Dès le mois de mars 1941, Mgr Saliège, archevêque de Toulouse avait pris ses distances avec le gouvernement de Vichy, n’admettant ni ses principes totalitaires, ni sa législation antisémite. Il s’insurge contre le sort réservé aux Juifs dont le départ vers les camps d’extermination allemands commence le 3 août 1942 sous la direction de la police de Vichy.
Un mois après la rafle du Vel d’Hiv des 16-17 juillet 1942 et une semaine après que, dans les camps de Noé et de Récébédou, des enfants aient été séparés de leurs parents par des policiers et des gendarmes français, Mgr Saliège fait lire la lettre suivante dans toutes les paroisses de son diocèse [1].
L’actualité nous laisse à penser que Brice Hortefeux n’a pas eu connaissance de cette lettre pastorale. Nous la lui adressons donc accompagnée d’une directive du préfet régional de l’époque, en lui suggérant de la diffuser dans ses services.
LETTRE DE
S.E. MONSEIGNEUR SALIEGE ARCHEVEQUE DE TOULOUSE
SUR LA PERSONNE HUMAINE
Mes très chers Frères,
Il y a une morale chrétienne, il y a une morale humaine qui impose des devoirs et reconnaît des droits. Ces devoirs et ces droits, tiennent à la nature de l’homme. Ils viennent de Dieu. On peut les violer. Il n’est au pouvoir d’aucun mortel de les supprimer.
Que des enfants, des femmes, des hommes, des pères et des mères soient traités comme un vil troupeau, que les membres d’une même famille soient séparés les uns des autres et embarqués pour une destination inconnue, il était réservé à notre temps de voir ce triste spectacle.
Pourquoi le droit d’asile dans nos églises n’existe-t’il plus ?
Pourquoi sommes-nous des vaincus ?
Seigneur ayez pitié de nous.
Notre-Dame, priez pour la France.Dans notre diocèse, des scènes d’épouvante ont eu lieu dans les camps de Noé et de Récébédou. Les Juifs sont des hommes, les Juives sont des femmes. Les étrangers sont des hommes, les étrangères sont des femmes. Tout n’est pas permis contre eux, contre ces hommes, contre ces femmes, contre ces pères et mères de famille. Ils font partie du genre humain. Ils sont nos Frères comme tant d’autres. Un chrétien ne peut l’oublier.
France, patrie bien aimée France qui porte dans la conscience de tous tes enfants la tradition du respect de la personne humaine. France chevaleresque et généreuse, je n’en doute pas, tu n’est pas responsable de ces horreurs.
Recevez mes chers Frères, l’assurance de mon respectueux dévouement.
Jules-Géraud Saliège
Archevêque de Toulouse
13 Août 1942A lire dimanche prochain, sans commentaire.
« “Les étrangers sont des hommes, les étrangères sont des femmes” : ça n’a l’air de rien, mais dans le contexte de 1942, pour des yeux habitués à lire chaque matin la presse de l’époque, pour des oreilles anesthésiées par la propagande de Radio-Paris, c’était de la bombe (et encore, Mgr Saliège n’avait-il pas parlé de rafles, ni d’extermination). On dut se pincer, ce dimanche-là, dans les églises de Haute Garonne.
« L’époque était sans Internet. Mais rien n’arrêta les mots de la lettre de Mgr Saliège. Les publications clandestines de la Résistance (les blogs de l’époque) la ronéotypèrent à l’infini. La BBC la diffusa.
« La lecture de la lettre de Mgr Saliège n’arrêta pas les rafles, ni les déportations. Mais il y eut tout de même, dans les consciences, un avant et un après. »
Daniel Schneidermann [2]
Il y a un an et demi, nous avions déjà eu l’occasion de publier la plus grande partie de la lettre de Monseigneur Saliège ; il était alors déjà question d’immigration jetable...
[1] Source : http://www.gheldman.com/passion/194... qui donne pour origine du document les Archives de l’Archevêché de Toulouse.
[2] Source : le site Arrêt sur Images.