"Apprendre à dire non !" par Simone de Bollardière


article de la rubrique démocratie > désobéissance & désobéissance civile
date de publication : octobre 2001
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Mercredi 17 octobre 2001, la section de Toulon de la LDH a projeté au cinéma le Royal le film d’André GAZUT : "Le Général de Bollardière et la torture".

180 personnes sont venues assister à la projection, puis participer au débat sur la guerre d’Algérie animé par Simone de BOLLARDIERE et André GAZUT .

Ci-dessous l’interview de Simone de Bollardière par Loic Duprès et publiée dans Var-Matin le jeudi 18 Octobre 2001.


La veuve du général Jacques de Bollardière, seul officier supérieur à avoir condamné ouvertement la pratique de la torture pendant la guerre d’Algérie était hier l’invitée de la Ligue des Droits de l’Homme.

Jacques de Bollardière est disparu en février 1986. En mars 1957, il soulignait « l’effroyable danger qu’il y aurait pour nous à perdre de vue, sous le prétexte fallacieux de l’efficacité immédiate, les valeurs morales qui, seules, ont fait jusqu’à maintenant la grandeur de notre civilisation et de notre armée ». Dans l’ombre, ces valeurs-là, Simone de Bollardière, son épouse, invitée hier par la section de la Ligue des Droits de l’Homme de Toulon, les partageait. Rencontre :

Var-matin : « Quand avez-vous décidé, si tel est le cas, de reprendre ce combat pour la vérité et les idées qui étaient celles de votre mari ?

Simone de Bollardière : Je dois d’abord vous dire que je partageais totalement l’opinion de mon mari sur cette question. C’était évident qu’il était impossible, pour nous, d’accepter la pratique de la torture. Mais avant l’appel des douze [1], personne ne voulait en entendre parler. Depuis, j’ai rencontré les signataires de cet appel, et je continue en rencontrant des jeunes scolaires, et un peu partout où le film d’André Gazut est demandé. Surtout en Bretagne, d’ailleurs, où j’habite.

V.M. : Pourquoi votre mari a-t-il pris cette position, très courageuse à l’époque où il a dénoncé la torture ?

S.B. : Je le dis souvent aux jeunes qui sont confrontés à leurs problèmes quotidiens : il faut savoir désobéir, apprendre à dire « non », à la drogue, aux autres, etc. Chez mon mari, c’était une habitude de contester des ordres qu’il n’approuvait pas. Je suis du côté des gens qui ne mentent pas disait Jacques, un rebelle qui est resté jusqu’au bout fidèle à ce qui l’amena un jour à rejoindre De Gaulle à Londres...

V.M. : Que peut-on répondre aux personnes qui estiment le moment mal choisi pour ouvrir le débat ?

S.B. : Le débat est ouvert depuis longtemps au travers différents articles parus dans la presse. ce serait, aussi, oublier que les appelés qui sont partis en Algérie à cette époque sont souvent revenus choqués, sans jamais en parler parce que c’était tabou. Il y a eu beaucoup de « non dit » à ce sujet. Aujourd’hui, arrivés à un âge avancé, ce sont eux qui demandent à ce que l’on entende leurs témoignages. Ils ont besoin d’en parler, de crever enfin l’abcès.

V.M. : Qu’attendez-vous, aujourd’hui, de ce débat ?

S.B. : Nous voudrions, avec les douze signataires de l’appel, que l’Etat reconnaisse enfin la vérité, l’institutionnalisation de la torture pendant la guerre d’Algérie. Mais nous ne voulons pas de repentance, ni de jugement. mais qu’enfin on puisse dépasser le contentieux -on le voit encore avec les réactions au match France-Algérie- qui nous sépare de ce pays, que l’on reconnaisse ce qui s’est passé de part et d’autre. Tout le monde doit faire son autocritique. C’est un devoir de mémoire.

"Jacques de Bollardière est mort en février 1986, mais, dès 1974, la Télévision suisse romande lui consacrait un documentaire. Ce portrait d’André Gazut montre comment un baroudeur, qui fut un ardent résistant avant d’assurer un commandement lors de la guerre d’Indochine, ne put se dérober à l’appel de sa conscience, au risque d’affronter la méfiance puis l’hostilité de toute sa hiérarchie. En introduction à ce précieux portrait, André Gazut avait enregistré deux interviews du colonel Trinquier et de Paul Teitgen, qui furent l’un et l’autre en poste en Algérie.

Le premier y justifie l’usage de la torture en cas de nécessité absolue, quand le second, qui fut secrétaire général de la police à la préfecture d’Alger, la réprouve sans appel au nom des droits de l’homme et de ses croyances."

Jean Belot - Télérama n°2687 - 11 juillet 2001

Notes

[1L’appel à la condamnation de la torture durant la guerre d’Algérie a été lancé en octobre 2000 par Henri Alleg, ancien directeur d’Alger Républicain, Simone de Bollardière, Josette Audin, épouse de Maurice assassiné, Nicole Dreyfus, avocate, Noel Favrelière, rappelé et déserteur, Gisèle Halimi, avocate, Alban Liechti, insoumis, Madeleine Rebérioux, historienne, Laurent Schwartz, mathématicien, Germaine Tillon, ethnographe et résistante, Jean-Pierre Vernant et Pierre Vidal-Naquet, historiens.


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