fichage des jeunes : l’exemple américain


article de la rubrique Big Brother > le fichage des jeunes
date de publication : vendredi 30 octobre 2009
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Une étude d’ampleur nationale réalisée aux Etats-Unis met à jour d’importants dysfonctionnements dans la gestion des bases de données constituées pour mesurer la progression des élèves. Les Etats collectent souvent beaucoup plus d’informations qu’il n’est nécessaire sur les élèves [1] : au delà des résultats obtenus lors des évaluations, on peut citer des informations de santé, des incidents disciplinaires... En revanche la protection de ces données personnelles est très largement négligée.

Le rapport du Fordham University Center on Law and Information Policy, rendu public mercredi 28 octobre 2009 [2], montre l’existence de bases de données, à la fois gigantesques et vulnérables, mises en place à l’instigation du gouvernement fédéral afin de suivre la progression des élèves. « Dix ou quinze ans plus tard, alors qu’ils sont devenus adultes, des informations datant de leurs années scolaires peuvent être reprises et détournées par des hackers  », au mépris du droit au respect de la vie privée, observe Joel R. Reidenberg, professeur de droit à l’université Fordham (New York) qui a dirigé cette étude.

La tendance à constituer des bases de données à l’échelle de l’État avec un identifiant unique pour les élèves, encouragée par une loi fédérale No Child Left Behind – “ne laisser personne en chemin” –, va recevoir une nouvelle impulsion de l’administration Obama. Afin de mieux évaluer l’instruction, les fonctionnaires fédéraux veulent faire un lien entre les résultats des élèves aux tests et les fichiers des enseignants. Ils envisagent également des systèmes de suivi des élèves de la maternelle à l’université, pour contribuer à augmenter les taux de réussite en université.

Un dossier à prendre en compte qui ne manquera pas de confirmer nombre des inquiétudes provoquées par la mise en place du système Base élèves 1er degré en France.


Menaces sur les données personnelles des enfants [3]

Le Département juridique sur les données personnelles de l’université Fordham (CLIP) vient de publier une étude montrant que les bases de données nationales dans le domaine de l’Education ignorent les règles les plus élémentaires concernant la confidentialité des données personnelles des élèves de l’enseignement primaire et secondaire. Ces conclusions sont rendues publiques alors que le Congrès envisage une législation visant à développer et à intégrer les 43 bases de données d’Etats qui existent, sans prendre en compte les graves dysfonctionnements qui se sont manifestés dans les entrepôts électroniques [4] à propos des données personnelles des enfants.

Le CLIP montre que des informations personnelles telles que des grossesses adolescentes, la santé mentale, et la délinquance juvénile sont enregistrées en violation des règlements fédéraux concernant le respect la vie privée.
Les numéros de sécurité sociale sont considérées comme des données scolaires par plus de 32 % des entrepôts, les grossesses d’adolescents par plus de 22 % des Etats, et, pour 46 % d’entre eux, les problèmes de santé mentale, la maladie et des peines de prison font partie du dossier scolaire de l’élève. En outre, presque tous les Etats recueillent des indicateurs de richesse familiale.

Certains Etats externalisent le traitement des données sans aucune restriction concernant leur utilisation ou leur confidentialité. L’accès à ces informations personnelles et leur divulgation peut se produire pendant des décennies et suivre les enfants loin au cours de leur vie adulte.

« Ne pas aborder ces questions pourrait avoir des conséquences catastrophiques pour le respect de la vie privée », a déclaré le professeur Joel Reidenberg, directeur-fondateur du CLIP. « Nous ne contestons pas la légitimité de la collecte des données – elle permet de responsabiliser les établissements d’enseignement – mais nous exhortons le Congrès et les fonctionnaires : il faut rapidement prendre des mesures pour s’assurer que les données sont collectées et enregistrées correctement, et utilisées conformément aux lois et aux principes concernant la confidentialité. » [...]

Le CLIP a lancé cette étude en 2008 en raison de la mise en place par différentes administrations de l’Education de bases de données longitudinales permettant de suivre la progression des élèves au fil du temps. Cette évolution a été accompagnée d’une tendance à uniformiser les systèmes de collecte de données afin de permettre l’interopérabilité. [...]
Des extensions de ces systèmes sont envisagées de façon à y inclure des informations allant du domaine médical prénatal jusqu’à l’emploi, le secteur militaire, et un dossier criminel.

L’étude fait plusieurs recommandations afin d’accroître la protection des données personnelles, la transparence et la responsabilité des bases de données :

  • Au niveau de l’Etat les données devraient être rendues anonymes par l’utilisation d’architectures "dual-database". [...]
  • La collecte d’informations par l’Etat devrait être réduite au minimum et plus spécifiquement liée à un audit ou à des fins d’évaluation.
  • Une politique claire d’effacement des données doit être mise en place et rendue obligatoire.
  • Le département de l’éducation de chaque Etat devrait disposer d’un responsable de la protection des données personnelles qui rendrait compte publiquement de l’impact sur la vie privée de l’existence de programmes de base de données, les propositions et les contrats des fournisseurs.

Le rapport complet est disponible ici.

P.-S.

Lectures :

Notes

[1Les élèves considérés dans cette page sont habituellement désignés par l’expression “K-12” (“kay twelve”), appellation nord-américaine pour l’enseignement aux niveaux primaire et secondaire. C’est une contraction de Kindergarten (enfants de 5 à 6 ans) au 12e degré (en général à 17 ou 18 ans), les premier et dernier degrés de ces niveaux d’enseignement aux États-Unis, au Canada anglophone et en Australie.

[3Traduction partielle par LDH Toulon de la présentation par l’université Fordham : CLIP Study Finds Privacy of Nation’s School Children at Risk.

[4Data warehouse – “entrepôt de données” – désigne une base de données utilisée pour collecter et stocker de manière définitive des informations provenant d’autres bases de données.


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