Invité par la section de Toulon de la LDH, Jean-Pierre Dubois [1],
président national de la Ligue des droits de l’Homme, était à Toulon le 5 décembre 2007, pour une conférence-débat sur le thème de la désobéissance à la loi dans une démocratie.
Environ deux cents personnes sont venues à la faculté de droit de Toulon débattre sur ce thème dont l’actualité montre l’importance : la défense des sans-papiers, base élèves, la collecte d’empreintes génétiques, la lutte contre les OGM, la délation par internet ...
La Ligue des droits de l’homme n’est certes pas une organisation anarchique. Mais il y a des moments où on ne peut pas choisir d’obéir à la loi contre sa conscience. Nous sommes arrivés à ce genre de situations limites en ce qui concerne notamment les enfants de sans-papiers et les expulsions. Lorsqu’une loi conduit à punir de prison ceux qui ont donné à manger à des sans-papiers, désobéir à cette loi, c’est obéir à l’humanité.
Il existe beaucoup d’exemples illustres dans notre histoire, mais il faut s’en méfier quelquefois. Nous nous gardons bien de dire par exemple que c’est la même chose qu’en 1940. Mais il ne faut pas oublier non plus qu’il y a aussi des morts aujourd’hui. Des gens qui se défenestrent, qui se suicident. Ou ce jeune Tamoul tué par la police chez lui, où il avait été renvoyé par la France alors qu’il avait demandé l’asile. Il y a des situations insupportables. Bien sûr, ce n’est pas l’occupation nazie, mois on atteint un degré d’inhumanité dans cette politique de chasse aux étrangers qui nous place devant l’exceptionnel.
Un mouvement comme le Réseau éducation sans frontière démontre bien que des gens sans expérience de militantisme, ni politisés, estiment qu’on ne peut pas laisser faire n’importe quoi. On ne peut voir ; sans réagir, des enfants se faire renvoyer vers un avenir dramatique, avec leurs livres et leurs cahiers sous le bras. Des policiers aussi commencent à ne plus le supporter. Plus la pression du chiffre augmente, plus on obéit à une logique effroyable. Dans ces situations, la seule ressource, c’est la solidarité. Nous faisons des parrainages de sans-papiers, y compris avec des
parlementaires. Il faut continuer afin que MM. Sarkozy et Hortefeux se trouvent un jour placés devant cette alternative : soit poursuivre en justice des millions de Français pour délit de solidarité, soit abandonner une politique devenue vraiment inhumaine. »
- Elanchelvan Rajendram
Elanchelvan Rajendram, débouté du droit d’asile, expulsé, tué par balles
par Manuel Plantin, Les dernières nouvelles d’Alsace, 16 mars 2007Après la mort de ses deux frères, Elanchelvan Rajendram, Sri Lankais d’origine tamoule, avait fui le Sri Lanka pour Strasbourg, où réside une partie de sa famille. Débouté du droit d’asile, il a été expulsé en août 2005 vers le Sri Lanka, où il est tombé, sous les balles des militaires, fin février.
Arrivé en France en 2002 pour fuir les persécutions dont il était victime au Sri Lanka, Elanchelvan Rajendram a eu moins de chance que les membres de sa famille déjà réfugiés à Strasbourg. Débouté du droit d’asile en 2003, il s’est trouvé sans plus aucune voie de recours en 2004. Il a été expulsé vers le Sri Lanka en août 2005.
Membre du Casas [2], Simone Fluhr l’avait accompagné dans ses démarches successives. Ils avaient sympathisé. Elle l’avait regardé partir la mort dans l’âme : « Nous voyons passer beaucoup de Sri Lankais d’origine tamoule. Nous savons ce qu’ils endurent. L’oncle d’Elanchelvan installé à Hautepierre a été torturé en détention. Le certificat médical qui décrit les séquelles fait trois pages. »
Pour le nouvel an 2006, Simone a pourtant eu la surprise de recevoir une carte de voeux d’Elanchelvan, avec des petits coeurs et des roses de toutes les couleurs.
Elle a appris sa mort la semaine dernière. Le 28 février à l’aube, le jeune homme est tombé, le corps criblé de six balles. Exécuté par les militaires de l’armée sri-lankaise alors qu’il sortait des toilettes installées dans la cour de sa maison. Vêtu d’une simple étoffe et désarmé, Elanchelvan a rendu son dernier souffle dans les bras de sa femme. Sous l’oeil goguenard de ses assassins.
« Je savais qu’il serait en danger au Sri Lanka »
C’est David Balathas, un des amis d’Elanchelvan réfugiés à Strasbourg, qui a contacté Simone pour lui raconter.
Dans son magasin de retouches du quartier des Halles, il retient encore ses larmes, une photo de son ami disparu posée sur la table. « Je savais qu’il serait en danger là-bas. Il avait déjà perdu deux frères. Et l’un d’eux était membre des Tigres-tamouls [3], appuie David. Je ne comprends pas pourquoi l’Ofpra [4] ne l’a pas cru. »
Ebranlée, la famille vient d’envoyer, avec l’aide du Casas, un faire part de décès aux organismes intervenus dans le traitement du « dossier » d’Elanchelvan : l’Ofpra, la Commission de recours des réfugiés, la préfecture du Bas-Rhin, la Police aux frontières, etc.
« Il ne s’agit pas de les culpabiliser. Mais de rappeler que, dans le cas de personnes victimes de persécutions, l’expulsion peut être synonyme de mort », précise Simone.
Elanchelvan avait 30 ans. Il laisse derrière lui son épouse et une petite fille âgée de trois mois ainsi que des parents brisés par la perte de leur troisième et dernier fils.
[1] Jean-Pierre Dubois est professeur de droit constitutionnel.
[2] Collectif d’accueil pour les solliciteurs d’asile à Strasbourg.
[3] Le LTTE est une organisation indépendantiste tamoule en lutte depuis 1972 contre le pouvoir cinghalais.
[4] Office français de protection des réfugiés et apatrides.