la Grand-Bretagne met en place un fichier national regroupant les données personnelles de tous les jeunes de moins de 18 ans


article de la rubrique Big Brother > le fichage des jeunes
date de publication : lundi 14 mai 2007
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Le gouvernement britannique compte mettre en place un fichier national regroupant les données personnelles de tous les jeunes de moins de 18 ans. Officiellement il s’agit d’améliorer la protection de l’enfance, en particulier contre la pédophilie et la maltraitance. Ce fichier permettrait aux adultes qui travaillent avec des enfants (travailleurs sociaux, médecins, enseignants, etc.) de partager toutes les informations concernant l’enfant dont ils s’occupent.

Ce projet est très critiqué : il est considéré comme complexe, très couteux et portant atteinte à la vie privée. Il s’avère également que les jeunes y sont hostiles.

[Première publication : le 12 septembre 2006,
dernière mise à jour : le 14 mai 2007]

Le Royaume-Uni met en place un fichage généralisé des moins de 18 ans

« What will they want to know about me next ? What colour my socks are ? », voici une des questions que commencent à se poser certains jeunes futurs citoyens de l’autre côté du Channel, à propos du gouvernement Blair.

Depuis 2004, le ministère de l’éducation britannique (Educations and Skills) met progressivement en place un index centralisé de tous les jeunes de moins de 18 ans.
« Cette base de données en cours de construction devrait être rendue opérationnelle pour 2008 », a annoncé Mrs Hughes, ministre des enfants, de la jeunesse et de la famille. Elle a par ailleurs ajouté que le seul but recherché avec la mise en place de cette base de données nominatives de tous les enfants du Royaume-Uni était de favoriser les échanges d’informations nécessaires à une meilleure coopération des professionnels impliqués dans la prévention et l’aide aux enfants en difficulté.

Ce projet a été mis en place par le gouvernement Blair suite au rapport de la commission d’enquête sur l’affaire Victoria Climbié en 2004. Cette jeune fille de 8 ans était décédée des suites des mauvais traitements dont elle avait été victime. Les services sociaux, malgré la connaissance de certains faits n’ayant pu intervenir avaient été mis en cause et le manque de coordinations entre les différents acteurs impliqués dans la protection de l’enfance avait alors été révélé à l’opinion publique britannique.

C’est officiellement pour donner aux professionnels un outil permettant de mutualiser les informations que le gouvernement Blair met en place cet index national des enfants du pays.

Le projet est loin de faire l’unanimité et malgré des aspects positifs relevés par certains travailleurs sociaux impliqués dans l’expérimentaion, l’opposition et les associations de défense des droits de l’homme et des libertés individuelles font feu de tout bois pour dénoncer les dérives potentielles liées à la mise en place de ce système.

Le coût, la sécurisation défaillante des données, les difficultés de connexion des différentes bases entre elles, le nombre important d’erreurs relévées, le manque d’information données aux familles quant aux modalités d’inscription de leur enfant dans la base et à l’utilisation des données, le nombre élevé de personnes ayant accès aux données et les conditions requises pour le faire, ce sont là autant de points qui soulèvent dans le pays une vague de protestation à la hauteur des questions (actuellement sans réponses) que suscitent la mise en palce de tels systèmes de gestion des données nomnatives.

Le France avec la mise en place de sa "Base élèves Premier degré" n’est pas sans soulever elle-aussi des inquiétudes même si les deux systèmes se mettent en place de façon différente. Un même argument repris dans les deux pays les rapproche cependant : celui de la sécurité.

Au Royaume-Uni, certains n’hésitent pas à dénoncer à travers cette base la mise en place d’une société du contrôle. Alors Blair néo Big-Brother ou protecteur de l’enfance maltraitée ?

Espérons que les Britanniques auront la réponse sans mauvaise surprise.

En attendant, ils peuvent comme nous lire ou relire George Orwell qui dans "1984" écrivait :
« Dans le passé, aucun gouvernement n’avait eu le pouvoir de maintenir ses citoyens sous une surveillance constante. Maintenant, la Police de la pensée surveillait tout le monde, constamment. »

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Hostilité des jeunes [1]

En Grande-Bretagne, les jeunes de moins de 18 ans qui ont été sondés à propos de la banque de données nationale y sont majoritairement opposés, parce que :

  • ils ne font pas confiance aux autorités pour assurer la parfaite confidentialité (et la sécurisation) du fichier - qui serait donc vulnérable ;
  • ils ne veulent pas que leur profil soit accessible à tous les professionnels à qui ils ont affaire (en particulier aux enseignants qui, disent-ils n’ont pas à connaître des détails concernant leur vie privée), cela sans leur consentement ;
  • certaines données obsolètes resteront indéfiniment dans ce fichier (qui ne sera sans doute pas réactualisé, faute de moyens) et qu’elles pourraient leur porter préjudice par la suite ;
  • ils pensent que beaucoup de jeunes se passeront alors de consulter des spécialistes de santé pour éviter que ces consultations ne viennent à la connaissance de leur famille ou de leurs profs...
  • ils craignent que la constitution d’un tel fichier ne donne des armes à ceux qui maltraitent les enfants.

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Des fichiers trop lourds [2]

Le projet du gouvernement de rassembler pour chaque jeune Anglais des informations le concernant rencontre encore des oppositions. Dans le cadre du « Children Act 2004 » loi sur la protection de l’enfance, les élus locaux devront établir des bases de données qui permettront aux médecins, aux enseignants, aux travailleurs sociaux et autres professionnels qui travaillent avec les enfants, de mettre en commun leurs informations concernant chaque jeune et sa famille. Le gouvernement avance que cela évitera le renouvellement des énormes bévues qui ont été commises à propos du meurtre de Victoria Climbié - elle était connue de plusieurs services qui ont été incapables d’échanger des informations essentielles la concernant. Cependant, les spécialistes de la protection de l’enfance craignent que ce projet arrive au résultat inverse de celui qui était recherché.

