délit ? Ou plutôt assistance à personne en danger ?


article de la rubrique démocratie > désobéissance & désobéissance civile
date de publication : lundi 26 février 2018
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Les procédures en cours visant des personnes ayant porté assistance à des migrants en difficultés ont le mérite de mettre en lumière des citoyens solidaires, êtres humains à part entière.


POUR METTRE HORS-LA-LOI LE « DÉLIT DE SOLIDARITÉ »

Argumentaire et proposition d’amendement du collectif Délinquants solidaires, dont la LDH est membre [1]

« Toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers, d’un étranger en France sera punie d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 30 000 Euros ». Cette disposition introduite dans la réglementation par le décret-loi de 1938 dans un climat particulièrement xénophobe figure encore, quatre-vingt ans après, dans le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda, articles L. 622-1 et suivants).

Or cette pénalisation de l’aide à l’entrée et au séjour a été déviée de sa cible. Elle était censée sanctionner les personnes et les organisations qui font du passage illégal des frontières un business hautement lucratif, exploitant les personnes étrangères qui souhaitent entrer ou séjourner sur le territoire français. Mais elle sert souvent de fondement à des poursuites, voire à la condamnation, d’aidant-e-s solidaires qui ne tirent aucun profit de leurs actions, seulement dictées par le refus de laisser les personnes sur le bord de la route. Il s’agit de ce que les associations ont dénommé « délit de solidarité ».

Sous la pression de mobilisations successives, plusieurs réformes législatives ont prétendu mettre fin au « délit de solidarité » en dressant des listes d’immunités. Or, dans le Calaisis, à Paris, dans la vallée de la Roya, à Briançon et ailleurs, de multiples personnes solidaires ont été récemment poursuivies, souvent condamnées, sur le fondement de cet article L. 622-1 du Ceseda.

À partir d’un argumentaire juridique détaillé, le collectif « Délinquants solidaires » propose, sous la forme d’un amendement, une définition plus précise du délit qui clarifiera les actes passibles de poursuites tout en restant conforme au droit de l’Union européenne.  [2]

Délit ou solidarité ?

Les procédures en cours visant des personnes ayant porté assistance notamment, dans la vallée de la Roya à des migrants en difficultés ont le mérite de nous rappeler plusieurs choses :
. il y a actuellement des femmes, des enfants, des hommes qui fuient les bombes, la torture, la misère ;
. il y a des femmes et des hommes prêts à les accueillir, à les héberger, à les soigner et grâce à eux, notre pays est encore une terre d’asile ;
. il n’y a pas si longtemps, nos grands parents, -nos parents pour certains d’entre nous-, ont eux aussi dû fuir sous les bombardements et des femmes, des hommes, les ont secourus, aidés, hébergés, protégés ;
. et il y a des étrangers qui ont « fait la France » [3].

Pourtant, des personnes venant en aide à des migrants en difficultés ont été placées en garde à vue, conduites devant les tribunaux et pour certaines d’entre elles condamnées. Citons par exemple :
*en janvier 2016, un citoyen britannique ayant tenté de faire passer une fillette Afghane en Grande Bretagne où l’attendaient son oncle et sa tante, est condamné par le Tribunal de Boulogne sur Mer à 1 000 euros d’amende avec sursis ;
*le 18 décembre, une enseignante retraitée de 72 ans est condamnée par le tribunal de Grasse, à 1 500 € d’amende pour avoir facilité le séjour et la circulation de deux jeunes Erythréens en situation irrégulière ;
*le 10 février 2017, l’agriculteur Cédric Herrou a été condamné à 3 000 euro d’amende avec sursis, pour avoir aidé des étrangers en situation irrégulière à franchir la frontière italienne.

Si le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Article L622-4) peut être « interprété », le code pénal (Article 223-6) ne peut en aucun cas, autoriser la non assistance à personne en danger [4].

Alors, est-ce autre chose qui se joue là ?

