des actions de prévention » au niveau scolaire de « restaurer l’autorité du corps enseignant sur les élèves et leurs parents » ! Pas plus qu’ils n’acceptent l’idée que les « prémices de la déviance » se manifestent entre un et trois ans. Qu’est-ce qu’un « comportement déviant » en crèche ?

A partir de 10 ans, la seule mesure envisagée -et dans certains cas « irréversible »- est le placement de l’enfant dans de véritables maisons de redressement pour y recevoir « une remise à niveau scolaire et des cours d’éducation civique intense » ! L’apprentissage est également présenté comme une action contre la délinquance : « le jeune devra quitter le milieu scolaire traditionnel et rentrer dans la filière d’apprentissage d’un métier dès la fin de l’école primaire ». Curieuse façon de revaloriser l’apprentissage !

Ces considérations font froid dans le dos. Il est inadmissible que des élus de la nation osent produire un tel rapport !

Pourtant, tout cela est cohérent avec les actions engagées par le gouvernement. On retrouve un état d’esprit proche dans les projets de « contrats individuels de réussite éducative » de François Fillon et « d’équipes de réussite éducative » de Jean-Louis Borloo. Dans tous les cas, les enfants « difficiles » sont écartés du système scolaire « traditionnel »et la responsabilité porte uniquement sur les familles.

Un prérapport parlementaire sur la délinquance provoque un tollé

"On y trouve des propositions douteuses", reconnaît l’un de ses auteurs.

par Piotr Smolar [Le Monde du 4 février 2005]

"Le jeune" est dangereux. "Le jeune" est "déviant", et de plus en plus tôt. Considéré comme un malade, il doit donc être soigné sans délai, suivi par des spécialistes et interné si nécessaire. Telle est la tonalité d’un rapport préliminaire remis à Dominique de Villepin, en octobre 2004, et censé inspirer le ministère de l’intérieur dans la rédaction du projet de loi sur la prévention de la délinquance, ajourné à plusieurs reprises et reprogrammé avant l’été. Les auteurs de ce rapport sont les membres de la commission prévention du groupe d’études parlementaire sur la sécurité intérieure (Gepsi). Des députés : seize de l’UMP, deux de l’UDF, deux du PS.

Ce texte, disponible sur le site Internet de son président, le député (UMP) du Val-de-Marne Jacques-Alain Bénisti, a suscité la colère d’associations et syndicats - dont la CGT, SUD, la Ligue des droits de l’homme (LDH) et le Syndicat de la magistrature - réunis au sein d’un collectif, qui ont manifesté à Paris, jeudi 3 février. "Il ne s’agit que d’un prérapport, sur lequel ne s’est pas encore prononcé le Gepsi, souligne le député (UMP) Christian Estrosi, membre du groupe. On y trouve des propositions intéressantes et d’autres plus douteuses."

"PRÉMICES DE DÉVIANCE"

Jacques-Alain Bénisti, lui, assume la démarche. "Les membres de la commission sont tous des élus de communes avec des cités sensibles, qui vivent sur le terrain et connaissent les problèmes de délinquance", dit-il. Diplomate, le ministère de l’intérieur voit dans ce texte "un appel au renforcement de la politique de prévention".

Les auteurs reprennent des points de l’avant-projet de loi rédigé à l’époque où Nicolas Sarkozy se trouvait place Beauvau. Il y est question de placer les maires "au cœur" de la politique de prévention ; de nommer un "référent" qui suivrait l’enfant tout au long de son parcours ; d’évaluer les actions de prévention ; de revaloriser les internats et de rappeler les parents à leurs responsabilités.

Les quinze pages qui précèdent les préconisations témoignent cependant d’une vision déterministe de la délinquance : origine étrangère, échec scolaire et criminalisation y sont étroitement liés. "Si les actions de prévention veulent être efficaces, elles doivent impérativement commencer dès les prémices de déviances c’est-à-dire dès le plus jeune âge", affirme le rapport, par ailleurs parsemé de fautes d’orthographe et de syntaxe.

Une des surprises du texte est la "courbe évolutive d’un jeune qui au fur et à mesure des années s’écarte du "droit chemin" pour s’enfoncer dans la délinquance". La courbe du parcours "déviant" débute entre 1 et 3 ans, puis s’aggrave en primaire, au collège et au lycée. Une courbe type, donc, comme si on pouvait dégager une formule mathématique de la délinquance.

"Ce n’est ni fait ni à faire, soupire Sébastian Roché, chercheur au CNRS. On oublie les "faux positifs", c’est-à-dire ceux qui montrent des troubles à un jeune âge puis qui s’épanouissent en grandissant."

" Ça révèle une approche totalement primaire et caricaturale de la délinquance des mineurs", estime Christophe Caresche, député (PS), qui souhaiterait que ses deux collègues socialistes se retirent du Gepsi. "Nous n’y avons pas notre place, explique-t-il. On ne doit pas donner l’impression de cautionner des propos aussi intolérables."

Mal à l’aise, Christophe Masse, député (PS) des Bouches-du-Rhône, admet ne pas avoir "assisté à toutes les réunions du groupe" et assure qu’il n’adhère pas à ce texte qui "contient beaucoup de raccourcis". "Du mauvais élève à l’école, on passe directement au délinquant en puissance", relève-t-il.


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