une lettre de Nicolas Sarkozy


article de la rubrique Big Brother > loi de “prévention” de la délinquance
date de publication : mercredi 5 avril 2006
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Lors d’une conférence de presse, le collectif national unitaire "Résistance à la délation" a appelé l’attention du ministre de l’Intérieur et de l’Aménagement du Territoire sur les "risques" que comporterait le projet de loi sur la prévention de la délinquance.

Nicolas Sarkozy, Ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur et de l’Aménagement du Territoire a répondu aux interrogations du collectif dans une lettre datée du 20 mars que vous trouverez ci-dessous [1].


MINISTERE DE L’INTERIEUR ET DE L’AMENACEMENT DU TERRITOIRE

LE MINISTRE D’ÉTAT

Paris, le 20 mars 2006

Monsieur [2]

Lors d’une conférence de presse, vous avez souhaité attirer l’attention sur le risque de « politique à caractère sécuritaire » engendré par le projet de loi sur la prévention de la délinquance.

Je suis particulièrement attentif à vos interrogations concernant le repérage précoce des troubles du comportement chez les tout-petits, et cela d’autant plus qu’en tant que Président du Conseil général des Hauts-de-Seine, je suis en charge de la protection de l’Enfance de mon département.

Depuis les années 50, la France s’est dotée de différents moyens pour la détection précoce des troubles du comportement.

Le service public de la Protection Maternelle et Infantile, les centres d’action médico-sociaux précoces, le Service de Promotion de la santé des élèves sont des dispositifs qui existent et dont la vocation est, grâce à des équipes pluridisciplinaires, de suivre et de prendre en charge les enfants présentant du troubles du comportement. Ce suivi comporte également une action de conseil et de soutien de la famille ou des personnes auxquelles l’enfant a été confié. Ces troubles n’ont pas forcément une origine psychiatrique. Ils se rattachent le plus souvent à des facteurs sociaux ou familiaux qui déterminent des traits de caractère obérant une intégration normale.

Tous les scientifiques et médecins s’accordent à dire que plus tôt on intervient, plus on a de chances d’éviter le drame d’unn enfant. Car tout le monde sait qu’une personnalité se construit dans les toutes premières années.

On ne peut alors plus raisonner comme il y a quarante ans, comme si le suivi des enfants était une formalité, se résumant à surveiller leur poids, leur taille et leur vaccination. On doit être vigilant et on doit être professionnel. D’abord il faut créer une chaîne continue pour ce suivi de la santé des enfants, en intensifiant les interventions de la protection maternelle et infantile. Au-delà, c’est à dire à partir de 6 ans, la médecine scolaire doit prendre le relais avec la même vigilance. Pour cela, il faut des règles et des rendez-vous fixes. Par exemple, le bilan à trois ans est une étape clé pour dépister précocement les troubles du comportement et des apprentissages. Même chose à six ans. Encore faut-il que ces bilans soient codifiés afin d’améliorer leur qualité et de pouvoir les évaluer. Les troubles du comportement, des apprentissages, ne seront pas toujours le signe de futurs problèmes graves. Mais dans l’autre sens, les troubles graves à l’adolescence sont le plus souvent précédés de perturbations dès l’enfance.

La détection des troubles de comportement chez l’enfant est donc un préalable à tout. Il ne s’agit pas d’enlever des enfants à leur famille, il ne s’agit pas d’exercer une influence sur eux. Mais il s’agit de repérer ce qui pose problème à six ans et pourra en poser de beaucoup plus graves à douze ans. Cela
dans l’intérêt de l’enfant et de sa famille.

En écho à ces préoccupations, il convient donc de mieux affirmer le rôle du service de protection maternelle et infantile dans sa fonction de dépistage et de suivi des enfants sujets à des troubles du comportement, en liaison avec les professionnels de santé et les établissements spécialisés.

Car personne ne conteste que le système actuel est inefficace et laisse des jeunes souffrir. Je souhaite donc mettre en place un système qui permette de tendre la main à des jeunes qui se sentent aujourd’hui abandonnés, parce que ni leur famille, ni l’école, ni la PMI, ni la santé scolaire ne les aident. Qui peut bien refuser l’idée que l’Etat tende la main à des enfants qui n’ont pas eu la chance d’être encadrés et suivis ?