Ces inquiétudes ont été exprimées par la commission parlementaire sur l’éducation à la suite d’une enquête sur le programme de réforme gouvernemental dans le domaine de la jeunesse.

Les observateurs ont déclaré devant la Chambre des Communes que ce projet serait extrêmement coûteux et pratiquement impossible à gérer à cause de sa complexité. Mais les responsables du Ministère de l’Education et la ministre en charge de la jeunesse, Margaret Hodge, ont répondu que ces inquiétudes n’étaient pas fondées.

Les différents points :

  • La complexité

D’abord, pour ce qui est de leur complexité, la base de données locale contiendrait des renseignements habituels comme le nom, la date de naissance, le nom du médecin généraliste référent et l’établissement scolaire fréquenté. Les noms des spécialistes (que ce soit un orthophoniste ou un conseiller en éducation sexuelle) qui auront été consultés par l’enfant figureraient également dans le dossier. Et ces professionnels pourraient mettre des « signaux d’alerte » dans le dossier de l’enfant pour attirer l’attention sur un problème et pour signifier que l’information contenue est très importante et doit être connue des autres professionnels en contact avec l’enfant.

Mme Hodge estime que cela va permettre aux différents professionnels de prendre connaissance d’informations "banales", comme l’absentéisme à l’école, et d’agir avant qu’il ne soit trop tard. Ces fichiers sont destinés à remplacer les registres locaux de protection de l’enfance, qui ne contiennent que des informations sur des enfants actuellement susceptibles d’être victimes de maltraitance ou de manque de soins. Mais Richard Thomas, membre de la commission parlementaire a déclaré : « Si on cherche une aiguille dans une meule de foin, je ne suis pas certain que la solution soit d’agrandir la meule ». Eileen Munro, professeur de sciences sociales à la London School of Economics partage ce point de vue : « Dans l’affaire Victoria Climbié, ce ne sont pas les informations qui manquaient mais l’intelligence permettant de les interpréter. Donner aux professionnels davantage d’informations les rendrait encore moins efficaces », a-t-elle dit.

Le gouvernement affirme que les signaux d’alerte dans les fichiers attireront l’attention sur les cas à traiter en urgence. Mais le Professeur Hedy Cleaver, chercheur à l’Université de Londres, conteste ces affirmations, déclarant que le système sera extrêmement complexe étant donné que seuls certains professionels, ainsi que le médecin référent, auront accès à toutes les données, cela pour éviter les atteintes aux règles de confidentialité. (... Le professeur Cleaver, qui dirigeait l’an dernier l’évaluation de 10 projets pilotes du ministère de l’Education concernant le développement des bases de données locales, a déclaré devant les députés que six de ces programmes avaient jusqu’à présent exclu l’utilisation de ces signaux d’alerte).

  • Violation de la vie privée

Viennent ensuite, les inquiétudes concernant les violations de la vie privée dans le cadre de la famille.

Actuellement, seuls les soupçons de maltraitance et de manque de soins peuvent faire l’objet d’inscriptions dans un dossier sans le consentement des parties intéressées. Mais, dans le nouveau fichier, les personnels en charge d’enfants pourront entrer toutes sortes de données, y compris des renseignements jugés confidentiels en droit. Le professeur Monro déclare que cela pourrait amener les parents à penser qu’ils font l’objet de soupçons constants.

Le gouvernement propose maintenant que les généralistes demandent l’accord des familles avant d’enregistrer certaines données pour éviter qu’elles aient l’impression qu’on leur met le couteau sous la gorge. Mais M. Thomas réplique que cette solution soulève d’autres problèmes. Ce qu’un individu accepterait qu’on signale quand il avait quatre ans n’est pas forcément vrai quand il arrive à l’adolescence.

  • Une opération extrêmement coûteuse

Ces problèmes techniques font craindre une augmentation considérable du coût de l’opération. Mme Hodge a déclaré devant la commission parlementaire que la réalisation de ce fichier coûterait quelques petites centaines de millions de livres [3]. Mais M. Thomas en estime le coût à un milliard de livres. Il pense également que le coût de fonctionnement sera énorme, puisqu’il faudra constamment contrôler les informations et les remettre à jour pour qu’elles correspondent à la réalité. Il explique que les familles déménagent souvent (40% des familles changent d’adresse à Londres chaque année) et les enfants changent souvent de nom à cause des divorces et des remariages.

Le gouvernement devrait annoncer un calendrier de mise en œuvre de cette base de données à l’automne prochain. La commission parlementaire pour l’Education informe le ministère que leur vision optimiste de ce projet est en contradiction avec les conclusions d’observateurs indépendants.

Cependant, Mme Hodge a assuré : « Tout ce que je peux vous dire, c’est que nous sommes déterminés à ce que cela fonctionne bien ».

Notes

[1D’après une enquête réalisée par le Haut-Commissaire à l’Enfance (sorte de médiateur responsable de problèmes de l’Enfance indépendant du gouvernement).
Source : « Children fear intrusion of national database, report finds », article de David Batty, publié le 8 septembre 2006 dans le Guardian (traduction en français).

[2Source : « Information overload », article de David Batty, publié le 18 février 2005 dans le Guardian (traduction en français ).

[3En septembre 2006, le gouvernement l’évaluait à 224 millions de livres.


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