pour la police aussi, il y a un devoir de vérité


article de la rubrique démocratie > désobéissance & désobéissance civile
date de publication : mardi 26 février 2008
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L’écrivain Maurice Rajsfus a été arrêté par des policiers français le 16 juillet 1942, durant la rafle du Vel d’Hiv’ [1]. Réagissant à la volonté exprimée par Nicolas Sarkozy de faire porter par chaque élève de CM2 la mémoire d’un enfant de la Shoah, il a adressé, le 20 février 2008, la tribune suivante au site Rue89.

Nous partageons le souci de Maurice Rajsfus de rappeler ce passé, mais par respect de la vérité il faut ajouter le comportement exemplaire de certains policiers français en 1942, et saluer le courage des fonctionnaires de police qui, de nos jours, osent critiquer la politique du gouvernement en matière de reconduite à la frontière.

[Cette page a été publiée le 26 fév. 2008, à l’exception de la tribune de Maurice Rasjfus qui avait été reprise dès le 20 fév]

Note interne du 22 juillet 1942
APP, série BA-1817 (dossier B 51-7)

Shoah : pour la police aussi, il faut un devoir de mémoire

par Maurice Rajsfus, Rue89.com, le 20 février 2008

Entre le 16 juillet 1942 et le 31 juillet 1944, 11 000 enfants dont les parents étaient désignés comme juifs devaient être raflés, puis déportés vers les camps de la mort. Pour Nicolas Sarkozy, il faudrait que chaque élève de CM2 prenne en charge la mémoire de l’une de ces victimes de la haine raciale.

Une autre approche est possible, en se posant la question essentielle : qui a arrêté ces jeunes ? Ce sont nos policiers et gendarmes français, lesquels n’ont jamais hésité à les confier rapidement aux bons soins des bourreaux nazis ! Il serait donc cohérent que dans chaque commissariat soient rappelés régulièrement les exploits des anciens de nos forces de l’ordre.

De tels rappels à l’Histoire seraient tout à fait salutaires, en un temps où policiers et gendarmes sont constamment en mission pour traquer les sans papiers et, à l’occasion, les séparer de leurs enfants — sans que cela les traumatise particulièrement.

Bien sûr, il ne saurait être question de comparer les périodes, car le temps de la barbarie nazie est heureusement révolu. Pourtant, les mauvaises manières n’en perdurent pas moins, et les fonctionnaires d’autorité de la République ne se risquent jamais à transgresser des ordres qui ne sont en rien compatibles avec les traditions humanitaires du pays des droits de l’homme.

Une fois encore, on nous objectera : « Ce n’est pas pareil ! » Belle façon de faire l’impasse sur des dérives insupportables. Tout serait donc permis, dès lors qu’un régime se proclame démocratique et que ses dirigeants procèdent du suffrage universel ?

Une certitude : les policiers et les gendarmes de la République pourraient tirer grand profit de l’étude des périodes noires de notre histoire, et des missions dont les forces de l’ordre étaient investies, de l’été 1940 à l’été 1944.

Enfin, si au temps de l’occupation nazie ceux qui s’accommodaient de leur fonction ne pouvaient refuser, paraît-il, les ordres reçus, il en va tout autrement en 2008.

Maurice Rajsfus - Ecrivain

Parmi les Justes de France, il y a des policiers !

Daeninckx - Pef : Il faut désobéir !

par Bernard Epin, L’Humanité du 3 oct. 2002 [extraits]


L’histoire des sept policiers nancéiens qui ont désobéi au régime de Vichy.
 [2]

La belle histoire ici contée dans sa touchante humanité s’inspire d’un fait réel qui vit sept policiers nancéiens décider de désobéir aux ordres du gouvernement de Vichy, un jour de 1942, en prévenant des dizaines de familles juives à la veille d’une rafle, les sauvant ainsi de la mort [3].

Noblesse du hasard : une semaine avant la sortie du livre, une place des Justes était inaugurée à Nancy par Simone Veil, en hommage aux sept policiers. A cette occasion, dans le cadre du salon Le livre sur la place, les auteurs ont pu rencontrer leurs premiers enfants lecteurs. Didier Daeninckx témoigne : «  Ils se sont montrés particulièrement frappés par les perquisitions à domicile, la saisie des objets courants comme le poste de TSF. Les enfants ont besoin de cette irruption du concret, de ce qui matérialise violence et exclusion. Il fallait voir leur stupeur devant l’image du parc à jeux “réservé aux enfants, interdit aux juifs” ». [...]

Au final, une image textuelle née de la plume de Daeninckx qui renvoie à la belle impertinence de l’album : pour justifier sa désobéissance d’alors, le policier glisse à l’enfant : « Mon métier, c’était d’arrêter les voleurs de pommes, pas d’éteindre les étoiles. »

Bernard Epin
Nancy : inauguration de la place des justes (journal de l’A2 - 20/09/2002)

Aujourd’hui aussi...