Je suggère tout simplement que la communauté éducative, les services de PMI et la médecine scolaire s’organisent pour que les souffrances des enfants soient repérées et que les centres d’action médico-sociales précoces, les services de pédo-psychiatrie, les services sociaux, selon les cas, les prennent en charge et y apportent des réponses avant qu’il ne soit trop tard.

Le repérage précoce des enfants en souffrance ne suppose donc en aucun cas la recherche d’une fragilité innée à traiter par prescription médicamenteuse. C’est précisément l’approche inverse qui est privilégiée, mettant l’accent sur les effets éventuellement traumatiques pour l’enfant de son histoire ou de son environnement. Cela ne saurait donc se confondre avec une quelconque stigmatisation voire un fichage des enfants.

La prévention précoce est un concept à la fois ancien et novateur puisqu’il a évolué afin de prendre en compte la complexité des situations.

Mais les réponses actuelles sont largement entravées par des difficultés de coordination entre les multiples professionnels qui sont appelés à intervenir. Une même famille, voire une même personne peut bénéficier de l’action concomitante de plusieurs intervenants sans qu’à aucun moment l’activité de ces derniers ne soit coordonnée. Parfois ces professionnels sont tenus dans l’ignorance de l’action de leurs collègues relevant d’un autre service. II n’est plus possible d’infliger à un même enfant jusqu’à 17 intervenants sur son cas. Il n’est plus possible non plus que des signalements restent sans effet ou que les interventions nécessaires aient lieu trop tard. C’est pour cette raison qu’il est indispensable de mieux coordonner l’action des profcssionnels concernés dans le strict respect de leurs obligations. La désignation parmi eux d’un professionnel-coordinateur permettra l’échange d’informations entre eux dans le strict respect d’un secret professionnel auquel il n’a jamais été envisagé d’associer le Maire, les services de police ou la justice.

Cette coordination accrue entre professionnels est nécessaire pour faciliter l’évolution de la situation des enfants concernés. Cette coordination, je la souhaite aussi entre le service public de la PMI et la médecine scolaire afin de poursuivre efficacement et dans les mêmes conditions la prise en charge d’un enfant dont des difficultés ont été détectées à l’école maternelle.

Ces réflexions, qui ne vous sont pas étrangères, ont fait émerger la notion de « réseau » entre les institutions comme moyen privilégié de prise en charge, dans une continuité indispensable.

Un exemple est donné par l’émergence des « réseaux péri nataux » qui regroupent les maternités, la PMI, la médecine de ville pour le suivi des femmes enceintes et des très jeunes enfants considérés comme présentant des difficultés médicales ou sociales particulières.

Le défi que la France doit relever pour aider la jeunesse en souffrance est trop grave pour que les termes du débat ne soient pas traités dans la plus grande sérénité. Je sonhaite que l’on se donne enfin les moyens d’aider ces jeunes. Que la France ne soit plus le pays européen où les adolescents se suicident le plus, où ils sont les plus gros consommateurs de cannabis, de somnifères et de tranquillisants. Il est urgent de développer des mesures efficaces de protection de notre jeunesse : c’est par le renforcement du dépistage et de la prévention que l’on parviendra à diminuer les risques pour les adolescents de se laisser entraîner dans des comportements violents pour eux-mêmes et pour autrui.

Alors que les choses soient bien claires, il n’a jamais été question dans mon esprit ni dans les projets du Ministère de repérer des enfants ou des adolescents qui seraient des délinquants potentiels. Mon projet n’a qu’un objectif : celui de venir en aide aux enfants.

La France est face à un problème de société, elle a les moyens d’y répondre dans le respect des principes qu’elle a toujours portés.

C’est fort de cette conviction que l’action publique doit favoriser la prévention, que cette prévention doit être aussi précoce que possible, que le partage de l’information est un préalable à toute coordination, que je soumettrai prochainement au Parlement une projet de loi de prévention de la délinquance.

Je vous prie d’agréer, Monsieur, l’assurance de ma considération distinguée.

Notes

[1Cette lettre est publiée au format PDF sur le site du Collectif national unitaire Résistance à la délation.

[2Lettre adressée à
Hervé Heurtebiz
Collectif national unitaire "Résistance à la délation"
Syndicat SDU-FSU


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