relaxe pour les déboulonneurs


article de la rubrique démocratie > désobéissance & désobéissance civile
date de publication : mercredi 27 mars 2013
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Six membres du collectif antipub des “déboulonneurs”, poursuivis pour avoir barbouillé en 2009 des panneaux publicitaires, ont été relaxés lundi 25 mars 2013 par le tribunal correctionnel de Paris qui a retenu « l’état de nécessité » invoqué par les prévenus et la liberté d’opinion définie par l’article 11 de la déclaration des droits de l’homme.

Le Collectif des déboulonneurs, créé en 2005, se propose non pas de supprimer la publicité, mais de la “déboulonner”, afin qu’elle devienne un outil d’information au service de toutes les activités humaines.
Il demande que « soit respectée la liberté de ne pas recevoir des messages publicitaires sans consentement » et il plaide pour l’ouverture d’un débat national sur la place de la publicité dans l’espace public et la réforme de la loi de 1979 encadrant l’affichage publicitaire.

Parmi ses revendications : une limitation de la taille des affiches, à 50x70 cm, et une diminution du nombre de panneaux. Devant l’inertie des pouvoirs publics, pour alerter l’opinion et amener les élus à faire évoluer la loi dans le sens de l’intérêt collectif, les déboulonneurs ont choisi la désobéissance civile symbolique : la dégradation non-violente des panneaux publicitaires par barbouillage en public. Pour plus de détails, voir le manifeste du collectif des déboulonneurs.

Le tribunal a également relaxé les déboulonneurs d’un second chef d’accusation : le refus du prélèvement d’ADN.


Déboulonneurs : La désobéissance civile justifiée par le tribunal de Paris

[par La Rotative, le 26 mars 2013]


Hier les déboulonneurs ont été une nouvelle fois relaxés par le tribunal de Paris pour leurs barbouillages de panneaux publicitaires. Le tribunal justifie leur action de désobéissance civile par le danger que représente la publicité pour la société, et cite l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen sur la liberté d’expression.

La justification par « l’état de nécessité »

Les déboulonneurs se saisissent des procès que leur fait Jean-Claude Decaux pour faire le procès public de la publicité. Ce type de défense offensive détourne la force de l’attaquant contre lui-même, mais en plus il s’appuie sur le droit pour légitimer son action "illégale". Lorsqu’une personne se trouve dans un danger tel qu’il n’a pas d’autre moyen d’y répondre qu’en enfreignant la loi, les tribunaux justifient son acte : typiquement une personne démunie qui vole ou squatte par nécessité est relaxée même si le délit est constaté. Les désobéissants agissent pour que les tribunaux reconnaissent que les dangers environnementaux (OGM, nucléaire) ou sociaux (publicité, etc.) les mettent face à un « état de nécessité ».

Toute l’affaire consiste à convaincre le juge « que celui qui a enfreint la loi l’a fait pour répondre à un danger actuel ou imminent, menaçant lui-même ou autrui, et qu’il a utilisé des moyens proportionnés à l’intérêt à défendre » [1]. Pour le démontrer les Déboulonneurs convoquent différents témoins : d’une part des scientifiques qui attestent des manipulations psychologiques et neurologiques des publicités, et des graves dommages qu’elles produisent au niveau sanitaire ; et d’autre part des élus qui témoignent du puissant lobbying des publicitaires sur les élus, et des énormes difficultés à faire appliquer (sinon à renforcer) les réglementations existantes en matière d’affichage publicitaire.

Le tribunal de Paris reconnaît le danger publicitaire

Il y a un an le tribunal de Paris n’avait pas osé reconnaître explicitement ces dangers, mais, sensible à la gravité de la situation, il avait trouvé un autre moyen de relaxer les Déboulonneurs : la liberté d’expression face à l’imposition de la publicité dans l’espace public. La Cour d’appel était revenue sur cette décision innovante, et les avait condamnés à 200 €.

Cette fois le tribunal va plus loin : il ré-insiste sur la liberté d’expression mais surtout il reconnaît l’état de nécessite dans lequel se trouvent les citoyens anti-pub. Il affirme par là que le danger sanitaire que fait peser la publicité sur la société est immédiat et important, mais aussi qu’il y a un dysfonctionnement dans notre démocratie et que les méthodes classiques d’interpellation des pouvoirs politiques sont inopérantes. Pour cette raison il relaxe les accusés et déboute le publicitaire JC Decaux de sa demande de dommages et intérêts.

Les désobéissants, défenseurs des « intérêts moraux supérieurs » de la société

Il arrive de temps à autres que les tribunaux de première instance reconnaissent l’état de nécessité où se trouvent des personnes démunies ou des activistes dénonçant un danger social. Ainsi le tribunal correctionnel d’Orléans avait relaxé 49 Faucheurs Volontaires en 2005. Les Cours d’appel, qui ont souvent une vision plus conservative du droit, tendent à revenir sur ces jurisprudences progressistes. Jusqu’à ce que l’une d’entre elle avance et « consacre une jurisprudence », comme la Cour d’appel de Colmar lorsqu’elle reconnût en 1957 qu’on ne saurait limiter l’application de l’état de nécessité « à la défense d’intérêts matériels fussent-ils vitaux ; qu’on doit l’étendre à la protection des intérêts moraux supérieurs ».

Il ne reste qu’à reconnaître que ces désobéissants sont les défenseurs des « intérêts moraux supérieurs » de la société...

Le refus de prélèvement ADN pour barbouillage justifié

Une autre avancée : la police avait voulu soumettre les déboulonneurs à un prélèvement ADN pour leur acte de "barbouillage". Ils s’y étaient refusés comme de nombreux activistes qui dénoncent ce fichage social. Ils encouraient une condamnation « pour refus de prélèvement ADN ». Mais le procureur lui-même, ayant requalifié le barbouillage en dégradation légère, reconnaissait que ce prélèvement quasi-automatique par les policiers n’avait aucune raison d’être. Le tribunal l’a suivi et a relaxé les déboulonneurs de cet autre chef d’accusation.

Une perche tendue au gouvernement par les déboulonneurs et le tribunal

Les déboulonneurs annoncent dans leur communiqué de presse : "Cet état de fait nous autorise à exiger un rendez-vous d’urgence avec le gouvernement. Mme Batho, ministre de l’Écologie, qui déclarait récemment que le Grenelle de l’Environnement n’avait été qu’une opération de communication n’a d’autre choix que de rouvrir ce dossier extrêmement mis à mal par ses prédécesseurs sous la pression des afficheurs. Elle montrera ainsi que le changement des pratiques politiques est à l’œuvre." [2]

La Rotative


Notes

[1Cf. art. 122-7 du code pénal. « Aujourd’hui, le droit définit l’état de nécessité comme un « fait justificatif » d’une infraction pénale et considère que celui qui a enfreint la loi pour défendre un intérêt social supérieur, sans aucun intérêt pour lui-même, ne saurait être sanctionné » explique Me François Roux, l’avocat de nombreux désobéissants. F. Roux, « De l’état de nécessité à la désobéissance civile », Libération, 3/07/2006.


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