Le 16 janvier 2008, un haut fonctionnaire, Yannick Blanc, a été sanctionné en étant démis de sa fonction de directeur de la police générale à Paris, pour une déclaration jugée inopportune sur l’opération de régularisation des parents étrangers d’enfants scolarisés en juillet 2006.

En septembre 2005, la Ligue des droits de l’Homme avait exprimé sa solidarité au fonctionnaire de la Police aux frontières de Metz qui était menacé de sanction pour avoir critiqué la politique du gouvernement en matière de reconduite à la frontière.

Un policier menacé de sanctions pour avoir critiqué les reconduites à la frontière

par Pascal Ceaux, Le Monde du 24 septembre 2005

Le gardien de la paix Rolland Gatti est aujourd’hui un homme seul. Une enquête disciplinaire vise ce fonctionnaire affecté à la police aux frontières (PAF) de Metz et chargé de la reconduite des étrangers en situation irrégulière. Il encourt une sanction administrative pour avoir contrevenu au « devoir de réserve » auquel sont tenus les policiers.

M. Gatti a critiqué la politique du gouvernement en matière de reconduite à la frontière dans deux entretiens, accordés les 20 et 21 septembre au quotidien Libération et à la radio RMC. Il s’en prenait aux objectifs chiffrés fixés par le ministère de l’intérieur en Moselle. « On expulse à tour de bras, déclarait-il à Libération, on fait les fonds de tiroir. On va chercher tout ce qui peut traîner comme étranger en situation irrégulière. » Ou, plus loin : « Jouer avec des familles pour faire du chiffre, c’est inadmissible. »

Le policier croyait pouvoir tenir ces propos en toute liberté, abrité derrière son mandat de représentant local du Syndicat général de la police (SGP). C’est d’ailleurs à ce titre qu’il s’est exprimé dans les différents organes de presse. Les responsables nationaux du SGP ne l’ont pas entendu de cette oreille. Après avoir pris connaissance des déclarations de leur adhérent, ils l’ont désavoué dans un communiqué rendu public le 20 septembre. « Ces propos n’engagent que M. Gatti et en aucun cas le SGP, est-il notamment écrit. M. Gatti n’est en aucune manière mandaté pour parler en son nom. »

L’un des dirigeants du SGP, le secrétaire général adjoint, Gilles Wiart, a profité d’une commission technique paritaire réunissant les syndicats et le directeur général de la police nationale, Michel Gaudin, le 20 septembre, pour se dire « surpris » des déclarations de M. Gatti. « Je considère que les policiers de la PAF sont des humanistes, affirme M. Wiart. Il n’y a pas d’acharnement de leur part ou d’opérations ciblées. Ils ne font ni plus ni moins qu’exécuter les décisions de justice ou administratives. »

Un risque de mutation disciplinaire

M. Gatti a été l’objet d’une première audition disciplinaire, mercredi 21 septembre, à Metz, au cours de laquelle il lui a été demandé de s’expliquer sur ses déclarations. L’administration attend les conclusions de l’enquête pour prendre une décision, qui pourrait être une mutation disciplinaire.

L’incident intervient alors que le ministre de l’intérieur, Nicolas Sarkozy, a placé la lutte contre l’immigration irrégulière au rang de ses priorités. Il l’a redit aux préfets lors d’un discours tenu devant eux, le 9 septembre, précisant que cet objectif devait « constituer le deuxième axe majeur de - leur - action ». M. Sarkozy avait évoqué à nouveau, au cours de cette réunion, les « objectifs chiffrés » de 23 000 éloignements d’étrangers en 2005. « Sur huit mois, 56 % des objectifs ont été atteints, a ajouté le ministre. Il vous reste donc cinq mois pour accentuer l’effort. »

« Les reconduites à la frontière, c’est l’une des choses les plus délicates du métier », témoigne le secrétaire général du syndicat Alliance, Jean-Luc Garnier. « Nous ne sommes pas maître d’oeuvre, dit-il, contestant les propos de M. Gatti, ce sont les juges ou les préfets qui ordonnent. Nous nous contentons d’exécuter les décisions. »

La multiplication des reconduites suscite des difficultés : encombrement des centres de rétention administrative, nécessité d’accomplir plusieurs centaines de kilomètres pour trouver des places aux personnes en attente d’expulsion du territoire... « Il est vrai qu’il est très difficile de trouver des volontaires pour rejoindre les unités spécialisées de la PAF, admet M. Garnier. Ce travail est souvent une source d’ennuis. Pour effectuer les reconduites, le ministère est donc contraint de recourir à des policiers d’autres services, qui sont, en général, plutôt réticents. » Mais qui n’en parlent pas aux médias.

Pascal Ceaux

Notes

[1Maurice Rajsfus a notamment écrit La Rafle du Vel d’Hiv, éd. PUF, coll. Que sais-je, d’où est extraite la note interne de la préfecture de police de Paris, reproduite ci-dessus.

[2Il faut désobéir !, de Didier Daeninckx, illustrations de Pef ; collection Histoire d’Histoire, Éditions Rue du monde, 12,20 euros (à partir de huit ans).


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