Est-ce la peur de l’immigration, d’un afflux de migrants tel que notre société en serait affectée ? Le Commissaire aux Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe [5], nous a pourtant récemment alertés sur ces peurs infondées et sur les comportements inadéquats que nous avons pu adopter : « Partout en Europe s’observent des tendances inquiétantes concernant le sort réservé aux demandeurs d’asile et aux réfugiés, ainsi qu’aux migrants en situation irrégulière. (…) « Il n’est pas nécessaire de réduire le nombre d’arrivées pour réussir l’intégration des migrants. A condition que nos sociétés se donnent les moyens de répondre (…)".

Si l’on regarde les statistiques des demandeurs d’asile et des admissions, sur près d’un demi-siècle, la France a, en effet, augmenté en 2015 le nombre d’admissions notamment, du fait des guerres en Syrie, Soudan, Irak et Afghanistan. Toutefois, au total, rappelons que moins de 9 % de la population vivant en France est immigrée [6], et que près d’un million huit cent mille français vivent à l’étranger.

La loi va t-elle évoluer ?

Le 1er février 2017, un sénateur [7], a déposé une proposition de loi relative au délit d’aide au séjour irrégulier pour en exclure les services de transport humanitaires et désintéressés.

Il propose qu’au 3° de l’article L. 622-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, soient insérés les mots : "de transport" après le mot "hébergement", ceci répondant pour lui, à la nécessité qu’il y a de pouvoir :

- "distinguer entre les citoyens motivés par l’action humanitaire et des passeurs dont la seule motivation est l’exploitation de la misère (...)",

- "ajouter à la loi, la prestation de transport pour éviter les poursuites."

Voir ci-dessous, son exposé des motifs [8]

Aussi, cessons d’appeler « délit » ce qui relève de l’assistance à personne en danger car celles et ceux qui ont été recueillis, accueillis, hébergés, nourris, soignés, n’avaient pas le choix : fuir ou mourir.
L’action de celles et ceux qui leur portent assistance, dans le strict respect des droits humains, doit être saluée.

POUR EN SAVOIR PLUS : [9] [10]

Notes

[2Le texte (argumentaire et proposition d’amendement) est en ligne : https://www.gisti.org/spip.php?article5863

[3Dictionnaire des étrangers qui ont fait la France, sous la direction de Pascal Ory avec la collaboration de Marie-Claude Blanc-Chaléard, Robert Laffont, coll.Bouquins (2013)

[4« Quiconque pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour les tiers, soit un crime, soit un délit contre l’intégrité corporelle de la personne s’abstient volontairement de le faire est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Sera puni des mêmes peines quiconque s’abstient volontairement de porter à une personne en péril l’assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours. »

[5Le Commissaire - CommDH/IssuePaper(2016)2 / 31 mai 2016 Intégration des migrants : il est temps que l’Europe prenne ses responsabilités.

[7M. Philippe Kaltenbach – Sénateur des Hauts de Seine (Ile de France)

[8EXPOSÉ DES MOTIFS - Mesdames, Messieurs,
La loi n° 2012-1560 du 31 décembre 2012 relative à la retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit d’aide au séjour irrégulier pour en exclure les actions humanitaires et désintéressées permet une plus large assistance à une personne en situation irrégulière. Les conseils juridiques ou des prestations de restauration, d’hébergement ou de soins médicaux étaient ainsi mentionnées mais la loi n’avait pas expressément cité le transport.
De nouvelles affaires judiciaires ont mis en exergue ce manque qui a permis l’engagement de poursuites pénales dans le cas où l’action humanitaire consiste en un service de transport. La proposition de loi propose de réparer ce manque en y incluant cette mission d’assistance au transport dans le but d’apporter aux réfugiés des conditions de vie dignes et décentes.
En effet, alors qu’il y a aujourd’hui une forte volonté politique de distinguer les citoyens motivés par l’action humanitaire et des passeurs dont la seule motivation est l’exploitation de la misère contre une rémunération, il convient d’ajouter à la loi la prestation de transport pour éviter les poursuites.
Cette réécriture protège ainsi mieux le travail des humanitaires et bénévoles pour permettre de faire la distinction entre les citoyens guidés par une motivation humanitaire, et les passeurs mercantiles. Elle permettra donc de poursuivre les uns sans inquiéter les autres. Apporter assistance et soutien, de manière désintéressée, à une personne en situation irrégulière au regard du séjour sur notre territoire ne saurait être puni.


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